La tournure prise par l’affaire de la liste non paritaire de la communauté rurale de Touba Mosquée pour les prochaines Locales charrie une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : elle remet sur la table la tare congénitale d’une loi adoptée dans la précipitation, sans larges consultations, sur fond de démagogie.
Tout semble indiquer d’ailleurs que si le texte était soumis à référendum, il serait rejeté par la majorité des Sénégalais.
Le gouvernement ne peut rester insensible à cette clameur. La loi sur la parité mérite d’être amendée ou tout bonnement abrogée.
La mauvaise nouvelle dans cette affaire, c’est qu’une flagrante violation de la loi est en passe de rester impunie sous prétexte qu’elle est légitime. Plus inquiétant, la bien-pensance a déposé les armes sur l’autel de la sensibilité du sujet.
D’abord les politiques, pouvoir comme opposition. S’ils ne jettent pas de l’huile sur le feu en défendant publiquement la décision du Khalife (par pure démagogie, là aussi ?) et/ou en appelant à la suppression de la parité, alors qu’ils n’avaient pas moufter lors de son vote, jadis, ils adoptent un silence bavard et complice face à la forfaiture.
Censé être le premier bouclier des institutions, surtout dans ce contexte où la gouvernance vertueuse est sa ligne directrice revendiquée, le gouvernement est aux abonnés absent. Refilant ainsi la patate chaude à la Commission électorale nationale autonome (Cena), choisissant de mobiliser son énergie pour répliquer aux tirs nourris d’Abdoulaye Wade et Idrissa Seck.
La Société civile et les organismes de défense des droits humains, entre autres chevaliers blancs des bonnes causes (Forum civil, Y en a marre, M23, Leral Askan Wi, etc.), ont comme perdu le souffle. On ne les entend pas ou très peu sur le sujet.
Devant la violation de la loi sur la parité, même la presse tremble. Son œil critique est masqué, sa voix de tribun étreinte et sa plume acerbe rentrée. En l’occurrence elle a, vraisemblablement, renoncé à sa charge de quatrième pouvoir, laquelle lui confère la responsabilité de veiller au respect des trois pouvoirs légaux (exécutif, législatif et judiciaire).
Aussitôt après avoir rendu compte du durcissement de ton du Khalife des mourides, qui a presque rabroué les membres de la délégation de la Cena, la presse a changé de cap. Et Dieu sait qu’elle n’ignore pas de quel côté se lève le soleil. Journaux, radios et télés ont choisi de braquer leurs projecteurs sur les interminables querelles de clochers entre un pouvoir visiblement aux abois et peu serein et une opposition sans relief, qui tente fébrilement de reprendre des couleurs avec le retour au bercail de Wade et Idy.
Bref, il est loin l’époque où les confrères, pour beaucoup moins que l’arbitraire qui est en train de se dérouler sous nos yeux, rivalisaient de prouesses éditoriales et de capacité d’indignation.
Quelques esprits lumineux, téméraires pour certains, ont osé élever la voix pour demander que force reste à la loi. Bien qu’ils soient en phase avec le Khalife des mourides sur l’inopportunité de la parité intégrale- ils préfèrent l’équité à l’égalité-, la plupart de ces preux républicains suggèrent, à juste titre, que la nécessité de tenir compte de la spécificité de Touba, voire simplement de ménager les susceptibilités d’une puissante communauté religieuse, ne doit pas être le lieu de toutes absolutions. Leur doléance : la liste de Touba Mosquée doit d’abord rester invalidée, on discutera ensuite.
Ils ont mille fois raison. Les discussions autour de l’opportunité ou non de la loi sur la parité, pour toutes les fonctions électives, est dépassée depuis son adoption et sa promulgation. L’heure est à l’application stricte du texte, en attendant des dispositions contraires.
À la suite de l’audience avec le guide des mourides, la Cena a proposé l’adoption, en procédure d’urgence, d’un statut spécial pour Touba. Une façon de ménager la chèvre et le chou. De concilier nécessité d’éviter de commettre un crime de lèse-majesté et obligation de préserver la loi.
Cette volonté d’apaisement est à saluer. Son aboutissement est peut-être souhaitable. Ce n’est pas un signe de faiblesse, c’est de la Realpolitik. Les membres de la Commission doivent être défendus pour le service qu’ils essaient de rendre à la justice et à la démocratie. Ils doivent également être protégés contre toutes velléités de lynchage, physique ou de toute autre nature.
Lors de la réception de leur rapport d’activités pour 2013, le chef de l’État avait demandé aux membres de la Cena de faire preuve d’ »engagement patriotique pour la bonne tenue des élections locales à venir ». Et dans ce dessein, Macky Sall leur avait promis d’être « à (leurs) côtés chaque fois que de besoin, pour (les) accompagner dans l’accomplissement de (leur) mission au service de la Nation ». Espérons que le président de la République tiendra sa promesse.
L’idée de conférer à Touba un statut spécial était à l’étude. Et la commission chargée d’y plancher avait déposé son rapport. Le gouvernement n’a pas donné suite, pour une raison que l’on ignore pour l’instant. La balle est désormais dans son camp. Il tient ainsi une occasion de rattraper le coup. De garder l’échine droite après qu’il se sera exposé à la pire des humiliations. La faute à son inconséquence et à son inertie.
Si la priorité du moment est d’éviter le clash avec Touba et, plus loin, d’extirper la loi sur la parité de notre arsenal juridique, l’urgence de l’heure doit être la défense, jusqu’à nouvel ordre, de la disposition légale en question. Fusse-t-elle mauvaise et inopportune.
Alors à défaut de pouvoir convaincre le guide suprême du mouridisme de se garder d’affaiblir l’autorité de l’État, en retirant sa liste en attendant l’adoption d’une disposition lui permettant d’être en règle pour les Locales, que tous les citoyens honnêtes et lucides se lèvent pour dénoncer un précédent dangereux pour notre République ! Ne ratez pas le train de l’histoire. Indignez-vous !
P.-S. : Réagissant à l’affaire de la liste de Touba Mosquée, le ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, a indiqué que celle-ci ne sera pas invalidée. »Nous pensons, pour l’instant, que la liste de Touba est bien recevable. Et sur cette base, on ira aux élections dans ces conditions », a-t-il déclaré. Ses arguments : »c’est une liste qui ne gêne pas les acteurs politiques en jeu. Parce que, vous n’avez pas entendu de contestations », »la ville Touba a toujours été une particularité dans le système électoral sénégalais », »il n’a jamais eu, contrairement à ce qui se passe dans tout le pays, une liste outre que celle qui est proposée par le khalife des mourides et qui porte les couleurs du parti au pouvoir ». No comment !
L’officialisation du statut spécial se trouve être la solution. Ce que le pouvoir de Macky n’a pas su faire, en retardant la réponse à la demande de Touba. Et des statuts spéciaux pour villes ou régions, il en existe à foison dans le monde sans qu’il y ait remise en cause de l’unité nationale. Il y a même en Europe des statuts spéciaux pour des villes réservés au…nudisme. A Touba la république avait commencé par renoncer à l’éducation (pas d’écoles), à la sécurité (pas de police ou gendarmerie), ce qui n’avait pas empêché à toutes ces choses là d’avoir lieu dans le reste de l’état. Et puisqu’on ne s’était pas indigné d’une ville sans écoles, sans police et sans gendarmerie, on ne peut s’indigner d’une liste aux élections locales.
« STATUT SPECIAL »c’est quoi même?Les populations (au nom du khalif)peuvent faire des demandes que l’Etat peut (ou ne pas ) agréer.Par exemple:interdire la vente et la consommation de tabac et d’alcool,…Mais en aucun cas,aucune mesure ,quelle qu’elle soit ne doit pouvoir être prise sans l’accord de l’Etat