Dans La démocratie des autres, le Prix Nobel d’économie Amartya Sen démontre, à la suite d’autres penseurs aussi hardis et lucides, que la démocratie n’est pas une invention de l’Europe et du continent nord-américain. Vouloir l’acclimater dans d’autres recoins du monde pour prétendre humaniser les régimes politiques en Afrique c’est oublier que la réalité de la bonne gouvernance avait ses racines profondes dans ces contrées lointaines bien avant le concept.
En effet, s’appuyer sur le modèle démocratique de la collectivité lébou, en illustration, aurait pu donner plus de poids aux arguments et exemples de pratiques démocratiques que l’économiste indien met en évidence sur l’Afrique, se référant pour l’essentiel au « Long chemin vers la Liberté » de Nelson Mandela.
Mais qui sont les Lébou pour avoir droit de cité au patrimoine immatériel mondial des peuples acquis à l’idéal démocratique avant le concept ?
Qu’ont-ils apporté comme héritage à l’histoire comparative des institutions sénégalaises pour que les gouvernements successifs, depuis la période coloniale, attribuent toujours la plus grande préséance au Grand Serigne de Dakar, le Chef supérieur de la Collectivité lébou ?
Qu’allons-nous faire de cet héritage lébou pour donner plus de sens aux principes de la bonne gouvernance, rampe de lancement d’un Sénégal émergent ?
Sans remonter à la source de Cheikh Anta Diop et de Joseph Ki-Zerbo enseignant que les Lébou étaient les riverains de l’Ouest du Delta du Nil, le dernier mouvement migratoire lébou partit du Jolof entre le XIVe et le XVe siècle vers le Cap-Vert, devenu l’actuelle région de Dakar. Dakar ou « Ndakaaru » (étymologiquement « dëkk raw »), terre d’asile sécurisée, fut un havre de paix pour les populations fuyant le despotisme des rois.
Cette soif inextinguible de liberté chez les Lébou produisit un faisceau d’indices permettant de conclure à l’avènement d’un régime démocratique lébou bien avant la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
En effet, les Lébou, organisés dès l’origine en nomes identifiables à travers 93 villages dans l’actuelle Région de Dakar, ont une organisation politique et administrative autonome qui se concilie bien avec les valeurs que porte l’ordre constitutionnel sénégalais.
Sans entrer dans le jeu du mimétisme des institutions politiques françaises, le Grand Serigne remplit les fonctions équivalentes à celles du Président de la République avec le Ndey-ji-Réew comme Premier Ministre.
Le Ndey Jàmbur, Président de l’Assemblée des Sages, les Jàmbur, délibère et légifère de manière collégiale avec l’Exécutif composé du Jaraaf, Ministre des Finances et de l’Agriculture, du Saltige chargé de la Sécurité intérieure et extérieure, du Xaali, Ministre de la Justice cumulant souvent les fonctions d’Imam Ratib (Ministre du Culte), du Bargéej, Ministre de la Pêche et du Ndey-ji Frey, Président de l’Assemblée des Jeunes .
Le Gouvernement de la République lébou, siégeant depuis les 12 Pénc ou quartiers de Dakar, assisté de 36 jàmbur à raison de 3 jàmbur par pénc, ne pouvait interférer, par exemple, dans l’exercice du pouvoir de commandement de Pathé NDOYE Diadia qui fut, tout en résidant à Bargny, à la fois Jaraaf de Bargny et de Diandére de 1897 à 1914.
Les 7 chefs de villages les plus anciens de la Presqu’Ile du Cap-Vert (Yoff, Ouakam, Ngor, Thiaroye, Yeumbeul, Bargny, Mbao) font partie du collège des grands électeurs qui choisissent le Grand Serigne.
Cette architecture institutionnelle montre combien les Lébou sont attachés aux principes de la centralisation et de la décentralisation qui se conjuguent de nos jours de façon harmonieuse dans la prise en charge des besoins des Sénégalais à travers le concept de bonne gouvernance.
Le Grand Serigne de Dakar a un mandat impératif. Il n’est pas dans la configuration de « ce que veut le Roi veut la Loi » propre à l’ancien régime en France. Avec lui, les Lébou ne sont pas à bord d’une pirogue sans gouvernail dans une tempête. C’est le peuple lébou qui gouverne avec le Serigne Ndakaaru par l’entremise de ses représentants mais aussi directement lorsque des circonstances exceptionnelles l’exigent, notamment pour le sanctionner en cas de fautes graves détachables de ses fonctions.
C’est ainsi que les Lébou usèrent sans abuser d’une procédure judiciaire assimilable à l’impeachment à l’américaine bien avant les Etats-Unis d’Amérique (Affaire du Président Andrew Johnson en 1868), pour destituer le Chef supérieur de la collectivité, en la personne du Serigne Ndakaaru.
Ce fut le cas du Serigne Ndakaaru Mactar Diop dit Mataari Anta démis de ses fonctions en 1830 par la collectivité lébou pour s’être livré à des pillages sur les biens du Damel du Cayor ayant entraîné mort d’homme. Claude Faure, dans l’Histoire de la Presqu’Ile du Cap-Vert et des origines de Dakar (p. 68), confirme ce haut fait qui révèle l’esprit de justice et de liberté chez les Lébou en ces termes : « […] Moctar Diop voulut exercer des pillages sur les gens et les biens du Damel du Cayor. Le premier griot du Damel, étant venu à Gorée pour acheter de l’eau-de-vie fut tué au retour par un fils de Mactar Diop et un griot de Ndiaga Hissa. Les gens de Dakar adressèrent des observations à Mactar Diop et lui signifièrent qu’ils ne le voulaient plus comme chef, puisque malgré leur volonté de faire la paix avec le Damel il cherchait à provoquer une guerre […] »
Le Serigne Ndakaaru Mactar Diop fut remplacé par un autre Mactar : Mactar Diôl dit Elimane Diôl, Serigne Ndakaaru de 1831 à 1852.
Nous sommes donc dans un régime de démocratie directe avec les Lébou mise en branle par le respect de la liberté d’aller et de venir et le droit à l’intégrité physique de la personne que l’on retrouvera un siècle plus tard dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948. Il s’agit là d’une coutume constitutionnelle née de la tradition orale sénégalaise à l’image de la Common Law britannique.
Et plusieurs faits jalonnent l’histoire de la pratique démocratique chez les Lébous.
Ainsi, le Serigne Ndakaaru Elimane Diôl, pouvait se targuer d’avoir inscrit son mandat sous le sceau de l’affirmation du principe de la laïcité bien avant les lois françaises de 1905 séparant l’Etat de l’Eglise. Le contenu de sa correspondance du 18 mai 1847 adressée au Damel du Cayor Maïssa Tenda Dior pour réclamer la libération des missionnaires français Aragon et Siméon, habitants du territoire des Lébou, dont le seul tort était de prêcher la foi chrétienne dans le Cayor, mérite d’être cité pour ses résonances modernes.
C’est le Serigne Ndakaaru Elimane Diôl qui écrit « Merci à Dieu qui nous a donné la plume pour écrire et la sagesse pour parler.
A présent moi le Serigne de Dakar Elimane Diôl je dis au Damel du Kayoor Maïssa Tenda les mots qui suivent : en arrêtant les deux missionnaires sur tes terres, tu as fait tort non au Gouverneur de Saint-Louis, ni au Roi de France mais à moi Elimane, parce qu’ils habitent dans mon territoire. Les missionnaires disent la vérité. Si tu veux la recevoir c’est bien, sinon renvoie-les tout de suite. Je suis la même religion que toi, mais je n’ai pas fait emprisonner les missionnaires. Je les ai laissés libres. Si les maures qui demeurent au Kayoor venaient à Dakar, serais-tu content si je les faisais arrêter ou tuer ?
Si tu gardes un seul mouchoir des missionnaires, je suis décidé à te faire la guerre pendant 30 ans. Mamadou Mbengue, Souleymane, Diaraf Birago et Matar Sylla partagent mon point de vue. Nous sommes tes alliés. Mais si tu fais tort aux missionnaires, nous devenons tes ennemis. Paix, vie et liberté à qui fait le bien » (Lettre rédigée en arabe par Souleymane Sy, neveu du Serigne Ndakaaru Elimane Diôl, retouchée tout en respectant le fond de la lettre par le Professeur Assane Sylla)
En cette période d’intolérance religieuse où la vague islamiste menace de déstabiliser gravement le monde et particulièrement le Sahel, ce message du Serigne Ndakaaru Elimane Diôl de 1847 garde dans toute sa fraîcheur pour exiger plus de respect de la liberté de conscience dans le monde. Presqu’un siècle après cette lettre adressée au Damel Maïssa Tend, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme 10 décembre 1948, en son article 18 donne raison au Serigne Ndakaaru Elimane Diôl : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, les cultes et l’accomplissement des rites ». Les traces écrites attestant de l’attachement des Lébou aux valeurs démocratiques universelles ne sont pas des reliques mais des leviers de développement pour un Sénégal émergent.
Refusant de prendre leur tradition pour une tour d’ivoire, les Lébou ont beaucoup plus à donner qu’ils n’en reçoivent.
« Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu », recommandait le Christ.
Le Grand Serigne El-Hadji Abdoulaye Makhtar Diop, descendant et héritier légitime de l’ancêtre Dial Diop, n’est pas écartelé entre le temporel et le spirituel. Il est à la fois au service de César et de Dieu.
Dans le monde de César, il s’est forgé une carrière politique solide : Directeur de sociétés nationales, Ministre, Maire, Leader d’un parti politique, Député, il a appris, bien avant l’ère de ses fonctions traditionnelles, à concilier Pouvoir central et pouvoirs locaux dits traditionnels.
Du Royaume de Dieu, il en a gardé l’héritage précieux de l’Ecole de Makhtar Ndoumbé Diop le grammairien de Kocki pour se mettre au service de l’Islam tout en faisant du dialogue interreligieux le gage du vivre ensemble au Sénégal.
Comme ses illustres prédécesseurs, le Grand Serigne El Hadji Abdoulaye Makhtar Diop a de l’écoute et une vision pour le Sénégal à travers les grands projets qu’il a initiés.
Grand Serigne de rupture dans les périodes d’une crise économique mondiale qui n’épargne aucun secteur du Sénégal, il est conscient que les Lébou du dedans et du dehors, à travers leur diaspora en Europe, aux Amériques, en Asie et en Afrique, ont aussi leur mot à dire.
Ainsi, Paris a vu naître, il y a trois mois, l’Association Pénc Diaspora Lébou de France, vivier inépuisable de ressources humaines prêtes à servir le Sénégal, pour relever avec le Grand Serigne les défis d’un Sénégal émergent.
Servir efficacement la Région de Dakar reviendrait donc à mettre le Sénégal à l’abri d’une vision passéiste qui risque de l’emmurer dans des postures régionalistes nuisibles à toute concorde nationale.
Le Sénégal restera sunu gaal (notre pirogue). A nous de l’armer et de l’ancrer solidement, entre autres, dans les valeurs traditionnelles lébou, pour qu’elle puisse affronter avec succès les périls de l’avenir dans la sauvegarde des intérêts vitaux de nos compatriotes.
Daouda NDIAYE
Juriste, Docteur en Sciences de l’Education
Président de l’Association Pénc Diaspora Lébou en France
Date:
Drôle de contradiction d’une part on fustige des postures régionaliste et de l’autre on fait l’éloge de la culture Lebou et la région de Dakar!!!!!!!!. j’essaie de trouver l’erreur!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
J’ai connu une léboue qui faisait des sacrifices au lac de Créteil en région parisienne. Ce sont des mystiques méfiez-vous. Complètement tarés ces gens. Méfiez-vous des léboue surtout en dehors de leurs terres cédées aux saint Louisiens et autres sénégalais. Ils sont gentils quand même et on les aime bien.
Sow ce qui vous manque c’est la faculté de penser l’unité dns la diversité. L’erreur votre erreur vient du fait que dans votre schéma mental tout est blanc ou noir