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Issa Cissé, tirailleur sénégalais : «Le jour où Dakar a été bombardée…»

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Au moment où le pays célèbre durant l’année 2010 le cinquantenaire de son Indépendance, nous avons tendu le micro à Issa Cissé, un tirailleur sénégalais de la seconde génération, celle qui a fait la guerre 39/45. En dépit de ses 88 ans, il a encore les idées bien en place, et dégage une réelle joie de vivre. L’homme que nous avons trouvé chez lui aux Hlm, au milieu d’un vaste salon avec pour seul décor sa photo en uniforme militaire, nous a conté l’histoire du bombardement de Dakar. Un récit qui relate un temps colonial où il ne faisait pas bon d’être noir. Les raisons de l’expédition.
Image«Je suis ancien tirailleur sénégalais, engagé dans l’Armée française le 4 novembre 1942 à Dakar. Le 23 septembre 1940, Dakar a été bombardée. A l’époque, je travaillais comme apprenti à la marine nationale française. J’ai assisté au bombardement. J’ai tout vu de mes propres yeux. Le conflit a éclaté à cause de deux camps qui s’opposaient pendant l’occupation : ceux qui étaient pour la France libre, et ceux qui sont restés fidèles au gouvernement du maréchal Philippe Pétain, celui-là même qui a signé la capitulation de la France face à l’Allemagne nazie de Adolf Hitler. Tout ce qui intéressait le Général De Gaulle, c’était, comme il l’a dit lui-même, de rallier à sa cause les colonies d’Afrique pour mener la contre-offensive. Or, le gouverneur général de Dakar, Pierre-François Boisson est resté fidèle au gouvernement de Vichy. Malgré tout, De gaulle a tenté le coup et a cherché à débarquer.»

Stratégies
«Les hommes du Général ont d’abord commencé par lancer des messages. Ils ont largué au-dessus de Dakar des milliers de tracts pour expliquer leur cause et préparer en même temps les esprits. Ces tracts, ils les appelaient des messages. On y lisait que les hommes de la France libre avaient besoin de Dakar comme base arrière pour aller libérer la France à partir de l’Angleterre. Nous étions adolescents ; je n’avais à l’époque que 17 ans.
Au sol, les populations de Dakar se sont précipitées sur les tracts sans savoir réellement de quoi il s’agissait. A l’époque, ceux qui savaient lire et écrire en français se comptaient sur le bout des doigts. Les gens fréquentaient plutôt l’école coranique.»

Bruits de bottes
«Le bruit ne tarda pas à se répandre que Dakar va bientôt être attaquée en raison de son statut de capitale de l’Afrique occidentale française (Aof),  mais aussi et surtout de sa position stratégique qui en faisait une plaque tournante ouverte sur les tous les continents.
Le matin du 23 septembre, à la bonne heure, on voit des avions tourner autour du ciel de Dakar. A 10H00, les bombes commencent à tonner et à pleuvoir. C’est le navire de guerre du gouverneur de Dakar qui a ouvert les hostilités en tirant sur le bateau De Gaulle arrimé au large. Vous savez, quand on tire sur vous et que vous avez les moyens de réagir, vous réagissez. C’est ce qu’ont fait les hommes de De Gaulle ; ils ont riposté comme il se devait. Les combats, ce n’était pas de la plaisanterie. C’était à l’arme lourde. Vous imaginez ! Des bombes tombaient sur nous ! Les obus pleuvaient sur Dakar.
La vie est totalement suspendue dans la capitale. C’est la panique générale. Le gouverneur Boisson, qui est un allié de Vichy, donc un adversaire pour De Gaulle, est intraitable. De Gaulle a dit qu’il va débarquer pacifiquement parce qu’il ne veut pas d’effusion de sang à moins qu’il n’y soit contraint et forcé. Mais sa précaution n’a été d’aucune utilité car le gouverneur vichyste ne lui a pas donné le choix. Je rappelle que lorsque l’Allemagne occupait encore la France, tous les bateaux de guerre qui l’ont pu ont fui pour regagner Dakar. Il y avait un grand bateau qui s’appelait le Roselier, c’était un grand porte-avions. Un vrai mastodonte qui crachait partout et sans cesse du feu ! C’est ce bateau qui tirait sur les soldats de la France libre… En période de guerre, il ne suffit pas d’être innocent pour avoir la vie sauve ; il faut beaucoup de chance.»

Panique générale

«Les éclats d’obus sont tombés sur nous à la marine. C’était le sauve-qui-peut. Tout le monde court dans tous les sens pour chercher un abri. La marine est bombardée un peu plus tard. Pendant deux jours, nous sommes bloqués dans l’enceinte de la marine. Personne ne peut entrer ni sortir. C’est le désordre total. Tous les murs sont défoncés. Un spectacle désolant. La plupart des habitants de Dakar se réfugient au niveau du Parc de Hann. C’est le seul endroit qui semble présenter des gages de sécurité. Les combats durent 3 jours. De Gaulle, faute d’avoir pu prendre Dakar, est obligé de rebrousser chemin en se repliant sur Brazzaville où il a beaucoup de soutiens. Evidemment, il y a eu beaucoup de morts civils, sans que leur nombre ait pu être établi avec exactitude ou officiellement communiqué.»

L’horreur pour un Libanais
«A l’avenue Lamine Guèye d’aujourd’hui, je suis témoin d’une horreur. Nous les sarakholés de Bakel comme c’est de coutume à l’époque, nous avons une chambre sur l’avenue Gambetta, le lieu actuel de ce qui est nommé «salle de ventes». En fait, des copains à moi sont venus se faire un peu d’argent. Lorsque nous quittons les lieux après avoir réussi à quitter la marine pour nous rendre à Hann, les obus pleuvent de plus belle. Au même moment, un Libanais sort de sa boutique. Arrivé entre la salle de vente et l’avenue Faidherbe, un obus le foudroie en lui coupant sa tête. Le pauvre fait plusieurs tonneaux comme une voiture accidentée avant de tomber raide mort. Cela, je l’ai vu de mes propres yeux.»

Hann, le seul endroit sûr
«Avant que je ne réussisse à m’extirper de la marine, ma mère est déjà à Hann avec toute la famille. Elle a été bien inspirée. A l’époque Dakar se limitait au seul quartier de la Medina qui va de la rue 22 à la Gendarmerie. Le quartier de Colobane n’existait pas encore.»

Discrimination dans les rangs
«Il faut savoir que nous n’avons pas les mêmes droits, nous autochtones du Sénégal… Je marche pieds nus de Sandaga au camp Leclerc car je n’ai pas de chaussures. Nous les indigènes, on nous fait coucher par terre. Quant aux citoyens français des quatre communes, ils ont tout ce qu’il faut. Ils se considèrent naturellement comme supérieurs. Ils ont des costumes cravates. Nous, nous n’avons que des chéchias. Mes camarades d’armes et moi avons trop souffert. Pour la nourriture, nous nous contentons du pain et du riz. Un jour, nous nous sommes révoltés car les chefs nous ont fait transporter des briques sur nos têtes.»
«Lors de notre séjour à Thiès, nous avons rencontré un bon commandant. Il engage une femme Serere chargée de nous préparer un bon couscous (…) Les colons nous considèrent comme des sous-hommes, des moins que leurs chiens. Aujourd’hui, nous pouvons dire avec certitude et vérité que la France n’a pas été reconnaissante à notre égard. Nous nous étions engagés à ses côtés pour lutter contre le nazisme et libérer son territoire. C’est un sacrifice énorme que nous avions consenti (…)
Lorsque De Gaulle lance son appel, il est carrément désespéré. C’est ce qui m’a décidé à entrer dans l’Armée. Le recrutement a lieu alors à la rue de Thiong. Lorsque j’ai été déclaré apte à servir, cela a étonné beaucoup de monde car j’étais tellement petit et chétif. Je ne pèsais que 45 kilos. Le médecin examinateur détaché pour le recrutement est un colonel, c’est le fils de Galandou Diouf. Il m’a donné une tenue courte, un chéchia…»

lequotidien.sn

4 Commentaires

  1. Ce sont des témoignages de ce genre dont nous avons besoin. Nous avons besoin de connaitre notre histoire; racontée par ceux qui l’ont vécu . Au journalistes de dénicher des sénégalais qui ont vécu les événements de 62; la fédération du Mali; la visite de degaulle en 58, mai 68 et qui n »étaient dans aucun camp mais observateurs (surtout pas le genre porteurs de pancartes)

  2. vraiment c’est bien narré avec beaucoup de renseignements.je suis satisfait de connaître l’histoire du bombardement de dakar.c’est dire avec certitude que bon nombre de sénégalais ignore.merci grand père

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