Le monopole concédé à la Sénégalaise des eaux(Sde) depuis 15 ans dans la production et la distribution de l’eau potable dans la ville de Dakar et les villes intérieures, a été confirmé pour… trente (30) ans encore. A cours du diner-débat sur la question organisé ce mercredi 15 novembre par l’Institut panafricain pour la Citoyenneté, les Consommateurs et le Développement en Afrique (Cicodev Afrique), le protocole d’accord paraphé le 12 mai 2011 entre l’Etat sénégalais et la Sde, a fleuré mauvais le scandale du gré à gré.
Tu y es, tu y restes. C’est ce que signifie le protocole d’accord paraphé le 12 mai 2011 et qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2012, octroyant à la Sénégalaise des eaux(Sde) la gestion exclusive des eaux usées et des eaux de pluie, mais aussi l’assainissement au Sénégal et ce durant 30 ans encore. Généralement, dans le but de protéger le consommateur des éventuels abus, les institutions politiques s’opposent à la constitution de monopoles. Au Sénégal, c’est le contraire !
Après avoir dénoncé les « possibles dangers » sociaux et économiques du choix de la concession comme mode de gestion de l’eau au Sénégal, l’Institut panafricain pour la Citoyenneté, les Consommateurs et le Développement en Afrique (Cicodev Afrique) dirigé par Amadou Kanouté, a mobilisé, ce mercredi 15 novembre, toutes les parties prenantes autour de la question, « au-delà de la confrontation stérile », ainsi que l’ont voulu les organisateurs dont le Directeur exécutif de Cicodev. Certes l’absence d’un représentant de l’Etat au diner-débat a été remarquée, mais le directeur général de la Sde, Mamadou Dia, a dû s’y coller face aux « feux » nourris des représentants de la société civile notamment Birahim Seck, membre du Forum civil, qui a mis les pieds dans le plat de la Sde en dénonçant à son tour, avec force arguments, le procédé « peu orthodoxe » du protocole d’accord en question et particulièrement le contrat de concession à travers lequel, la SDE s’engage à présenter à la République du Sénégal un projet de concession incluant le plan d’affaires, les tarifs et un projet de contrat avant le 30 novembre 2011.
Au… gré de sa majesté
Il se trouve, explique M. Seck, que les contrats de concession émanent des contrats de délégation de service public qui eux, procèdent des contrats administratifs assujettis aux principes de transparence, de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats à la commande publique. Or, le protocole d’accord signé par l’Etat sénégalais avec la Sde a pour objet de concéder à celle-ci la gestion des eaux pluviales, des eaux usées, la production et la distribution de l’eau potable. Pire, note M. Seck, l’Etat à travers ledit protocole, confie à la Sde le soin de réaliser une étude de faisabilité sur la réforme du secteur de l’hydraulique urbaine de deuxième génération et du recadrage du rôle de l’Etat et de préparer un cahier des charges qu’elle transmettra par la suite à l’Etat. « C’est fouler au pied le principe de la concurrence et de la commande publique qui régit les contrats de participation en particulier les contrats de délégation de services publics. » Invoquant le droit, M. Seck rappelle que l’article 81 du Code des marchés publics est clair sur le principe de l’appel d’offres. Et même s’il laisse une « porte ouverte » pour passer un marché par entente directe, cette possibilité reste sous réserve de deux conditions : qu’il y ait une urgence, ou une seule source capable de satisfaire le marché en question. « Ce qui n’est pas le cas ici », indique M. Seck. Des arguments difficilement réfutables par le directeur général de la Sde, société privée commerciale, qui, ne « sait pas pourquoi l’Etat a préféré confier l’étude relative à la concession à la Sde. » Conflit d’intérêt, gré à gré, le malaise est là. Car, c’est cette même Sde qui gagne ainsi la concession intégrale sur la production et la distribution de l’eau au Sénégal et même les eaux usées et pluviales lui seront également confiée. Autrement dit, l’Office nationale de l’assainissement du Sénégal (Onas) déjà très mal en point, risque d’être enterré… dans les eaux usées.
Tout au plus, le directeur général de la Sde à plutôt cherché à relativiser, en rappelant toute l’expertise humaine dont dispose la filiale sénégalaise de Bouygues en la matière.
« La Sde(Sénégalaise des eaux) n’est pas une filiale de Bouygues, c’est une filiale du holding Emerging Capital Partners (ECP) », a de plus répondu M. Dia. ECP, premier fond de capital-investissement axé sur le continent africain, a, en 2009, acquis Finagestion, une holding basée à Paris à hauteur de 60%. Et qui est actionnaire de Finagestion à hauteur de 35%… Bouygues. Pour la petite histoire, en plus de détenir les activités de gestion de l’eau au Sénégal, Finagestion les détient également en Côte d’Ivoire ainsi que et les activités de production et de distribution d’électricité dans ce même pays. Somme toute, après la prolongation à quatre reprises du contrat d’affermage, le protocole en question vient mettre un terme au cinquième avenant conclu entre l’Etat du Sénégal et la Sde et qui devait arriver à expiration en décembre 2012.
Service public ou rentabilité ?
Rappelons que c’est en 1996 que la première réforme institutionnelle est intervenue dans le secteur de l’hydraulique urbaine. De cette réforme, est née une structure à trois têtes: la Sones (Société nationale des eaux du Sénégal), la Sde (Sénégalaise des eaux) et l’Onas (Office national de l’assainissement du Sénégal). La première étant chargée de la gestion du patrimoine de l’hydraulique urbaine, du contrôle de la qualité de l’exploitation tandis que la deuxième, à travers un contrat d’affermage de 10 ans et un contrat de performances techniques et commerciales avec la première pour l’exploitation des installations pour l’entretien de l’infrastructure et du matériel d’exploitation ainsi que d’une partie du réseau de distribution d’eau potable tout en s’occupant du recouvrement des factures et de la surtaxe assainissement. Son contrat devait arriver à terme en 2006, date à laquelle la deuxième réforme devait être menée après évaluation.
A la perspective d’un prochain schéma de concession, les responsables de Cecodev préviennent d’une accessibilité « plus étriquée » pour les consommateurs ruraux et péri urbains avec l’hypothèse fort plausible que le gouvernement justifiera le passage à la concession totale au nom du développement de Dakar et les quartiers péri urbains. Sauf que la logique économique voudrait que sans subvention de l’Etat, les fournisseurs de services eux-mêmes ne trouveront pas viable de fournir des services dans les zones où le rendement est faible et ou la demande est très peu solvable. D’où l’hypothèse qu’ils mettront en place des politiques commerciales « d’écrémage » qui consistent à ne servir que les clients qui leur assurent des profits au plus vite, et à ignorer les pauvres, moins rentables.
L’eau, question essentielle
En 15 ans (1996 – 2010), le prix du m3 de la tranche sociale n’a connu qu’une hausse de 19,04 % en passant de 160,72 FCFA à 191,32 FCFA soit une hausse moyenne annuelle de 1,5% par année. Alors que l’OMS(Organisation mondiale de la santé) recommande un taux de potabilité de 96%, le réseau de la SDE offre un taux avoisinant 98%. Il s’y ajoute, à travers la présentation liminaire faite par M. Kanouté, l’amélioration de la qualité du service, des relations avec la clientèle, une plus grande transparence dans le mode de facturation, des mécanismes de paiement diversifiés, des facilités de paiements. Sauf qu’au même moment, seulement 67 % des ruraux ont accès à l’eau salubre et 17 % d’entre eux seulement ont accès à des services d’assainissement améliorés.
Hors du réseau, les sources polluées ou les bornes fontaines à des taux jugés usuraires, l’approvisionnement se fait dans les « séanes », le fleuve, les pompes artisanales en banlieue dakaroise, ou alors auprès des bornes fontaines privées où l’eau peut être jusqu’à 4 ou 5 fois plus chère dans les quartiers péri urbains. De plus, la qualité de l’eau est encore jugée « dangereuse » pour les consommateurs dans certaines zones. Une étude épidémiologique effectuée par l’organisme Caritas et menée dans 45 villages des communautés rurales de Nguéniéne, de Niakhar, Patar, fait état de 70% de la population étudiée qui seraient en contact avec des sources d’approvisionnement en eau domestique dont les teneurs en fluoroses sont supérieures à 1,5 mg par litre, norme recommandée par l’OMS. La même enquête précise que « 83% des personnes sont touchées par la fluorose dentaire pendant que 52% présentent des signes cliniques qui pourraient être associés à une fluorose osseuse handicapante ».