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Karim Wade: « il n’existe aucune limite… à l’exception du Ciel ! »

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Le Ministre d’Etat, Ministre de la Coopération internationale, des transports aériens, des infrastructures et de l’énergie, a accordé une «interview bilan», au journal «New Africain, le magazine de l’Afrique». Cet entretien est un document qui pourrait servir aux libéraux pour mieux exposer aux sénégalais les réalisations de 2000 à 2011 et les perspectives économiques du Chef de l’Etat pour l’après 2012. Dans cette interview réalisée par Hichem Ben Yaïche, Karim Wade dit tout sur Sénégal Airlines, Dubaï Port World, sur la SENELEC, AIBD, etc.

 

Vous êtes en charge, depuis 2009, de plusieurs portefeuilles ministériels de poids, avez-vous eu le temps de faire une évaluation à mi-parcours de votre travail ?

Oui et les résultats sont là ! Le pays a profondément changé grâce à la mobilisation des ressources dans les secteurs stratégiques. Je pense aux infrastructures, à l’agriculture, à l’éducation ou encore à la santé. Aujourd’hui, le Sénégal est même en avance, dans certains secteurs, par rapport aux Objectifs du millénaire. Pour y arriver, nous avons optimisé nos capacités auprès de bailleurs de fonds traditionnels ou nouveaux, mais également au travers d’émissions obligataires. Le pays ne dispose pas de ressources naturelles suffisantes pour autofinancer son développement. Il n’y a pas de pétrole ou de mines qui permettent de générer des revenus suffisants pour tirer le pays vers l’émergence. Cependant, nous avons une position géographique exceptionnelle. Nous devions en tirer parti, et c’est ce que nous avons fait avec des infrastructures portuaires, aéroportuaires ou encore routières. L’idée était d’offrir une parfaite connectivité entre notre économie et la sous-région. Un de nos succès a été le port de Dakar. Il est aujourd’hui un des ports les plus performants d’Afrique. Il permet d’améliorer les temps de transit, mais de réduire aussi le coût des importations pour les Sénégalais. In fine, le pouvoir d’achat s’améliore et des emplois sont créés.

Dans quelles conditions se déroulent vos négociations avec les bailleurs de fonds pour financer et appuyer vos projets ?

Deux possibilités s’offrent à nous pour financer un projet. Nous pouvons nous adresser soit à la coopération bilatérale, soit développer des PPP – des partenariats publics privés. C’est ce que nous avons fait, par exemple, pour le port de Dakar avec Dubaï Port World (DPW). D’un autre côté, à mon arrivée, je m’étais donné quatre mois pour faire un diagnostic sans complaisance de nos installations dans le secteur de l’énergie. Nous nous sommes adjoint les services des meilleurs experts internationaux (McKinsey, EDF…). Nous avons établi un plan d’action d’urgence, puis nous nous sommes tournés vers les bailleurs de fonds. Nous avons réussi à trouver le financement dans un temps record pour réhabiliter les centrales de la Senelec. Mieux, nous avons également trouvé le financement pour des barges et des unités de production d’électricité conteneurisées.

Tous ces projets sont certes importants et ambitieux… Or le pays a des urgences. Les coupures d’électricité sont monnaie courante, lesquelles exaspèrent la population. Comment pensez-vous pallier ce problème à court terme ?

Lorsque j’ai été nommé ministre, il y avait déjà des coupures d’électricité. Voilà plus de vingt ans que le Sénégal vit avec ce genre de désagrément. L’impatience des Sénégalais est justifiée. Tout le monde en souffre, que ce soit sur les lieux de travail ou à la maison. La situation que nous vivons est la conséquence de cinquante ans de mauvaise gestion. La Sénélec a des centrales qui remontent à 1966. Une partie du réseau électrique de Dakar ou des villes secondaires du pays remontent même à… 1936. Il était temps de faire un état des lieux.

Nous avons ainsi conçu un plan d’urgence, le plan Takkal, pour restructurer le secteur de l’énergie. Il s’articule autour de plusieurs phases. À court terme, nous allons déployer des capacités temporaires pour entreprendre des travaux de réhabilitation dans les centrales. À moyen terme, nous allons arriver au charbon qui permettra de réduire de manière substantielle le coût de l’électricité. Le plan que nous avons mis en place traite également les problèmes liés à la production, au transport et à la distribution d’énergie. Le plus gros problème que nous avons concerne l’électricité… Le déficit que nous connaissons s’explique en grande partie par les performances réalisées par l’économie sénégalaise depuis une dizaine d’années. Le président de la République, Abdoulaye Wade, et l’équipe gouvernementale ont multiplié par quatre, en dix ans, le nombre de consommateurs d’électricité. De 280.000, les clients de la Société nationale d’électricité sont passés à 800.000 !

Augmenter le nombre de consommateurs d’électricité si vite n’était-il pas risqué face à la capacité de production réelle du pays ? Comment expliquez-vous l’absence de vision prospective sur cette question ?

Absolument, mais les politiques menées avant l’alternance ne considéraient pas le secteur de l’électricité comme urgent, car peu de Sénégalais y avaient accès. Les bailleurs de fonds préféraient investir dans l’éducation, la santé, l’agriculture… Pour moi, ce secteur de l’énergie est prioritaire. J’en discutais encore avec les ambassadeurs de l’Union européenne il y a peu de temps. Ils me faisaient remarquer que produire de l’électricité absorbait beaucoup de nos ressources. Ma réponse a pourtant été claire. Nous ne faisons pas d’erreur. L’électricité à l’instant «T1» va générer de la croissance, de la création d’emplois et de l’investissement à un temps «T2». Le président de la République, grâce à ses relations internationales et aux liens de coopération qu’il a pu construire avec un certain nombre de pays, nous a permis de mobiliser dans des temps records des investissements qui, normalement, prendraient trois ans, ou plus.

Au-delà de Senelec et du plan Tàkkal, pourquoi le Sénégal a-t-il de tels problèmes ? Les pays voisins semblent mieux s’en sortir…

Les autres pays ne font pas exception. Le Sénégal n’est pas le seul État à connaître des problèmes de délestage électrique. Récemment, j’ai été dans un pays arabe qui possède des ressources financières importantes et du pétrole dans ses sous-sols. Et pourtant, lui aussi connaît des problèmes de délestage. Cependant, l’électricité au Sénégal a pris une place considérable dans la société en raison du progrès social et économique. La plupart des Sénégalais ne peuvent plus s’en passer. L’électricité est désormais entrée dans les mœurs, c’est un droit légitime ! Par rapport au plan Takkal, un de nos objectifs est de positionner correctement nos capacités. Je pense notamment au charbon. Nous cherchons à construire un mix énergétique adapté qui tienne compte de notre potentiel hydroélectrique avec les Organisations internationales pour la mise en valeur des fleuves Sénégal (OMVS) et Gambie (OMVG). Nous souhaitons à terme pouvoir offrir notre production à d’autres pays. Notons, cependant, que 90 % de notre production actuelle est à base de pétrole… C’est beaucoup trop ! Il est impératif de diversifier notre production d’électricité. Elle ne doit pas dépendre uniquement de cette matière fossile. Avec l’envolée du prix du baril, les conséquences peuvent être catastrophiques pour notre économie.

Vous êtes également en charge des transports aériens. Dakar est en train de se doter d’un nouvel aéroport, l’AIBD. Des travaux sont en cours. Où en est-on par rapport au calendrier de sa réalisation ?

Nous suivons le calendrier comme prévu. Ce nouvel aéroport sera un des plus modernes d’Afrique… mais aussi un des plus innovants. Innovant sur le plan financier tout d’abord. Ce projet a été structuré sans coûter un franc à l’État. Mais dès qu’il sera opérationnel, il va en générer plusieurs milliards… et l’État en sera en partie bénéficiaire grâce aux redevances de concessions payées par les opérateurs. Cette manne permettra de financer d’autres projets comme l’éducation, la santé, l’agriculture… La plupart des aéroports de la sous-région génère « zéro » franc à l’État. C’est par exemple le cas de l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor de Dakar. Le projet commencé en 2007 est également innovant en raison de son infrastructure, son design et son architecture. Indirectement, l’Aéroport international Blaise-Diagne (AIBD) va aussi créer des milliers emplois, notamment dans les services. Sa capacité est de trois millions de passagers par an.

Les compagnies sont en train d’affluer pour ouvrir à Dakar. L’AIBD va nous permettre d’accélérer le processus de développement du territoire et de désengorger la capitale et sa banlieue. Grâce à cet aéroport, le Sénégal va devenir un véritable «hub» sur le continent. Un des gros problèmes que nous avons est la surpopulation autour de Dakar. Nous connaissons des problèmes de délestage, d’infrastructures, d’assainissement ou encore d’inondation. Ce nouvel aéroport va aider à créer un nouveau pôle d’attractivité. De même, il va être connecté à un cargo-village et une zone économique spéciale à l’image de ce qui se fait à Singapour, Hong-Kong et Dubaï. Notre ambition est de devenir un « hub » industriel et commercial.

Qui dit aéroport, dit avions. Air Sénégal International a été liquidée. Vous avez du coup relancé le projet d’une compagnie nationale en 2009 et Sénégal Airlines est né. Pouvez-vous nous parler davantage de cette nouvelle compagnie et de son montage financier ?

Sénégal Airlines est un projet qui nous est cher, car c’est la première fois depuis notre indépendance en 1960 que le Sénégal a son propre pavillon. Les Sénégalais ont déjà été actionnaires dans des compagnies aériennes (Air Afrique et d’autres), mais jamais à 100 %. Cette aventure a été possible grâce à des privés associés à l’État. Par ailleurs, un partenariat international technique, commercial et stratégique a été établi avec la compagnie aérienne Émiraties. Nous avons un mode de gouvernance bien définie. Des « privés » gèrent la société, mais l’État défend nos droits de trafic comme le font les autres États.

Aujourd’hui, le Sénégal a des atouts, des ambitions… Pour accéder au statut de pays émergent, comment voyez-vous les conditions de ce passage ?

Le Sénégal est déjà dans cette logique de modernisation. Plusieurs facteurs sont là pour le justifier, comme le montre le développement de nos infrastructures. De même, l’industrialisation du Sénégal passe inévitablement par une production d’électricité suffisante, mais à un coût compétitif. C’est un passage obligé dans ce processus d’émergence. Il est important de se démarquer de son voisin. Et de faire mieux. De notre côté, nous sommes en train de créer des avantages comparatifs significatifs pour amener les investisseurs chez nous. Le deuxième point important est la réforme de notre administration pour être plus proche du citoyen. Le Sénégal est sur la voie de l’émergence. Bien sûr, il existe encore des problèmes, mais nous sommes en train de les résoudre.

Le Sénégal a choisi de multiplier ses partenaires en s’adressant à la Chine, l’Inde ou encore au Brésil. Expliquez-nous ce choix. Et comment votre pays est-il perçu au-delà de vos frontières ?

Tout le monde le dit : l’Afrique est la zone de croissance future. Chacun veut investir. Cependant, les gouvernements étrangers recherchent de la visibilité et des garanties. L’« afro-pessimisme» qu’on observe chez certains de nos partenaires n’existe pas avec les pays émergents. C’est une réalité ! Mais attention, le Sénégal n’a pas «choisi» ces partenaires. Ils se sont imposés d’eux-mêmes. La richesse du monde s’est transférée, depuis quelques années, vers de nouvelles régions : l’Amérique du Sud, le Moyen-Orient et l’Asie. Des pays sont devenus des acteurs économiques importants comme la Chine, le Brésil, la Russie et certains pays du Golfe. Nous avons ouvert des chemins vers ces pays qui sont devenus des mastodontes sur le plan économique parce qu’ils perçoivent l’Afrique comme un relais de la croissance mondiale. Nous restons très attachés à la coopération avec les partenaires traditionnels. Néanmoins, nous recherchons les meilleures références, les meilleures compétences et les prix les plus bas possibles pour réaliser nos projets.

Revenons encore au Sénégal. Le pays connaît des difficultés dans différents secteurs : énergie, éducation, agriculture… Pensez-vous que la population comprenne la politique menée par le gouvernement ? De nombreuses critiques ont été formulées à votre égard.

La vraie difficulté, c’est la communication. Nous n’en faisons jamais assez. Il est important d’être au bon endroit pour expliquer aux gens. Les attaques, les pressions, ce n’est pas ça qui me déstabilise, je suis serein parce que je sais où je vais. Le jour où je ne serais plus capable d’avoir des résultats, je prendrais les décisions qui s’imposent. Par ailleurs, nous sommes en démocratie. Il y a des gens qui vous aiment, d’autres qui vous attaquent. Certains veulent que vous réussissiez, d’autres que vous échouiez. Mais, ça fait partie du jeu ! Cette pression du résultat nous motive. Je connais bien mon pays et les Sénégalais sont quand même profondément justes. Quand nous allons sur le terrain pour nous rendre compte de l’avancée des travaux, nous pouvons constater la spontanéité des Sénégalais qui viennent vers nous pour nous encourager. En ce qui concerne la communication, nous sommes encore dans un pays où l’administration avait pour habitude de « cacher des choses » au peuple. « Cacher » ? Le terme est impropre, je devrais plutôt parler d’une « culture du secret ». On ne communiquait pas, on était froid… Et pourtant, on avançait. C’est toute une culture qu’il faudrait changer. Aujourd’hui, tout le monde veut savoir tout et à n’importe quel moment. Dès qu’on a quelque chose à dire, on le met sur Internet. Cela fait le tour, que cela soit vrai ou non…

Chacun connaît votre volontarisme pour bousculer les inerties, mais de quelle manière avez-vous construit vos outils et mis en place le processus décisionnel pour un super-ministre comme vous ? 

Je ne crois pas qu’il existe de super-ministre. Lorsqu’on vous confie des responsabilités, il faut les assumer et être à la hauteur de la tâche. De mon côté, j’ai la chance d’avoir des collaborateurs aussi déterminés que moi pour faire avancer les projets. Nous avons la même vision et sommes très motivés et travailleurs. Maintenant, il faut savoir structurer des dossiers pour pouvoir ensuite les présenter et agréger un soutien franc et massif. Je pense qu’il est important de pouvoir rassembler des compétences autour de soi. Par exemple, pour Sénégal Airlines en particulier, nous avons été capables de mobiliser 17 milliards de F.CFA. Les premiers investisseurs ne sont pas des étrangers, mais bien des Sénégalais. Ce qui prouve que l’avenir du Sénégal est entre nos mains. J’en suis convaincu. Je fais partie des gens qui pensent qu’il n’existe aucune limite… à l’exception du Ciel !

Dans ce travail, vous livrez-vous à l’autocritique ?

J’écoute beaucoup. De même, je consulte mes collaborateurs régulièrement. J’ai la chance d’avoir des amis sincères sur lesquels m’appuyer et avoir des conseillers qui sont des experts dans tel ou tel domaine. Bien que ministre d’État, je considère que je suis simplement comme tout le monde… même si certains vous diront le contraire. Ce qui m’intéresse, ce sont les résultats.

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