Depuis les années 2000, l’Etat du Sénégal a beaucoup investi dans l’agriculture afin de corriger le retard du secteur, retard consécutif à l’application des programmes d’ajustement structurel, injustement imposés à notre pays par les institutions de Breton Woods. La politique agricole progressiste et volontariste du feu Président Senghor fut alors abandonnée. Ainsi, les coopératives agricoles qui permettaient jadis aux agriculteurs de faire de l’épargne pour la période de soudure et de jouer leur partition dans la commercialisation de l’arachide furent en conséquence supprimées ou banalisées. Furent également supprimés l’encadrement et la formation des producteurs, les prêts d’intrants et de matériel agricole aux agriculteurs,…. En fin de compte, l’application des programmes d’ajustement structurel poussa l’Etat à abandonner le secteur agricole à lui même et on connait les conséquences dramatiques de cette « Nouvelle Politique Agricole » : pauvreté en milieu rural, exode rural, insécurité alimentaire, mal nutrition,… Influencés par les institutions de Breton Woods, beaucoup d’hommes politiques sénégalais pensent à tort que le retrait de l’Etat de l’agriculture est une nécessité voire une obligation. Je ne connais pas un pays agricole où l’Etat s’est retiré de l’agriculture et ce n’est même pas pensable. L’agriculture est une affaire qui relève de la souveraineté nationale. L’Etat doit toujours avoir la main sur ce secteur ultra stratégique, surtout au Sénégal où plus de 60% des habitants vivent directement de l’agriculture.
L’arrivée du Président Wade à la tête du pays apporta incontestablement un changement qualitatif dans la politique agricole du Sénégal. Plusieurs initiatives furent prises par l’Etat pour relancer l’agriculture et booster la production agricole qui était au plus bas depuis les années 1990 : Plan REVA, GOANA, Bassins de rétention, programme maïs, programme niébé, programme manioc, programme de pistes de production,…Ces initiatives relancèrent effectivement la production agricole et améliorèrent les revenus des producteurs. Toutefois, la liquidation irréfléchie de la SONAGRAINES, la privatisation précipitée et ratée de la SONACOS et le carreau usine se révélèrent catastrophiques pour les agricultures. On nota aussi en le déplorant le caractère informel de la politique agricole du Sénégal de 2000 à 2012. Aucun fil conducteur ne reliait les nombreux projets et programmes agricoles de l’Etat pendant cette période.
En 2012, le Sénégal connut sa 2ème alternance démocratique. Elu avec son programme Yoonu Yookute, le Président Macky Sall comprit très tôt que le principal levier du développement économique du Sénégal est l’AGRICULTURE au sens large du terme. C’est pourquoi il en fit une priorité dans le PSE. Ainsi, depuis 2012, des sommes colossales sont investies chaque année dans le secteur agricole avec l’ambition d’atteindre plusieurs autosuffisances notamment en riz à l’horizon 2017 ; la mécanisation de l’agriculture érigée en option stratégique pour la modernisation du secteur. Les productions agricoles ont certes sensiblement augmenté mais pas à la hauteur des attentes des autorités et des populations. Beaucoup de paramètres insuffisamment maîtrisés sont à l’origine de la faible performance persistante de notre agriculture. Il s’agit notamment de l’eau, denrée indispensable à la vie, donc à l’agriculture qui relève du domaine biologique.
L’intrant le plus indispensable à l’agriculture est incontestable l’eau. Sans eau, il n’y a ni production animale, ni production végétale. La maitrise de l’eau est donc un préalable à toute politique de relance et de modernisation de l’agriculture. Pour les cultures irriguées, le Sénégal a fait beaucoup d’efforts couronnés de succès incontestables et c’est sans doute pourquoi il a l’ambition d’atteindre l’autosuffisance en riz à l’horizon 2017, ambition que les spécialistes considèrent comme réaliste et réalisable. Concernant les cultures pluviales, la maitrise de l’eau est loin d’être atteinte et ne semble pas encore être un objectif ciblé des autorités.
Pourtant, un petit tour dans les pays agricoles notamment du Nord montre que la maîtrise de l’eau est incontournable pour une agriculture pluviale performante et capable de garantir aux populations la sécurité alimentaire et des revenus substantiels. Dans ces pays, lorsqu’il y a déficit hydrique, l’arrosage est un palliatif efficace systématiquement utilisé pour sauver les cultures et donc les récoltes. Les champs de blé, de betteraves sucrières, de maïs et d’autres cultures sont arrosés à chaque déficit en eau. Le Sénégal ne devrait pas faire exception pour sauver certaines de ses cultures pluviales. Lorsque la pause pluviométrique est raisonnable, l’arrosage pourrait permettre de sauver les cultures et donc les récoltes C’est pourquoi, dans le cadre de la politique de mécanisation de l’agriculture sénégalaise, il devrait être envisagé de mettre à la disposition des agricultures pour certaines spéculations stratégiques des équipements appropriés permettant l’arrosage de ces cultures en cas de pause ou d’arrêt prématuré des pluies comme c’est le cas cette année. Les pauses pluviométriques et l’arrêt prématuré des pluies cette année 2016 sont à l’origine de la chute des productions céréalières dans beaucoup de départements et des graines d’arachide de mauvaise qualité, souvent inaptes pour être des semences. La période de soudure va être précoce et longue dans beaucoup de localités en 2017.
Il ne faudrait plus croire que la maitrise de l’eau, c’est uniquement l’irrigation ou la construction de forages. La maitrise de l’eau c’est aussi avoir les moyens techniques et l’eau pour arroser les cultures victimes de déficit hydrique. Les abondantes quantités d’eau de ruissellement qui se perdent par infiltration et évaporation pourraient être stockées dans des bassins de rétention adaptés. Actuellement, ces grandes quantités d’eau de ruissellement ne sont pas suffisamment valorisées. Elles seraient pourtant suffisantes pour satisfaire les besoins d’arrosage des champs ciblés, l’abreuvage du bétail et le maraîchage.
Dans le bassin arachidier, pour la première fois en 2016, les producteurs de pastèques ont fait appel à l’arrosage pour sauver leurs cultures suite à l’arrêt prématuré des pluies. Avec leurs charrettes et des bidons de récupération, ils puisaient l’eau dans les marigots et arrosaient leurs champs. Ainsi, les pastèques ont pu atteindre la maturité et commercialisées.
Pour la réussite de cette proposition, la politique de construction de bassins de rétention devrait être relancée de façon plus professionnelle avec un meilleur maillage du territoire. L’implication des universités notamment le département Génie Civil de l’ESP permettait de trouver des prototypes adaptés aux besoins d’arrosage des champs, l’abreuvage du bétail et la pratique de maraîchage.
L’agriculture pluviale est très vulnérable. Les pays qui ne mettent pas en place un dispositif d’arrosage en cas de déficit hydrique pourraient se retrouver avec des baisses de production de nature à compromettre des acquis obtenus à la suite d’efforts titanesques. Avec le réchauffement climatique, les pauses et/ou arrêt prématuré des pluies pourraient être plus fréquents que d’habitude. Le recours à l’arrosage mérite toute l’attention des responsables de l’agriculture sénégalaise. Lors de la visite économique du President de la République dans les régions centres, les observateurs avertis ont noté que la pause pluviométrique qui s’est transformée en arrêt prématuré des pluies pourraient compromettre sérieusement les productions agricoles pluviales de 2016 : mil, arachide, maïs, riz, tomate, pastèques.
Dans le cadre du PSE, une vision novatrice et audacieuse, il est imaginable d’aller plus loin que ce que l’on fait ou essaie de faire depuis les indépendances. Si le Sénégal veut sécuriser les gros investissements dans l’agriculture pluviale et les productions agricoles, il devrait investir aussi dans la maîtrise de l’eau. Aussi longtemps que ce levier clef de l’agriculture pluviale ne sera pas maîtrisé, le Sénégal va courir le risque d’avoir des productions agricoles stagnantes et faibles. Malgré les investissements consistants en faveur de l’agriculture, nos productions fluctuent toujours et remettent en cause souvent les acquis et les certitudes de la tutelle.
Pr Demba SOW
Ecole Supérieure Polytechnique de l’UCAD
La maitrise insuffisante de l’eau est le premier obstacle à l’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise Par Pr Demba Sow
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