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Interview de Serigne Mansour Sy Djamil. « La modernité est dans l’islam » (suite)

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Serigne Moustapha SY Djamil avait réussi à faire essaimer la Hadara sur l’étendue du territoire national tout en conservant son indépendance vis-à-vis de l’Etat. Serifne Mansour SY Djamil entend perpétuer ce legs d’un père « en avance sur son temps » pour avoir compris très tôt l’importance de l’école française et y avoir envoyé ses enfants. Dans cette deuxième partie de l’entretien qu’il a accordé à La Gazette, il revient sur la place et le rôle des guides religieux qui, à son avis, ne peuvent pas être à l’écart de ce qui se passe dans leur pays. Il marque également son souhait pour l’introduction de l’enseignement religieux à l’école, seul moyen, « de lutter contre le fanatisme et l’intolérance ». Il s’est, en outre, prononcé sur les propos tenus à Touba par Bécaye Diop, lors du dernier Magal et sur l’attitude du régime libéral, « incapable d’être à équidistance » des confréries religieuses.

Aujourd’hui quels sont les actes que vous posez pour perpétuer l’action de votre père ?

Fass rassemble un nombre important de talibés et constitue l’une des communautés les plus importantes de l’Islam confrérique. Je veux en faire un levier pour mieux servir l’Islam par la formation des jeunes, en achevant la construction du Complexe Seydi Djamil dont la première phase (la Mosquée) est achevée avec le concours de l’Etat (sous Abdou Diouf pour l’acquisition du terrain et d’Abdoulaye Wade en contribution financière). Nous entamons la deuxième phase : l’Institut islamique ; tout cela sous la direction compétente de mon frère Cheikh Ahmed Tidiane et du Comité de gestion qu’il dirige. Mais, Fass n’est pas hors de Tivaouane. Et j’agis sous l’autorité de mes « pères » : Serigne Mansour, Serigne Cheikh, et les autres. J’ai d’excellentes relations avec toute la famille d’El hadji Malick.

Car j’entends inscrire mon action dans la dynamique créée par Serigne Moustapha, sous l’œil vigilant de Sokhna Oumou Kalthoum Sy, la doyenne de la famille de El Hadj Malick, sa mémoire vivante, véritable égérie spirituelle, douée d’une intelligence exceptionnelle, d’un courage jamais démenti, mon amie, ma conseillère, mon ange gardien et ma protectrice qui m’inonde de ses prières, après l’avoir fait pour mon père.

Mais quelle est la base réelle de Fass ?

Aujourd’hui la Hadara de Fass, de par son enracinement dans le Cap-Vert, de Yoff à la Somone et surtout dans la banlieue, et de par la portée du message de son Guide spirituel Cheikh Mohamed Moustapha Sy, la vitalité de ses structures nationales et internationales et sa capacité de mobilisation, par la qualité de ses membres issus d’une synthèse réussie de l’enseignement traditionnel et de l’école républicaine est l’une des instances les plus représentatives de la Tijaniya au Sénégal. Notre Hadara est une communauté construite patiemment, dans la discrétion, la rigueur, la discipline, l’ardeur au travail, l’humilité, le sens de l’organisation, du dialogue et de la concertation, du sacrifice librement consenti, de l’autosuffisance et de l’indépendance par rapport à l’Etat et par-dessus tout, dans la conformité de toutes ses activités aux enseignements du Livre et de la Sunna, et dans l’amour du Prophète et de son petit fils Cheikh Ahmed Tidiane et du respect de toute la famille d’El Hadj Malick SY que nous considérons tous comme nos marabouts. C’est cette rigueur et cette humilité qui lui attirent des cadres de haute facture, tels que Maguette Wade (ancien directeur de l’AGETIP), Saliou Mbaye (ancien directeur de la bibliothèque nationale), Mansour Sarr (ancien Directeur de la SONACOS) et son épouse Fatou Gaye, Ministre de l’Agriculture, Oumar Sarr, Ministre de l’Urbanisme, Boubacar Camara, Secrétaire général du Ministère de la Coopération internationale et de l’Aménagement du Territoire, Bineta Samb Bâ (ancien Ministre), Moussa Seck (agronome Enda Tiers monde), Aliou Diack (PCR Mbane), Gorgui Ciss (PCR Yéne), Alassane Daly Ndiaye (ancien Ministre), Moustapha Diop (UNACOIS), El hadj Mbodj constitutionaliste, consultant, et ancien modérateur de la République, Babacar Séye, Expert de la Banque mondiale, Laye Diarra (styliste),et tant d’autres dans leurs diversités ethnique, politique, régionale et professionnelle. Tous, sans exception, sont les enfants des compagnons de mon père qui ont joué un rôle de premier plan dans la défense et l’illustration de son message. Sans compter ses propres enfants, ses neveux et nièces et beaucoup d’autres qu’on ne peut malheureusement pas citer ici.

Comment est-il parvenu à un tel maillage du territoire ?

A la disparation de Serigne Babacar Sy en 1957, mon père, fils aîné, est devenu son khalife et l’écrasante majorité des talibés de Serigne Babacar s’est ralliée à lui. Il était à l’aise dans la gestion des Dahiras parce qu’il a été le premier à en avoir créé un avec le ’’Dahiratoul Ikhsan’’ à Tivaouane. Une expérience qui lui a permis de faire le maillage du territoire. Sans jamais quitter Fass, il avait un bon sens de l’organisation. J’ai visité il y’a quelques jours des villages de la région de Louga et de Mbour. Mais quand je vois l’implantation de la Hadara dans des villages les plus reculés du Walo, du Ndiambour (Keur Ngounta, Afe Leye, Afe Dieng, Ngana Sall) ou en pays sérère (Diass, Tchiki, Bokhou) ou au Saloum (Ware, Panel, Toki , Mboss) sans compter la base du Cap-Vert, de Yoff jusqu’à Toubab Dialaw et Dakar et sa banlieue, on ne peut s’empêcher de se demander comment un homme, qui a rarement franchi le pas de sa porte, a pu mobiliser une telle base. Comment peut-on disposer d’une telle multitude sans jamais avoir été tenté de l’utiliser comme force de pression, comme le font certains guides qui disposent de beaucoup moins de disciples ? Et comment le Pouvoir public a-t-il pu ignorer royalement, du temps de Senghor comme d’Abdou Diouf, cette multitude à laquelle s’identifie une bonne partie des citoyens sénégalais ? Seydi Djamil avait une vision très progressiste et une grande épaisseur stratégique, c’est pourquoi il a mis ses enfants à l’école française, malgré l’opposition de certaines familles religieuses de Saint-Louis. Jeune élève, j’entendais dans mon entourage des gens dire que c’est le monde à l’envers quand les marabouts envoient leurs fils à l’école. Mon père était un visionnaire.

Si votre père vivait aujourd’hui, il aurait sûrement échangé avec vous sur la situation actuelle du pays, il solliciterait également votre avis. Quel avis auriez-vous émis sur la situation actuelle du Sénégal et quelle serait la position de votre Père (Serigne Moustapha Sy Djamil) ?

Le même avis ; sa présence n’aurait rien changé. Il était vivant quand j’étais Président de l’AESF et militant du MEPAI. Et croyez- moi, je ne m’étais pas gêné pour dire ce que je pensais du régime de Léopold Sédar Senghor. A tel point qu’un jour, ce dernier avait envoyé Moustapha Niang, ancien député-maire de Tivaouane et Mansour Ndiaye Bouna, ancien député-maire de Louga (Paix à leurs âmes) pour signifier à mon père une protestation contre mes activités à Paris dans le cadre du mouvement étudiant. Ils ont été proprement éconduits. Serigne Moustapha Sy Djamil, de son vivant, n’a presque jamais manqué les journaux télévisés et les débats politiques. On les regardait de temps en temps avec lui. Il avait l’habitude de nous poser la question suivante : « Qui sont vos « gars » parmi les « gars » (Ndlr : les politiques) ? Ses enfants avaient chacun son leader politique. J’ai une sœur sympathisante de la Ligue démocratique, une autre supportait Abdoulaye Wade, d’autres le PS ou le PIT ou And jef…

Nos réponses variaient selon nos appartenances politiques. Quand son tour venait et qu’on lui demandait qui était son « gars » à lui, il répondait : Serigne Babacar Sy. C’est pour vous dire que nous n’avons pas la culture de l’unanimité dans la famille. Nous n’avons pas donc de pensée unique. Il lui arrivait de me faire écouter des discours politiques prononcés en mon absence ou d’attendre mon arrivée pour en discuter. C’est le cas du fameux discours d’Abdou Diouf en 1988. A mon arrivée, mon père m’a demandé d’écouter le discours pour en débattre avec lui. Après l’avoir bien écouté, j’ai dit à mon père que le ton du discours du Président était dur. Il m’a dit que les poches des partisans de Diouf sont trouées. En référence à la défaite électorale de Lamine Guèye (face à Senghor), à qui les partisans avaient fait croire que les quatre Communes étaient dans leurs poches. Au soir de son revers, Lamine Guèye avait convoqué ses alliés pour leur demander si leurs poches étaient trouées, au point de laisser choir ce qui y était. C’était pour mon père la meilleure façon de dire que le discours d’Abdou Diouf attestait de l’état de solitude dans lequel il se trouvait. Pour me résumer, du temps de mon Père, la discussion était très ouverte, et s’il était encore là, je ne sais pas s’il m’aurait encouragé et partagé mes positions.

Mais est-ce qu’il ne s’opposerait pas à votre intervention dans l’espace public ?

Il ne m’aurait sûrement pas empêché de m’exprimer, surtout dans un contexte où l’on essaie d’enterrer la Tijaniya et où le Président tient des propos très durs qui nécessitent de l’autre côté une radicalité symétrique. Donc, le silence ne sied pas. On se trouve dans la situation de Camus durant la guerre d’Algérie : « Ma terre natale (Algérie) connait un malheur incessant. Je connais un désarroi et tout un trouble intérieur. Le silence même prend un sens redoutable. A partir du moment où l’abstention elle-même est considérée comme un choix, puni ou loué comme tel, l’artiste qu’il le veuille ou non est embarqué. Embarqué me paraît ici plus juste qu’engagé. » Parce que Camus était agité par un dilemme, il se sentait profondément concerné et douloureusement atteint par un conflit qui le touchait jusque dans sa chair et dans ses affections les plus enracinées. Il poursuit, angoissé, dans son discours de Stockholm, au moment de la remise de son prix Nobel : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. » Oui « restaurer la dignité ou de vivre ou de mourir ». Pour cela, le silence est exclu.

Donc vous-êtes de ceux qui pensent que l’Etat n’est pas équidistant des confréries religieuses ?

Bien sûr qu’il ne l’est pas. Ouvrez votre télé ou lisez les journaux. Je suppose que vous le faites. Référez-vous à la dernière déclaration du Ministre de l’Intérieur, le Ministre du Culte qui doit incarner la neutralité de l’Etat parce qu’il est chargé de gérer cette neutralité, d’en assurer le bon fonctionnement. Mais c’est la catastrophe. Le Sénégal est devenu un pays d’affirmation de l’identité confrérique et ethnique du fait de la classe politique, surtout des Libéraux, qui utilisent l’appartenance confrérique comme un levier ou un paramètre majeur pour redorer son blason et un moyen pour se légitimer à nouveau auprès des populations qui ne semblent plus trop croire en elle. Chacun a certes le droit d’affirmer ce qu’il est, sauf les détenteurs d’un mandat électif.

Le discours religieux se substitue au discours politique que l’électorat potentiel ne veut plus écouter. C’est pourquoi il prend de l’ampleur et vient au secours du discours politique qui s’essouffle et perd de sa vigueur, de sa force de conviction. Les politiciens essaient d’y palier en cherchant à faire vibrer la fibre religieuse et identitaire des populations.

Le Sénégal, qui était fier de sa stabilité politique du fait d’une gestion intelligente de sa diversité culturelle, ethnique, confrérique et confessionnelle, se voit aujourd’hui, du fait des politiciens, surtout de ceux qui nous gouvernent, au bord du désastre. Jamais l’appartenance confrérique et confessionnelle n’a été mise en exergue avec autant d’insistance et d’opportunisme par des nouveaux convertis, des ’’born again’’ à la sénégalaise dont la vigueur de la revendication identitaire fait un peu sourire. Situation très grave. C’est la cohésion nationale qui se délite, le ciment de l’unité nationale qui risque de disparaitre par pans entiers et saper ainsi le socle sur lequel reposent la République, le sentiment national, la citoyenneté, ce « commun vouloir de vie commune ».

« De plus en plus de relations interpersonnelles tournent le dos au sentiment national et à l’esprit citoyen. Il s’agit de relations sectaires, agressives, de clivages et d’intolérance qui ne sauraient laisser de place à une quelconque fibre patriotique, puisque l’on finit par se définir non plus comme des individus, femmes et hommes qui se déterminent par leur appartenance commune à une patrie, une nation, mais plutôt en fonction de leur appartenance religieuse, précisément confrérique, et ensuite ethnique », comme le décrit le Pr Mamadou Mbodj, Psychologue, Maître-assistant à l’UCAD, dans un document intitulé : « Où va le Sénégal ? ».

Plus grave encore, cette situation « a ceci de particulier, pour le Pr Mbodj, que les systèmes et mécanismes qui y permettaient de juguler cette violence, ou tout au moins de la contenir dans les limites gérables, se sont, au fil des années, érodés ou saturés et se sont révélés comme des mécanismes générateurs de germes de cette violence même qu’ils sont censés contenir. » Il suffit de voir la réaction révoltée des jeunes tidjanes de Tivaouane après les déclarations du Ministre de l’Intérieur. Ce dernier confirme, à l’image de son Chef, que ceux qui nous gouvernent ignorent totalement leurs fonctions.

Pour en revenir à votre père, il parait qu’il est doublement Khalife. Khalife de El Hadj Malick Sy et Khalife de Mame Malick Sall de Louga.

Quand El Hadj Malick Sy a quitté Ndiarndé à la fin du séminaire de formation des formateurs, qui a duré sept ans, il voulait s’installer à Louga, qui lui était recommandé à cause de la fertilité des terres. Mais il y trouva Mame Malick Sall, le grand-père maternel de Serigne Moustapha Sy. Il lui rendit visite. Avant de rentrer dans sa demeure, il demanda aux disciples qui l’accompagnaient de changer la palissade qu’il a trouvée dans un mauvais état.
Après son entretien avec Mame Malick Sall, il déclare avoir trouvé là un Saint accompli (Fékk naafi mak, au sens propre et au sens figuré). Il avait 60 ans de plus que lui. Il décida de partir et alla s’installer à Tivaouane par respect et considération pour le Saint homme de Ndiambour, que l’actuel Khalife général des Tidianes, Serigne Mansour Sy, Boroom daaradji, appelle : « Un homme Saint, un savant célèbre dans toute la contrée, un érudit, le mufti de son Etat dont il était le guide et le modèle » dans un poème émouvant empreint de grandeur et de générosité de la part de Serigne Mansour Sy. El Hadj Malick Sy ira donc à Tivaouane. Mais les enfants des deux Malick (Malick Sall et Malick Sy) se sont mariés pour donner naissance à Seydi Djamil. L’acte fondateur de Tivaouane (parce que s’il n’y avait pas Mame Malick Sall à Louga, peut-être El Hadj Malick Sy se serait installé là-bas et non à Tivaouane) est aussi le marqueur annonciateur du destin de Serigne Moustapha Sy Djamil.

Selon vous quelle doit être la mission du chef religieux ?

J’ai un grand ami dans le mouridisme qui s’appelle, Abdou Fatah Mbacké. C’est l’actuel Khalife de notre Vénéré père Serigne Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma. C’est un excellent intellectuel. Il me disait un jour : tu es un banquier par accident et moi je suis économiste et financier par accident, mais notre vraie fonction, c’est celui de chef religieux. La casquette que je porte le mieux est, à mon avis celle de guide religieux, étant entendu qu’au Sénégal tout guide religieux, est également un guide politico- religieux. Cela est vrai aujourd’hui aussi bien pour la famille d’El Hadji Malick Sy, de Serigne Touba, que pour celle d’El Hadji Omar Foutiyou Tall. Ce dernier était à la fois un saint, un empereur de 28 royaumes, un écrivain, un général de guerre. Il incarnait dans sa vie cette synthèse des différents rôles qu’un guide religieux doit assumer. Le chef religieux ne peut pas être à l’écart de ce qui se passe dans son pays. On ne peut pas faire des prêches sur l’enfer de l’au-delà, alors que tu as l’enfer devant ta porte et tu n’en parles pas. Pendant la guerre du Golfe, je ne supportais pas les khutba (prêches) des imams de la Mecque et de Médine. Ils parlaient des ablutions. Alors que je considérais que vu les questions d’actualité, un imam doit être inspiré, dans son discours hebdomadaire, par ce qui se passe dans sa communauté. Je donne souvent le cas d’El Hadji Omar comme l’exemple de chef religieux.

Que pensez-vous de l’idée selon laquelle les chefs religieux ne doivent s’occuper que du culte ?

Si on relit l’histoire du Sénégal, on se rend compte que les marabouts ont toujours fait de la politique, chez les mourides comme chez les tidianes. On dit que la politique est très sale, mais je ne la considère pas telle. Il y a plutôt certains politiciens qui sont sales, pas tous. Je ne vois pas comment le fait de s’occuper de l’éducation de ses enfants dans les meilleures conditions, la santé des populations, de l’organisation de la vie en communauté, de « problèmes politiques concrets » peut être sale ; si la politique a été salie, c’est le fait de celui qui s’en occupe. En tout état de cause, je me sens à l’aise en assumant la casquette de guide religieux et celle d’homme qui a son mot à dire sur les grandes questions qui intéressent sa communauté. Il doit le faire à la lumière de la foi qui l’anime. Il le fera mieux de cette manière. Sinon le Pr Abdoulaye Ly, Historien, homme politique, s’interroge : « Comment parler en particulier, à l’écrasante majorité d’un peuple multi séculairement musulman, à des degrés divers, de ses problèmes politiques concrets, sans se situer dans sa culture présente, et par conséquent, sans prendre des références dans le Coran qui la marque si profondément » (dans « Pour une politique novatrice de gauche en Afrique- NEAS 2008). Et c’est pour ces raisons que j’ai été aux Assises nationales, parce qu’aussi, j’ai un vécu de militant, une expérience que j’ai mise en veilleuse pendant 26 ans et que je veux aujourd’hui capitaliser et mettre au service de mon peuple. J’étais dans une Organisation internationale qui m’imposait un devoir de réserve, mais à un certain moment l’exigence de participer à l’effort collectif pour sortir le Sénégal de l’impasse était tellement forte que j’ai été obligé de prendre une retraite anticipée de la Banque Islamique de Développement (BID).

On considère souvent, surtout en occident, l’Islam comme étant une religion antagoniste de la modernité. N’est-ce pas une mauvaise compréhension du Coran ?

La modernité est établie dans les enseignements du Coran et dans les enseignements du Prophète (Psl). Le problème qui se pose souvent est que de nombreux musulmans eux-mêmes, pour ne pas dire la plus grande majorité, n’ont pas compris le Coran. Que dire alors des autres ? La modernité est dans l’Islam. La modernité c’est quoi ? C’est la science et la technologie ! Le premier verset du Coran, dit : Apprends ! Allez à la quête du savoir. Aujourd’hui, l’élément clef de la modernité, c’est la recherche de la science et de la technologie. Dans tous les grands pays du monde, l’élément déterminant dans les programmes des Etats, c’est l’éducation. Regardez la place que l’éducation occupe dans l’histoire de la France.

Ce qui fascine dans le Coran, c’est que le message est tellement clair qu’un chauffeur de taxi dans un pays arabe peut comprendre le texte. Il n’aura pas besoin d’interprète. C’est un peu différent chez nous. Il y a, certes, certains aspects (les versets à portée juridique par exemple) qui ont besoin de l’éclairage d’un spécialiste, mais l’essentiel du texte coranique n’a pas besoin d’interprète, même s’il y a eu quatre doctrines du Fiqh dans l’Islam, donc quatre façons de comprendre et d’interpréter la Sharia. On n’a pas une lecture unique, mais une lecture plurielle. Avant la chute de l’Empire ottoman, l’Islam n’avait pas assez investi dans l’éducation. Lorsqu’à Istanbul vous visitez les grands palais où ont résidé les grands princes musulmans, vous vous rendrez compte que même les lavabos sont en or massif. Si les Sultans qui ont investi dans ce luxe avaient orienté leur action dans la recherche et la science, le monde musulman ne serait pas dans sa situation actuelle. On se rend compte que ces princes étaient jouissifs, ils construisaient des harems au lieu de favoriser l’éducation et la formation. Encore que ces harems n’ont rien à voir avec l’Islam. C’est valable pour les monarchies du Golfe, à l’exception du Roi Abdallah d’Arabie Saoudite, et peut-être de l’Emir des Emirats Arabes Unis qui ont pris l’option de la modernité.

Etes-vous d’accord avec ceux qui pensent qu’on doit enseigner le fait religieux à l’école ?

L’exigence d’une information religieuse adéquate se fait sentir partout dans le monde, y compris dans les sociétés occidentales qui doivent faire face à « la menace de plus en plus sensible d’une déshérence collective, d’une rupture des chaînons de la mémoire nationale européenne, où le maillon manquant de l’information religieuse, rend strictement incompréhensible, voire sans intérêt, les tympans de la cathédrale de Chartes, la crucifixion de Tintoret, le Don Juan de Mozart, le Booz endormi de Victor Hugo et la Semaine sainte d’Aragon », explique Régis Debray dans le Rapport consacré à l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, adressé au Ministre de l’Education nationale. Et il poursuivit : « Comment comprendre le jazz et le Pasteur Martin Luther King sans parler du protestantisme ? ». Nous dirons également dans le même ordre d’idée « Comment comprendre la politique au Sénégal sans parler de l’impact et de l’influence des confréries religieuses ? ».

Je vais vous lire un texte de Nietzsche. « La notion de Dieu a été inventée comme antithèse de la vie. Et elle se résume en une unité épouvantable de tout ce qui est nuisible, venimeux, calomniateur, toute haine de la vie (…) ». Cet extrait, l’école laïque l’enseigne à nos enfants et dans les lycées, les universités. Je trouve que par esprit de justice et pour faire un équilibre, de la même manière qu’on enseigne des textes qui nient l’existence de Dieu, de cette même manière on doit enseigner les textes qui font l’apologie de la religion. Mieux, une pratique rationnelle de la Religion exige la formation des fidèles des différentes confessions. L’absence de formation religieuse est un terreau fertile au fanatisme et à l’intolérance qui sont le fait d’individus n’ayant pas une bonne information religieuse. L’un des objectifs de l’école laïque est de protéger les enfants des dangers de l’intolérance religieuse en leur inculquant une formation bâtie sur des valeurs universellement reconnues. L’esprit de laïcité ne devrait rien avoir à redouter ici. Du reste, la relégation du fait religieux hors des enceintes de la transmission rationnelle et publiquement contrôlée des connaissances, favorise le fanatisme et l’irrationalisme. C’est un appel que je fais pour que le fait religieux soit enseigné, je parle du culte et de la pensée religieuse toutes religions confondues.

A partir de ce que vous venez de dire, comment le musulman doit-il se comporter dans une société laïque, surtout dans un pays comme la France qui a une lecture, comme vous dites, anticléricale de la laïcité ?

Tout ce débat qui dure depuis des décennies traduit la difficulté des européens à accepter l’autre en l’occurrence le musulman et sa visibilité. Plus que jamais, l’Islam est au cœur du nouveau siècle.

En Europe, les débats sont plus passionnés que jamais : la burqa, les minarets suisses, etc., l’homosexualité au Pays-Bas, le mythe d’un Islam conquérant, tout y passe. Et pourtant la perception que les européens ont de la troisième religion monothéiste est fort ancienne. En témoignent les nombreux auteurs classiques intéressés à la religion musulmane qui a toujours suscité des réactions passionnées de l’enthousiasme à la méfiance. De Pascal à Montesquieu et Voltaire, aux islamologues du XXème siècle, Massignon ou Rodinson, ce regard français qui a traversé les siècles offre le recul nécessaire pour mieux comprendre le monde présent : l’Islam n’a pas fini d’agiter la conscience occidentale, en remuant, chez-elle, autant les tensions les plus enfouies et les frustrations les plus sublimes que les saines espérances. Mais les vexations et les frustrations, plusieurs fois séculaire sont également enfouies dans la conscience de l’ancien colonisé, aujourd’hui émigré musulman.

Cependant je pense que les musulmans dans les pays européens doivent gérer la peur qu’ils ont contribué à créer dans un contexte international marqué par l’Islamophobie. Mon père m’a appris que quand tu es dans un pays qui n’est pas le tien, il faut savoir marcher au rythme de leur coutume. Je sais que ce n’est pas toujours possible. Mais un compromis est nécessaire. Les chinois sont en Europe depuis combien d’années, on ne les entend pas sur des troubles. J’étais le premier à poser le problème des minarets lors d’un débat international. Ce n’est pas une question essentielle, mais du point de vue du principe, c’est le fait de vouloir restreindre la visibilité des musulmans qui exige une réaction de solidarité. Mais, du point de vue du plaidoyer et de la stratégie d’intégration en France, les étrangers exagèrent parfois « un tout petit peu ». J’ai assisté un jour à une scène incroyable sur les Champs Elysées pendant la fête du nouvel an. Il y avait des jeunes de la banlieue, des arabes pour la plupart, qui scandaient des slogans en agitant le drapeau de l’Algérie. Les français les identifiaient à des musulmans alors qu’ils tenaient des bouteilles de champagne dans l’autre main, tout en hurlant des slogans. Il est vrai qu’on peut trouver le même type de provocation près de certaines forces d’extrême droite ou même de la police française. Il faut que les esprits se calment.

La Rédaction

lagazette.sn

Ps: Lire la première partie de l’interview.

1 COMMENTAIRE

  1. je suis de tout coeur avec sa vision qui consiste a dire son mot dans les affaires e la cite.Paton disait si vous ne vous mele pas des affaires de la cite tu seras sanctione parceque tu seras dirige par des gens qui te son inferieur.
    Qe le toutpuissant lui donne longue vie

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