Les suspicions ne sont pas encore clairement exprimées, mais cela n’empêche que les militaires murmurent de plus en plus fort. La position et les attitudes du Ghana commencent à susciter de la méfiance des militaires des autres pays membres de la Cedeao quant à sa neutralité dans la crise ivoirienne. La situation de la Côte d’Ivoire menace de casser la cohésion et l’unité des différents points de vue des pays membres des institutions d’intégration sous-régionale de l’Afrique de l’ouest. Alors que les pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) ont expressément menacé le Président Laurent Gbagbo d’intervention militaire s’il n’acceptait pas de quitter le pouvoir de son propre chef, leurs militaires commencent à regarder certains d’entre eux en chiens de faïence. En clair, les Chefs d’état-major des armées de la Cedeao ne sont plus sûrs du degré de confiance qu’ils peuvent accorder à leurs partenaires ghanéens dans le dossier ivoirien.
Cette déclaration a été faite hier, en marge de la 28e réunion ordinaire du Comité des Chefs d’état-major de la Cedeao, qui se tient à Bamako, jusqu’à demain. Cette rencontre n’a pour objectifs officiels que d’harmoniser les équipements techniques et les moyens logistiques en cas de manœuvres militaires conjointes entre les pays membres. Une question prévue de longue date et qui devait être traitée au cours de cette session. Néanmoins, au regard de l’actualité, ainsi que des instructions des chefs d’Etat, les haut gradés des Armées de la sous-région ne pouvaient pas ne pas évoquer la situation de la Côte d’Ivoire. Et, paradoxalement, cela est en train de créer une gêne entre les militaires.
Un colonel sénégalais, membre de la délégation de son pays à cette rencontre, a expliqué que certains pays ne se sentent plus à l’aise pour parler de l’intervention militaire en Côte d’Ivoire en présence de leurs collègues ghanéens. Il fait remarquer que le pays du Président John Atta-Mills a tenu à se démarquer de manière très claire de la volonté des autres pays membres d’user des moyens militaires pour débarquer Gbagbo. Plus encore, le dirigeant ghanéen a indiqué qu’il n’était pas question que son pays puisse servir de base ou bien de voie de passage des troupes qui voudraient envahir le sud de la Côte d’Ivoire. Or, toutes les stratégies qui avaient été esquissées à ce jour, estimaient que le territoire du Ghana offrait les conditions les plus optimales pour une intervention militaire sans beaucoup de dégâts, à la différence du Libéria et de la Guinée par exemple, qui imposaient de passer par des zones assez accidentées.
En plus, vu le contexte géopolitique, le territoire ghanéen était préféré également au Burkina Faso, qui se trouve au nord de la Côte d’Ivoire. Car il fallait éviter de nourrir le sentiment d’une collusion entre l’Armée burkinabè et les Forces nouvelles, qui contrôlent le nord de la Côte d’Ivoire, et dont Bouaké, la seconde ville de Côte d’Ivoire, est la place forte depuis déjà dix ans.
Mais la non-participation du Ghana a d’autres implications encore, et des plus dramatiques. Les militaires de la Cedeao déclarent avoir la certitude que des militaires angolais se sont pré-positionnés au Ghana, du côté de la frontière ivoirienne. Ces Angolais, dont tout le monde sait qu’ils sont parmi les principaux soutiens de Laurent Gbagbo, survolent plus ou moins régulièrement le sud de la Côte d’Ivoire par hélicoptère. Même s’ils semblent éviter de rencontrer les troupes de l’Onuci, la force des Nations unies pour la Côte d’Ivoire, on a l’impression qu’ils sont en train de reconnaître le terrain de leurs futures opérations.
Et c’est là que le problème se pose pour les gradés de la Cedeao. Ces derniers ne comprennent pas que le Ghana, qui se désolidarise de toute la stratégie militaire de la Communauté à l’heure actuelle, prenne une part active dans toutes les rencontres où se discutent les options militaires à l’égard de Laurent Gbagbo, dont l’ancienne Côte de l’Or est devenue une alliée objective. «Qui nous dit que les militaires ghanéens ne s’empresseraient-ils pas d’aller répéter aux hommes de Gbagbo ce qu’ils apprendraient de nous, si une stratégie militaire était définitivement arrêtée ?», répercute le militaire sénégalais, en écho aux inquiétudes de ses partenaires des 14 autres pays.
Et l’implication des Ghanéens ne cesse de susciter des interrogations. Ainsi, pour cette rencontre des plus ordinaires, le Ghana a amené l’une des plus fortes délégations. Pour quel but, se murmurent les autres, dans les couloirs de l’hôtel Salam Azalaï de Bamako, où se tient la rencontre.
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