La Dimension souveraine des Infrastructures en Réseau
Construisez des infrastructures, libérez le Sénégal.
Construisez des infrastructures, aliénez-le !
La gravité des carences en service de base aux populations est définitivement une menace à la souveraineté d’une nation. Ma conviction est que nos jeunes États africains négligent le rôle structurant et l’aspect stratégique des infrastructures dans leur planification étatique. Le Sénégal comme à l’instar des États ouest africains est certes un État souverain. Mais hélas, cette liberté est vécue dans une dépendance et une vulnérabilité dans des secteurs clefs tels que les infrastructures en réseau, qui font en réalité partie de l’expression de la souveraineté d’un État.
Par définition, une infrastructure est un ensemble d’équipements et d’installations au sol, souterrains ou aériens, qui permet l’exercice des activités humaines. Un premier lien évident entre l’infrastructure et la nature de l’activité humaine donne une première typification classique ; et on parle alors d’infrastructures publiques, privées, communautaires, culturelles et collectives. Cependant, en ingénierie de la planification de l’action publique, nous distinguons des avantages concurrentiels aux infrastructures en réseaux. Car ces infrastructures permettent la mobilité, le transport, l’acheminement, la transmission et l’évacuation de biens, d’individus, et aujourd’hui, de données numériques hautement déterminantes. Ils se singularisent d’une part par une technicité et une ingénierie qui expriment le génie d’une nation, et d’autre part, ils sont rentables et sont donc sources de rentrées de capitaux pour la nation qui en a la maitrise.
Par conséquent, un État planificateur considère les Infrastructures en réseaux comme des outils de planification spatiale pour l’unité, la cohérence et l’exploitation optimale des ressources de l’espace national. Leur spécificité est que ces infrastructures en réseaux d’équipements orientent le développement des territoires (TOD : The Transit Oriented Development), et ils soutiennent directement les compagnies de fourniture d’eau, d’électricité (EDF pour la France, Hydro-Québec pour le Canada), de gaz (GDF), mais aussi le transport des hommes (AMT (agence métropolitaine de Montréal) ou STM (Service de Transport de Montréal)), des biens et de données numériques (France Telecom). Voilà autant de raisons qui font que les États soucieux de leur souveraineté, investissent dans la recherche et le développement pour le contrôle de leur réseau d’infrastructure ; et ils ne se gênent pas à nationaliser les sociétés de gestion de l’infrastructure et même les sociétés d’offre de service vitaux à leur population.
Au nom du principe régalien de préservation de la continuité du territoire national et pour une égalité et une équité de service entre les citoyens où qu’ils puissent être, de la Casamance au Ferlo, du Boundou au Walo, du Sine-Saloum au centre Baol, et sans oublier l’axe urbain Dakar-Thiès, l’État du Sénégal se doit de prendre ses responsabilités dans le développement des réseaux d’infrastructures et d’offres de services équitables. Car les sociétés privées n’en ont que faire des principes régaliens, et c’est bien normal. L’investissement dans les infrastructures en réseaux est bien trop cher pour un privé et l’exigence de rentabilité entrainent des reflexes capitalistes. Ainsi, les banlieues pauvres à bas niveau de consommation et les territoires à faibles densités démographiques sont laissés pour compte. Un État ne peut donc pas déroger à ces principes régaliens d’assurer un espace national où le service en eau, en énergie, le service de transport et de connectivité est continu et accessible aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain. Voilà pourquoi la France a fait le choix d’une politique nationaliste par le chemin de fer avec deux sociétés nationales dont la RFF (Réseau Ferrés de France) qui gère l’exploitation, l’expansion et l’entretien du réseau de chemin sur l’ensemble du territoire. Ensuite la SNCF, qui a un quasi monopole de l’offre de services, et permet d’offrir au français le plus pauvre habitant dans le patelin le plus lointain, le droit de se sentir français et appartenant à un espace national unifié par un offre de service de base grâce à ses réseaux d’infrastructure.
Patrice Lumumba disait que « la main qui donne, est la main qui dirige ». Concrètement et en matière d’infrastructure, cela veut dire que le pays qui finance, impose des projets d’autoroutes que nos acteurs économiques ne peuvent réaliser (fuite des capitaux), pour des familles sénégalaises qui ne sont pas des automobilistes (sous exploitation de l’infrastructure), et pour un pays qui ne détient pas d’industrie automobile (impact minime sur le tissu économique). Ainsi, du fait de ces choix dictés par les pays préteurs et pour le compte de leurs sociétés nationales, on passe à la trappe une politique nationale de mobilité axée sur le retour stratégique du chemin de fer et nous compromettons la sécurité intérieure, et augmentons notre incapacité à maitriser les domaines et les techniques importantes pour notre souveraineté.
In finé, retenons que la grandeur d’une nation s’exprime par son génie scientifique, sa technicité, l’ingénierie et sa capacité planificatrice. Ces aptitudes permettent à la nation en question d’assurer la maitrise de son réseau d’infrastructures d’utilités publiques où aucune vulnérabilité ne peut être tolérée. D’ailleurs, les stratèges militaires savent que ce sont ces points de vulnérabilité que l’ennemi visera en premier lieu dans les situations de conflit. Un État prévoyant demande toujours à l’Armée de valider la position, la typologie et le niveau de maitrise de ces infrastructures clefs pour des raisons de sécurité évidentes. Pour un État comme le Sénégal, évoluant dans un espace aussi instable, nous devons reconsidérer le rôle de notre armée et l’orienter vers le développement d’un génie militaire axé sur les infrastructures et les équipements. De 1960 à maintenant, nous fragilisons notre souveraineté par des choix politiques inopportuns. Ainsi notre vulnérabilité a été aggravée par les ajustements structurels qui ont tué toute logique planificatrice ; ensuite devant les incompétences en gestion des politiciens de métier et de leur horde de sangsue, nos sociétés nationales et nos industries furent saignées et bradées et cela a annihilé le rôle d’un l’État entrepreneur et supprimé des rentrées de fonds nécessaire à notre politique sociale. À cela il faut rajouter le libéralisme suicidaire qui jeta en pâture des pans entiers de toute notre économie à des multinationales tandis que les chinois laminent l’artisanat et le secteur informel. Et aujourd’hui, on se demande où va nous mener l’actuelle volonté d’émergence controversée par la dépendance vis à vis des capitaux et sociétés étrangers, qui de l’histoire de l’humanité n’ont jamais développés un pays (Dixit mon cher maitre Amady Aly Dieng que la Terre lui soit légère).
Moussa Bala Fofana (Canada–Montréal)
Consultant et Expert en Planification, Gestion et Suivi-Évaluation des Programmes et Projet de Développement.
* Ancien Conseiller Technique de Cabinet Ministériel–Gouvernement du Sénégal 2012-2013
* Conseiller Financier en Banque & Représentant en Épargne Collective.
– Ingénieur en Planification des Projets et Programmes – l’Institut National Polytechnique Lorraine (INPL)
– Expert en Développement Territorial, Développement Économique Local et Transfrontalier.