Ex-soldat blâmé puis renvoyé de l’Armée en 1999 suite à un mouvement d’humeur, Bocar Bocoum Dicko s’est immolé le 18 février 2011 devant les grilles du palais de la République. Cet acte de désespoir ultime résume la trajectoire pourrie d’un garçon suicidaire et sa gâté par le destin. Nos confrères de Weekend Magazine retracent l’histoire singulière de l’ « homme fort », comme il se faisait appeler par ses ex-collègues militaires.Sa mort devait être belle. Pour sa dernière « mission » sur terre, il avait aligné un tailleur noir assorti d’une chemise longues manches de même couleur et un survêtement débardeur gris. Il avait méticuleusement enfilé ses chaussures de ville noires cirées jusqu’à l’éclat. Il est 9 heures ce matin du vendredi 18 février 20111 quand Bocar Bocoum 36 ans, ancien commando et homme de base de l’Armée sénégalaise, sort de la villa paternelle, à la frontière des Parcelles Assainies. Une maison à terrasse peinte en beige-rose, posée à l’angle Serigne Fallou, juste à l’entrée de la Cité Impôts et domaines.
Mais à peine sorti de chez lui, Bocar retourne sur ses pas.
« Il s’est arrêté en me disant qu’il avait oublié quelque chose à la maison, raconte avec émotion, son cousin et voisin de chambre, Amadou Diop. Il est retourné dans la maison et est ressorti avec une bouteille de Sprite qu’il avait soigneusement rangée dans un sachet noir. J’ai essayé, en rigolant de savoir ce qu’il y avait dedans, mais il a refusé de me montrer le contenu. Il m’a même frappé avec la bouteille qu’il tenait bien entre ses mains. Quand mon téléphone a sonné et que j’ai décroché pour répondre à l’appel, il en a profité pour s’échapper de la maison. »
Son cousin, Amadou Diop, ne le reverra jamais vivant. L’ancien militaire lui prend un car et se rend au centre-ville dakarois, siège des institutions de la République.
Quelques heure plus tard, comme un martyr prêt à mourir pour l’honneur et la dignité, Bocar s’immole devant les grilles du Palais, le plus grand symbole de la République, pour selon ses proches, «dénoncer le silence des autorités sur le sort des anciens soldats », dont il faisait partie. « Quand je sortais du Palais, raconte un témoin, j’ai vue une personne qui tenait une bouteille de Sprite contenant de l’essence et un briquet. Il s’en est aspergé et a dit au policier qui essayait de le dissuader : « si tu t’approches, je me brûle ! »
Sans hésiter, il passe à l’acte, en criant très haut : « Liggey Mbala dé ! (Travailler ou mourir). » Evacué à l’hôpital Principal, il succombe à ses graves brûlures dans la nuit du vendredi 18 au samedi 19 février. Un acte extrême que ni ses parents, ni ses intimes n’avaient soupçonné jusque-là. « La veille de son sacrifice (jeudi 17 février), il a envoyé notre bonne (employée de maison) lui acheter deux feuilles blanches, poursuit son cousin, Amadou Diop.
Il s’est mis à griffonner là- dessus mais, comme je suis analphabète, je ne pouvais pas comprendre ce qu’il écrivait. Je ne lui ai rien demandé non plus. A cet instant, j’étais loin de me douter qu’il allait s’immoler le lendemain. »
« Il se nomme Dicko et non Bocoum »
Bocar est né Dicko, à Grand Dakar en 1975. Petit, tout petit, il est confié à ses grands-parents qui le couvent d’amour et se plaisent à bien s’occuper de lui. Le môme ne manque de rien et se construit sans affrontement ni rupture. Il est la complice de sa mamie, alors que son papy veille sur son éducation. « Il était très proche de mes parents bredouille sa maman, Awa Bocoum, encore sous le choc. Quand il tombait malade, il demandait toujours à ce qu’on l’emmène chez sa grand-mère. C’est pour cela qu’on a fait son deuil ici. Il a passé toute son enfance à Grand-Dakar. »
Mais, un beau jour, sa maman se marie avec un Diourbellois « proche de Sokhna Maï Mbacké », la fille cadette de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme, et décide de rejoindre son époux à Diourbel. « Je l’ai emmené avec moi, poursuit, à voix morte, sa maman. Il s’est toujours montré très obéissant et pieux. »
A Diourbel, dans cette ville de l’intérieur du Sénégal, située à environ 150 kilomètres de Dakar, Bocar vit parfaite harmonie avec sa mère et son beau-père.
Jusqu’à ce qu’il décide, un jour de tout plaquer pour rejoindre l’Armée. C’était en 1996. Sa famille s’y oppose, mais il couve chez Bocar un adolescent qui refuse d’abjurer. Il arrête ses études en classe de 4ème secondaire pour intégrer les casernes. « Il s’est engagé dans la procédure pour intégrer l’Armée à mon insu, raconte sa maman d’une verbe éploré. Il est juste venu un jour me demander de prier pour lui parce qu’il était prêt à aller sous les drapeaux. » Il sera de la compagnie 97/1 et passera sa formation au Centre d’instruction de Dakar-Bango, à Saint-Louis, au Nord du Sénégal.
En 1998, un an après sa mobilisation, Bocar est enrôlé dans la Force expéditionnaire du Sénégal lors de l’ « Opération Gabou » et est expédié en Guinée-Bissau. Là-bas, pendant neuf mois, il vit accroché à une mitrailleuse lourde, patrouille jour et nuit aux côtés des soldats loyalistes favorables à l’ancien Président de la Guinée-Bissau, Nino Viera, pour assurer la protection des civils, sous la menace des tirs ennemis, des embuscades, et des explosions des mines artisanales plantées au bord des routes. « On avait reçu des primes de 500 F Cfa/jour à la place de 10 000 F Cfa/jour tandis que par exemple, les soldats des autres pays de la Cedeao (1) qui jouaient les seconds rôles avait reçu l’intégralité de leurs primes.
Ils avaient l’information avant même de quitter Bissau », se remémore un ancien collègue de Bocar Bocoum.
A leur retour de Guinée- Bissau, en 1999, les soldats sénégalais se sentent oubliés, abandonnés, maltraités par une hiérarchie qui renâcle à leur verser la totalité de leur prime. Bocar, en compagnie de quelques camarades soldats, décide de battre le macadam à Dakar. Ils seront sanctionnés (blâme), puis démobilisés. « Cela a été très dur pour lui, explique sa tante Anta Dicko. L’Armée était toute sa vie. » Le soldat Bocar Bocoum Dicko, « homme fort » à la mitraillette lourde, qui avait fait ses preuves dans le front sombre Bissau-Guinéen, n’était plus qu’un simple civil ravagé par la guerre. « Le monde s’est effondré sous ses pieds à cet instant », continue sa tante.
Bocar per son travail, ses camarades et le sommeil.
Sa vie bascule, du mauvais côté. Perturbé dans sa tête, il passe ses journées à raconter ses faits d’armes au premier venu, à qui voulait l’écouter, histoire d’exister aux yeux des autres. « C’était sa façon à lui de se sentir respecté », confie un proche. Dans sa tête, il est encore en Casamance, où il a servi un moment, seul avec sa mitrailleuse, en train de guerroyer encore avec les rebelles indépendantistes du Mfdc. Ou à Bissau en train de sauver un « classe de guerre ». Bocar avait comme une névrose postraumatique, cette maladie souvent contracturée par les soldats de retour de zone de conflit. « Dans ses explications, raconte un voisin aux Parcelles Assainies, il mimait toujours les gestes des militaires. Il rampait souvent et avait le doigt crispé comme s’il allait appuyer sur la gâchette. »
« Il avait raté trois suicides »
« Désespéré », « découragé », selon les témoignages de ses proches Bocar Bocoum devient au fil des ans une «âme errante », partagé entre Diourbel, où vit sa maman, et Dakar au domicile de ce papa qu’il a connu sur le tard. Il a perdu pied mais, toujours en bon soldat tient à rester debout, digne, correct et irréprochable. « Il était toujours propre sur lui, témoigne sa tante Anta Dicko. Il était très élégant. »
Mais, dans le noir de ses yeux, sous ses paupières froissées, on dénote un regard de garçon martyrisé par une souffrance intérieure. Brisé par la vie. « Je souffre terriblement », confiait-il à Moussa Sy Député-maire des Parcelles Assainies, qui avait rencontré par le plus pur des hasards.
Ce jour-là, Bocar avait traîné son amertume jusqu’à la place Soweto, nationale, et avait pour la première fois affiché ses peines sur une pancarte levée aux yeux de l’Hémicycle. Cette place Soweto, symbole des complaintes de la société, de la liberté et de ce peuple au nom duquel il s’était enrôlé dans l’Armée. « J’étais assis dans mon bureau de président de la Commission des Sports quand j’ai entendu à travers la Rfm (Radio Futurs Médias) qu’il y avait un ancien militaire assis en face de l’Assemblée (nationale) et qui voulait du travail, raconte Moussa Sy. Je suis descendu le voir.
Nous nous sommes remontés dans mon bureau. Ce jour là, il m’a parlé de ses faits d’armes, comment il avait manipulé les lourdes, comment l’Armée l’a lâché, ect. Il a surtout insisté sur sa famille. Il m’a dit qu’il souffrait parce que sa femme était retournée chez elle avec leur petite fille de 5 ans parce qu’il n’avait rien à leur offrir. Et que lui vivait à Fass sur la terrasse d’une villa où un de ses amis avait loué une chambre et qu’il dormait là-bas presque toute l’année.
J’ai été touché par son histoire et je lui ai demandé de me donner une semaine pour que je lui trouve un boulot.»
Chose promise, chose due. Entre Moussa Sy, le politicien et Bocar, l’ex soldat, débute une amitié déconcertante qui dépasse les clivages sociaux. «Quand il est revenu me voir, je lui ai trouvé un boulot à la mairie, poursuit le Député-maire.
Je lui ai donné les clés de mon directoire politique aux Parcelles Assainies où il passait la nuit. » Bocar se sent à nouveau utile, il se démultiplie aux côtés de son nouvel ami libéral. Il joue même au garde du corps du maire des Parcelles qui lui permet tout. Lui pardonne tout aussi. «Il a fait deux accidents avec ma voiture 4×4 qu’il prenait à l’insu de mon chauffeur, se souvient Moussa Sy. Mais, pour moi ce n’était pas grave.
C’était un ami. Je ne voulais pas laisser sombrer. »
Malgré tout, Bocar n’a toujours pas réussi à rompre le lien avec l’Armée. Il ne supporte toujours pas sa « libération » et ne se sent pas non plus à sa place dans ce milieu (très) politique. En public, face aux autres, sa voix autrefois joviale, devenait monotone, dénuée de sentiments. On pouvait sentir la vie en lui qui s’en allait. « Un matin, les enfants qui jouaient à côté de mon directoire politique ont vu du sang couler sous la porte. Ils ont informé des gens qui étaient à côté, narre le maire des Parcelles. J’ai été appelé et quand je suis arrivée sur place, on a trouvé que la porte était verrouillée, mais heureusement la fenêtre n’était pas fermée. J’ai dit à un de mes collaborateurs de passer par là-bas et d’ouvrir la porte. On a appelé la police pour le constat et on l’a envoyé à l’hôpital. » À suivre…
week end Mgazine via galsentv.com