Quand il n’était pas permis d’être du Parti socialiste, quand il fallait être contre le régime pour vêtir la camisole du bon citoyen, celui du résistant désigné, j’avais dit de Habib Thiam qu’il était nullard. Du haut de mes 10 ans de scolarité moins les temps de grève et de séchage délinquant de cours, j’avais le toupet de toiser cette sommité. Il m’a fallu une bonne dose d’effronterie, d’imbécilité et d’ignorance pour oser cette stupidité. Pourtant, je n’étais ni ivre ni possédé. L’oncle à qui je m’adressais était déjà en 3eme ou 4eme année de droit. Il m’a juste dit, sans jamais terminer sa phrase : « mais non ». Je vais, à présent, la terminer pour lui de la sorte: « mais non petit morveux, tu n’as rien compris pauvre con ».
Heureusement qu’il n y avait pas encore facebook et internet tout court. Sinon, j’aurai posté cette insolence sans rien risquer ni regretter par la suite. De comparables prétentieux m’auraient conforté par des mentions « j’aime » et des acquiescements à faire croire que toute inflexibilité est du moins recevable sinon recherchée. Aux faces de boucs, facebook est dorénavant là pour prolonger leurs bévues jusqu’à leurs plus grandes vilenies volcaniques et vaniteuses. N’en déplaise aux moins virils qui misent sur la force des raisonnements tempérés et refroidissants, l’escouade veut que ça chauffe.
Ah ! J’avais traité Habib Thiam de nullard parce qu’il avait fait une faute grammaticale lors d’une interview passée à la télévision nationale. À la place d’un le, il avait dit « la ». N’ayant rien compris, ou pas grand-chose, de ce qu’il expliquait sur les politiques publiques, c’était comme si je n’attendais que ça pour me convaincre de ce qu’on nous apprenait à la permanence du parti : « les gens comme lui étaient dans l’impossibilité et dans l’incapacité de porter le combat du progrès social ». Hey ! Ça fait déjà longtemps qu’on nous fait croire que la langue française et les bouderies à la française sont les modalités d’affirmation citoyenne.
Encore aujourd’hui, l’exutoire de prédilection des frustrations de la jeunesse est la politique et ses drains de défoulement. Le politicien et, surtout celui au pouvoir, est cloué au pilori pour recevoir les 7 pierres, en lapidation, comme à Mina. À part Dieu, ce sont eux, de leur faiblesse et de leur incompétence, qui nous ébranlent. À défaut de se servir du travail comme paravent contre la misère existentielle comme chez les toubab en mal d’affection socialisante, les jeunes de chez nous politisent tout pour décompresser du fardeau social.
Pour autant, l’actuelle classe juvénile sénégalaise n’est pas plus effrontée que celle qui l’a précédée. Hasardeusement, celle-ci a trouvé, sur l’autoroute électronique, un écho amplificateur de culot et d’insolence. Génération malsaine, avait dit le président Abdou Diouf, « boule falé », se dit la génération actuelle. C’est une force, le dernier rempart contre les abus et les écarts des autorités. Nous pouvons nous désoler, par vantardise, de ses excès, de ses vices et de ses inconvenances, toujours est-il que l’audace des jeunes constitue encore la seule puissance redoutée et révérée par les maîtres de céans. Celui qui va hériter de cet ogre zélé, jeunesse dénigrée constamment, des mains du dernier mohican, Abdoulaye Wade, fera mal, très mal. Curieusement, Ousmane Sonko, né de la dernière pluie, est sur le point de se positionner en tenancier du mécontentement national.
Birame Waltako Ndiaye
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La force brute et utile des jeunes sénégalais
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