(APS) – Il a fallu lui courir après, l’arrêter momentanément dans ses incessants va-et-vient entre le fleuve Casamance où elle puise de l’eau et ses produits maraîchers qu’elle arrose avec amour pour lui arracher quelques mots. Du matin au soir, Diarra Biaye, une mère de famille âgée de plus de soixante ans, trime dur pour nourrir sa famille logée dans un quartier de la commune de Kolda.
Elle parle peu, faute surtout de temps, et quand on l’interpelle sur la journée du 8 mars, Diarra Biaye ne cache pas qu’elle n’en sait rien du tout ou presque peu.
‘’J’ai entendu, dit-elle, parler de la journée de la femme, mais comme vous le voyez ma journée à moi c’est ici que je la passe. Je ne connais même pas ma datte de naissance exacte, je n’ai pas été à l’école et ces choses-là c’est pour celles qui ont été à l’école. Nous autres, nous comptons sur nos efforts pour survivre et à ce propos je rends grâce à Dieu, car à travers l’exploitation de mes jardins j’ai bâti ma propre maison et je prends en charge toutes ma familles. Même mes enfants mariés sont à ma charge et je continue à les soutenir grâce aux fruits de mon travail’’.
Elle a au total 12 bouts de Dieu, mais neuf ont survécu. Née à Linkéring dans le département de Vélingara non loin de la frontière avec la République de Guinée, elle se souvient être venue s’installer à Kolda ‘’à l’époque des Blancs, bien avant l’arrivée de Senghor’’. ‘’A cette époque, ajoute-elle dans une pointe de nostalgie, le pont enjambant le bras du fleuve Casamance et menant an centre-ville de Dakar était en chantier’’.
Revenant subitement au présent, elle raconte qu’elle se lève à 6h à tous les matins et après la prière elle se rend d’abord au marché pour écouler les produits de ses micro jardins : gombo patate, oseille, haricot, mais et riz.
Simple et efficace, son procédé lui assure une production en continu : ‘’si, explique-t-elle, le fleuve est rempli d’eau pendant l’hivernage, je remonte un peu plus haut et dés après la saison des pluies je reviens à ma place habituelle pour continuer mon jardinage. Ici, je suis propriétaire de cinq parcelles et j’en ai prêté deux à des femmes qui exploitent pour nourrir leurs familles’’.
A l’image de Diarra Biaye, plusieurs femmes du Fouladou se consacre entièrement au travail pour soit participer à la prise en charge des besoins de la famille ou soit remplir l’espace laissé vacant par le père de famille. Ce dernier étant absent pour diverses raisons tel que le décès, le divorce ou l’abandon du domicile conjugal.
A en croire, Diarra Biaye, ‘’la femme est fatiguée à Kolda du fait qu’elle prend généralement tout en charge. Elle est dans les champs, les +louma+ (marchés hebdomadaires), à la maison pour les travaux ménagères et ce sans soutien dans la plupart des cas. Nos enfants ne travaillent pas et même s’ils sont à un âge avancé nous sommes obligés de les nourrir’’.
Quand on la relance sur la journée de la femme, elle rétorque du tac au tac : ‘’pour la journée réservée à la femme il faut aider les femmes de Kolda’’. Il faudra bien y réfléchir sur la manière dont les autorités vont recueillir leurs doléances, car, dit-elle, ‘’nous sommes entre les champs, les rizières, les marchés, etc. Nous rentrons à la maison très tard le soir’’.
Pourtant, Diarra Biaye rêve un jour de rencontrer le chef de l’Etat où un ministre, histoire de se faire aider un tant soit peu. Fataliste, elle affirme : ‘’je souhaite obtenir cela avant ma mort et je sens qu’il ne me reste pas beaucoup à vivre’’.
Au problème de revenus dont parle la sexagénaire, il convient d’ajouter une multitude de difficultés auxquelles sont confrontées chaque jour les Koldoises : les mariages forcés, les grossesses précoces, les violences physiques ou morales, les maladies comme les fistules.
Diarra Biaye ne sera pas de la partie (occupée qu’elle est par ses jardins), mais les organisations féminines du Fouladou célèbreront tant bien que mal la journée du 8 mars par des activités de sensibilisation à travers des conférences, des soirées culturelles pour dénoncer toutes formes de violences basées sur le genre et réclamer une égalité pour tous dans une région considérée comme l’une des plus pauvres du Sénégal.
MG/CTN