In memoriam du Grand Mawdo : 2009 – 2016
« Se rappeler,
c’est fleurir sa mémoire d’un bien doux souvenir.
Le temps passe mais n’effacera jamais
dans nos cœurs ce que tu as été pour nous.
Nous pensons à toi aujourd’hui…
Le 25 janvier 2009 s’éteignait à Dakar à l’âge de 98 ans le Grand Mawdo, Mamadou Moustapha DIA, l’un des pères des indépendances africaines. Le pédagogue et homme politique a été de tous les combats en étant tour à tour Sénateur, Vice-président du conseil de gouvernement du Sénégal (1957- 1958), Vice-président de la Fédération du Mali en charge de la Défense et de la Sécurité extérieure et Président du Conseil des Ministres de la république du Sénégal.
Le patriote sans commune mesure avait déjà annoncé la couleur le 25 novembre 1958 aprés le vote par la Constituante, qui avait pouvoirs d’ Assemblée législative d’établir la constitution de l’ État du Sénégal, qui sera de caractère républicain à Saint Louis. Du haut de la tribune, il déclarait : « Nous voulons désormais que l’on nous traite comme des citoyens majeurs. Il faut que tous comprennent la portée de ce choix qui engage notre avenir, celui de nos enfants ; dans la voie prometteuse de notre émancipation nationale, sur le chemin de l’indépendance, qui sera une indépendance réelle, acquise par notre travail, notre sueur, notre volonté de construire. »
Ses analyses très pertinentes sont toujours d’actualité avec une conception redoutable et une exigence d’économiste adossé aux théories du développement à la base. Il avait choisi d’en payer le prix, mais on peut témoigner qu’il n’en a pas moins souffert par amour pour sa patrie.
Le 6 décembre 1958 encore par un discours radiodiffusé, il intervint en des termes forts, suite à des grèves répétées : « Nous voulons sans faiblesse, conduire le Sénégal dans la voie du dévéloppement intégral et harmonisé. C’est là le salut ! (…) J’irai plus loin, je voudrais demanderà chacun, à quelque poste qu’il se trouve, de se faire un devoir impérieux de travailler davantage et de travailler mieux. Sans cette mystique du travail, nous ne réussirons pas. Dans un pays sous-developpé comme le nôtre, le capital résultant du travail de la nation entière est le gage indispensable du développement. »
Paroles plus que prémonitoires au vu de l’actualité présente avec le plan sénégal émergent mis en chantier par l’actuel locataire du palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor, son comptemporain et alter ego. La question du développement était sa préoccupation première et une anlyse de la dynamique structurelle du développement au Sénégal en 1962 montre des structures descendantes et ascendantes aux niveaux national, régional, sous-régional, arrondissements et communautés de base (fameuse circulaire 32 adressée aux Ministres, Commissaire général au plan et aux Gouverneurs). Cette démarche visionnaire était pour lui la manière de faire la politique « dans une nation en voie de se faire, c’est la technique engagée qui doit permettre de rassembler un peuple pour faire face à l’ensemble de ses problèmes de survie et de croissance. C’est la méthode humaine pour promouvoir le développement de la communauté des hommes en harmonie avec le développement de chaque citoyen . »
Le citoyen au centre du développement d’où cette définition de la politique à partir de l’association des hommes qui redistribue également la priorité mise sur le collectif (les citoyens) et au détriment du pouvoir qui dirige ces citoyens donc – l’union des êtres humains plutôt que leurs conflits ;
– la prééminence de la collectivité sur le pouvoir qui détient l’autorité sur elle.
Dans les moments cruciaux de la naissance de l’État du Sénégl, il a fait preuve d’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace. Il a été la voix du Sénégal naissant qui trouvait en lui le cœur énergique, la poitrine profonde, l’attitude grandiose pour exprimer sa foi. Parole et acte ont été un tout chez le Président Dia. Et c’est ainsi qu’il ne se dérobera pas à son Sénégal le service qu’il lui devait. Le 8 démbre 1960 à la tribune de l’ Assemblée générale des Nations unies, il disait « La démocratie mondiale sera économique et sociale ou elle ne le sera pas. » ; très belle manière de faire entendre la voix du Sénégal indépendant. Il était à la fois Luther, Danton et Cicéron demandant à Catilina de sortir de Rome pour délivrer la République de ses craintes.
Le merveilleux homme et surtout l’homme de Valeurs sachant résister à toutes les épreuves qu’il était se retrouvent dans sa lettre adressée au Président Senghor qui demandait qu’il renonce à revenir en politique pour le grâcier et dictée à son fidèle ami et collaborateur Roland Colin depuis le pavillon spécial de l’hopitâl A. le Dantec en 1972. Dans celle-ci, il martelait sans ambage « Je peux ajouter que l’engagement de s’exclure du politique serait la traduction d’un comportement a-national ou anti-national. Ce serait dire que le destin de mon pays n’entre pas dans mes préoccupations, ne me regarde pas. Ce serait dire que je me mets au ban de la société sénégalaise, que je me considère plus comme un fils du Sénégal. Le Sénégal ne m’appartient pas, mais moi j’appartiens au Sénégal, d’un mouvement aussi naturel que l’air que je respire, ici ou hors d’ici, que je le veuille ou non. »
Sur un autre registre, l’attention qu’il accordait à l’orthodoxie dans la gestion des affaires de l’ État, le souci qu’il avait de politiques en adéquation avec les besoins du peuple et l’intransigeance qu’il savait faire montre lorsque le moment l’exigeait au moment où on parle de CREI et d’ OFNAC: c’est là le souvenir le plus précieux que nous, qui avons été de ceux qui le chérissaient, garderons de lui.
Presque 56 ans après notre accession à la souveraineté internationale, le Président Dia n’a pas encore la place qui lui revient dans notre histoire comptemporaine en termes de recherches comme en naming pour paraphraser les anglo-saxons. Seul Talla Sylla, l’actuel maire de Thiès, notre camarade et compagnon de lutte, a fait un geste symbolique en baptisant officiellement une place du nom de ce grand Homme d’État. Non bis in idem, dit le code pénal pour évoquer la difficulté qu’une personne soit jugée deux fois pour la même faute, a fortiori, si une faute n’a été jamais commise. L’adversité a été grande car il a voulu mettre un pays, un peuple sur la voie du développement véritable, mais force est de constater qu’il a été plus grand dans l’adversité. Ses contemplateurs n’avaient pas lu Lao-tseu qui nous enseignait : « Qui veut abaisser quelqu’un doit d’abord le grandir, Qui veut affaiblir quelqu’un doit d’abord le renforcer, Qui veut éliminer quelqu’un doit d’abord l’exalter, Qui veut supplanter quelqu’un doit d’abord lui faire des concessions. Telle est la vision subtile du monde. »
En définitive, en faire un Pierre Mendès France sénégalais, serait une tâche indélébile dans les annales de l’histoire de notre République et c’est pourquoi nous disons que le Grand Mawdo doit enfin avoir la réhabilitation pleine et entière due à son rang. Contrairement aux autres, il n’a pas sculpté sa propre voie pour sortir du ravin au nom de sa propre gloire.
Ben Yahya SY
Petit fils et disciple du Grand Mawdo
Paris / France