Abass Jaber, le repreneur de la Suneor est-il en train de préparer une faillite annoncée de l’entreprise ? La question mérite d’être posée au regard de la soustraction des équipements de l’entreprise qui sont ensuite proposés à la vente. C’est le cas de lots d’ordinateurs, photocopieuses, véhicules et autres terrains appartenant à la Suneor (Lire article ci-contre).
Dans une précédente édition, la Gazette dénonçait les conditions d’attribution d’une licence d’atterrissage et d’exploitation d’un câble sous-marin à la société nigériane Globacom, pour la modique somme de 1, 2 milliard de francs Cfa. Une partie avait ensuite été utilisée pour financer des activités privées, notamment la construction d’une mosquée ou l’achat des titres de voyage à des invités personnels. Tout cela vient s’ajouter aux publications de la Cour des comptes mettant à nu les écarts de gestion dans plusieurs entités publiques. Les scandales se succèdent, se répètent, faisant fi des dénonciations. Faut-il alors baisser les bras et se dire qu’il ne sert à rien de dénoncer des pratiques dont la récurrence en dit long sur l’impunité dans laquelle elles s’abîment. On aurait bien tort, pour la simple raison qu’en démocratie, système dont le Sénégal se targue d’être un des principaux hérauts en Afrique, la réaction des pouvoirs publics dépend en grande partie de la pression exercée par les populations.
Ainsi le prix Nobel d’économie, Amartya Sen (in Un nouveau modèle économique), a-t-il mis en exergue le fait que : « la démocratie ne soigne pas les maux sociaux par simple ingestion, à la façon dont la quinine traite la malaria ». Bien au contraire il subodore que « les malades doivent s’emparer des possibilités existantes s’ils veulent atteindre l’effet recherché. Il s’agit là bien entendu d’une règle élémentaire qui vaut pour toutes les libertés : elles dépendent de la façon dont elles sont exercées ». Il ne faut donc pas se décourager et abdiquer, pour la simple raison que la « démocratie ne peut survivre sans vertu civique ».
D’où l’importance d’informer les populations, de s’impliquer dans le débat public et de refuser que les bras vous en tombent. C’est de cette indignation, de cet acte d’engagement que dépend l’avenir de la démocratie sénégalaise. La corruption a tellement gangrené les mœurs qu’il n’est pas rare de voir une personne être adulée au regard de la richesse amassée sans qu’on ne cherche à en connaître l’origine.
A l’évidence, cela importe peu, la réalité étant devenue plus triviale. Aussi, blanc ou gris, ce qu’on exige du chat, c’est qu’il soit performant et puisse attraper des souris. Dans un tel contexte, que l’argent accumulé soit le fruit de transactions nées de la prostitution, de la drogue ou de commerces illicites, ne saurait être un paramètre dont il faut tenir compte.
La morale piétinée. L’éthique sabordée. Il ne reste plus qu’à aller à la conquête de la réussite. A tout prix, quels que soient les moyens employés. Aucun secteur de la société n’est épargné. Cela tient au fait que : « la nécessité de survie comme la lutte pour le pouvoir ou pour le contrôle des sources d’enrichissement ne concernent pas que des ressources matérielles. Elles mobilisent aussi des ressources culturelles, des représentations du pouvoir et de la richesse, des valeurs morales, des voies jugées légitimes ou illégitimes d’accès aux biens. La corruption renvoie donc à un univers culturel » (Jean-Louis Rocca. In La corruption. Editions Syros).
Il s’y ajoute que beaucoup de personnes donnent l’impression de croire que même si elle est la traduction d’une pratique condamnable la corruption est sans victime directe et personnalisée. A tout le moins on aura affaire à une entité morale et impersonnelle et non à des personnes physiques. Aussi l’Etat est-il transformé, sans gêne aucune, en véritable vache à lait. En réalité c’est parce qu’elle n’est jamais neutre en cette matière. « Il ne lutte jamais contre la corruption mais contre certaines formes de corruption, celles qui gênent les élites au pouvoir ou dont le contrôle peut procurer à ces dernières un avantage politique, en termes par exemple de soutien populaire », précise Rocca. C’est par ailleurs oublier que la véritable victime de toutes ces malversations, est le contribuable. Celui d’aujourd’hui et des générations futures. Agissant dans le circuit de l’économie formelle, ce sont eux qui paient les surcoûts de la corruption. Aussi tous ces dysfonctionnements appellent-ils à une refondation de l’Etat. Non plus un Etat prédateur ou vache à lait, mais un Etat modeste, arcbouté à des institutions de régulations fortes, au service de la bonne gouvernance.
Ce qui suppose par conséquent une réévaluation des valeurs et une approche différente du pouvoir. Il ne sera plus vécu comme un instrument d’enrichissement personnel, familial et clanique, mais plutôt comme un sacerdoce. Il faudrait donc un nouveau leadership ayant conscience de sa mission.
Un leadership porté par des élections régulières et transparentes qui en fondent la légitimité. Celle là même qui découle de l’expression de la souveraineté populaire induisant ainsi l’acceptation sous contrôle de l’autorité des institutions censées incarner des valeurs partagées. C’est cela qui rythme la pratique démocratique car y insufflant une respiration salvatrice, du fait de l’alternance qu’elle rend possible. En somme, si certaines légitimités sont plus stables que d’autres, il demeure qu’en démocratie aucune légitimité n’est immuable, d’où l’incongruité consistant à dire, comme certains : « Après moi le chaos ».
Qu’elle opère par la ruse ou par l’habilité ou selon les circonstances, il arrive un moment où la légitimité perd de sa superbe. Où le charme n’opère plus. Où l’adulation d’hier fait place au désenchantement. C’est ainsi qu’une nouvelle légitimité voit le jour en détrônant celle qui a fini par être déconsidérée. Aussi est-il impérieux de pouvoir se doter de la lucidité qui permet de se distancier de la fascination et de l’attrait corruptogène du pouvoir. Il s’agit de savoir partir à temps et de n’être pas tenté par le mandat de trop. L’humilité commande de se résoudre à l’évidence : le Sénégal va continuer de tourner, sans messie autoproclamé.
Vieux Savané