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La guerre en Ukraine en contexte (Par Pierre Guerlain)

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Professeur de civilisation américaine, université Paris Nanterre Tout d’abord et afin d’éviter toute ambiguïté : l’invasion russe qui provoque morts et
destructions n’est pas acceptable sur le plan éthique et il faut la condamner de façon énergique. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait tous les candidats à la présidence, avec quelques modulations.
La guerre et sa kyrielle de crimes, blessés et infrastructures essentielles à la vie détruites est rarement justifiée sur le plan éthique. En prenant la décision de passer au conflit militaire
Poutine porte la responsabilité de tous les morts et il est aussi responsable de la haine des Ukrainiens vis-à-vis de sa personne, son régime et aussi son pays qui n’est pas, cette fois-ci, solidement uni dans le soutien à sa politique guerrière. De très nombreux Russes défient la répression pour exprimer leur opposition à la guerre.
Il est fort possible que cette guerre débouche sur des réalités opposées à celles voulues par le président russe : renforcement de l’OTAN, une alliance qui cherchait sa nouvelle mission depuis la chute de l’URSS et la disparition du Pacte de Varsovie. Une alliance défensive à l’origine qui s’était muée en agent de la guerre, surtout de la guerre américaine, au Kosovo, en Afghanistan et en Libye. L’organisation était selon le mot du président français, Macron, en état de « mort cérébrale » et l’invasion russe lui redonne, aux niveaux des populations, une nouvelle légitimité.
Il faut faire l’inventaire des morts et destructions causées par l’invasion illégale mais aussi s’interroger sur les origines de la guerre et examiner les stratégies pour mettre fin au désastre. La guerre russe en Ukraine est en cours et l’on ignore s’il a une voie diplomatique pour y mettre fin donc le bilan des morts et destructions ne pourra s’établir qu’à la fin.
Les racines du conflit En ce qui concerne les origines du conflit un récit médiatique s’est mis en place tendant à faire de la Russie l’unique responsable de la crise. S’il est juste de tenir Poutine pour responsable de la décision de lancer les opérations militaires, il est tout à fait erroné de gommer les responsabilités occidentales dans la crise que Poutine a fait déboucher sur la guerre (…).
Afin de rendre les choses claires procédons à une comparaison historique. Les historiens de la première guerre mondiale s’accordent à dire qu’à la fin de celle-ci les alliés ont imposé des conditions de paix très dures et humiliantes pour l’Allemagne qui portait une grande responsabilité dans le déclenchement du conflit. L’humiliation de l’Allemagne a favorisé la montée du nazisme, c’est un fait historique. Ceci ne gomme pas la responsabilité des nazis dans leurs crimes comme la Shoah. Contexte historique complexe où les responsabilités du conflit sont partagées mais totale responsabilité des criminels.
Il faut procéder de la même façon pour comprendre comment le conflit s’est formé et a dégénéré en guerre meurtrière. En 1997, soit trois ans avant l’arrivée de Poutine au pouvoir à Moscou, le père de l’endiguement, George Kennan, avait publié un article dans le New York Times intitulé « A Fateful Error ». Il mentionnait le risque que des nationalistes anti-occidentaux et militaristes arrivent au pouvoir en Russie si l’OTAN s’étendait à l’Est. Il n’était

pas dans une posture pro-russe au contraire, il mettait son pays et notamment le président Clinton en garde contre une erreur géopolitique aux conséquences prévisibles terribles. Vingt-cinq ans plus tard, et alors qu’entre-temps l’OTAN s’est étendue en diverses phases aux frontières de la Russie, on voit qu’il était particulièrement prescient. Un grand nombre de responsables politiques américains, dont Henry Kissinger ou William Perry ancien ministre de la Défense ont au cours des années lancé un avertissement de même nature. Des politologues de renom comme John Mearsheimer et Stephen Walt qui font partie de
l’école réaliste en politique étrangère n’ont cessé de dénoncer le danger de l’élargissement de l’OTAN. Walt souligne à juste titre que cette crise aurait pu être évitée par une diplomatie plus adepte. Toutes ces personnalités ne peuvent êtes soupçonnées d’une proximité idéologique avec Poutine.
Le récit médiatique dominant qui s’articule autour d’un légitime effroi face à la guerre cherche à gommer cette histoire pour transformer l’histoire du conflit en un manichéisme simple : Poutine est fou, paranoïaque et cherche à reconstituer l’URSS dont il regrette la disparition. Ce récit s’appuie sur quelques réalités mais passe sous silence tous les
avertissements sur le point central de l’extension de l’OTAN comme si évoquer cet aspect était être l’allié de Poutine ou sa dupe. (…)
Nous savons aussi, grâce aux archives de la National Security américaines que promesse avait été faite à Gorbatchev en 1990 de ne pas étendre l’OTAN « d’un pouce vers l’Est », promesse verbale mais authentifiée dans de nombreux documents que tous les médias pourraient facilement consulter. Aujourd’hui le récit médiatique dominant soit indisibilise cette promesse soit affirme qu’elle ne concernait que l’ex RDA. La vérité est la première victime de la guerre et ceci s’applique à Poutine mais aussi aux Occidentaux qui nient l’histoire pourtant consultable dans des archives. Le site Les Crises a publié tous ces documents sur l’expansion de l’OTAN.
Une fois encore cette histoire de promesse non tenue et d’élargissement de l’OTAN ne dédouane pas Poutine qui a lancé la guerre. Les médias qui tentent de faire croire que mentionner ces documents serait de la propagande russe sont eux-mêmes dans une posture propagandiste. L’OTAN s’est élargi jusqu’aux frontières de la Russie et une base en Pologne, équipée de missiles n’est qu’à 160 km de la Russie. Les avertissements américains sur les dangers de l’élargissement n’ont cessé de se vérifier. En 2008 les États-Unis plaidaient à Bucarest pour inclure la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN. La France et l’Allemagne s’y étaient opposées mais il fut décidé que ces deux pays, à terme, rejoindraient cette organisation.
Les grandes puissances n’acceptent pas que leurs rivales installent des bases ou des capacités militaires à leurs portes. Lorsque l’URSS a voulu installer des missiles nucléaires à Cuba en 1962, la pression américaine a conduit à ce qu’ils soient retirés. Si le Mexique, pays pourtant, en théorie tout au moins, souverain, voulait inviter la Chine à établir une base avec des missiles sur son territoire les États-Unis lui interdiraient immédiatement.
L’élargissement de l’OTAN était donc reconnu comme un danger par des spécialistes américains et vécu comme une provocation par la Russie. En 2008 une guerre avait éclaté en Géorgie entre ce pays et la Russie qui soutenait des républiques séparatistes.
Le stratège américain Zbigniew Brezinski avait formulé une idée concernant l’Ukraine dans son ouvrage majeur Le Grand échiquier : la Russie ne pouvait être une grande puissance sans l’Ukraine. Aujourd’hui la propagande de Poutine refuse de reconnaître l’existence de l’Ukraine en tant que pays souverain et indépendant.

Selon les théories réalistes les pays souverains qui jouxtent les grandes puissances sont soumis aux pressions de ces puissances. (…)
Le coup de force russe a fait rentrer Macron dans le jeu de l’Alliance atlantique et fait changer l’Allemagne de doctrine en matière de politique étrangère. Ces deux pays souverains ne peuvent résister aux demandes pressantes des États-Unis, un allié aux postures parfois agressives.

Obama s’était opposé à la vente d’armes à l’Ukraine et il pensait que ce pays était dans la zone d’influence russe et que par conséquent la Russie serait toujours prête à mettre plus de moyens militaires dans sa défense que les États-Unis n’étaient disposés à en mettre pour un
pays éloigné qui n’est pas essentiel à leur défense.
Depuis 2017, donc depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, les États-Unis n’ont cessé de livrer des armes à l’Ukraine pour selon un élu démocrate au Congrès, Adam Schiff, « combattre la Russie là-bas plutôt qu’ici ». Si l’on se réfère aux idées d’Obama, on ne peut conclure que l’Ukraine risque d’être non pas protégée par ces armes mais au contraire dévastée.
La sortie du conflit sur Cuba en 1962 pourrait servir de modèle. Il faut que les armes russes se taisent, au plus vite, mais aussi que l’OTAN examine l’histoire de ses provocations 1 .
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.

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