Noblesse oblige. Si pour certains le travail est une prison, d’aucuns, comme Patrizia Reggiani, ex-Mme Gucci, pensent que la prison est préférable au travail. “Je n’ai jamais travaillé de ma vie, ce n’est certainement pas maintenant que je vais commencer”, a-t-elle répondu au tribunal de Milan, qui lui demandait pourquoi diable elle n’avait pas encore demandé à bénéficier du régime de semi-liberté alors qu’elle avait déjà purgé plus de la moitié de sa peine – vingt-six ans derrière les barreaux pour avoir fait assassiner son mari, le dernier héritier de Gucci, la griffe au double G. “Je n’ai jamais travaillé de ma vie”, a admis avec candeur cette ex-dame du gratin milanais, qui partage aujourd’hui une cellule au bloc 6 de San Vittore. Deux plantes vertes et un furet meublent ses journées, toutes identiques depuis janvier 1997, date à laquelle elle fut arrêtée pour le meurtre de son époux, tué par balle à moins de 100 mètres de chez lui. Pour Mme Gucci, la prison doit être un gouffre bien plus terrible que l’accusation de meurtre. Plus terrible que de frayer avec la bande d’adeptes de la sorcellerie et de chauffeurs au chômage qu’elle engagea à coups de millions de lires pour liquider un mari richissime, défini comme un fat et un coureur de jupons invétéré. Mais la prison, pour Mme Gucci, ne peut être pire que de se frotter à la vie ordinaire, à un travail ordinaire – dans un gymnase ou un restaurant comme serveuse, elle pouvait même choisir. Restée égale à elle-même, quand elle dépensait chaque mois des millions de lires* en orchidées, elle a refusé cet emploi avec mépris.
“De toute façon, depuis 2005, ma cliente a régulièrement des permissions de sortie pour être auprès de sa vieille mère”, indique son avocat, Danilo Buongiorno. Deux fois par mois, Patrizia Reggiani quitte pour douze heures la vieille prison de la place Filangieri pour retourner dans son luxueux palais du Corso Venezia – cinq étages d’un luxe ostentatoire et un sous-sol doté d’un gymnase ultramoderne où elle passe le plus clair de son temps, seul effort supporté dans une vie d’oisiveté. Douze heures de sortie pour oublier la prison de San Vittore, la cohabitation en cellule pendant quelques mois avec Vanna Marchi, qui s’était “abaissée” à servir dans un bar pour passer ses journées hors de prison. [Vanna Marchi, la kitschissime reine du téléachat, a été condamnée à dix ans de prison et 2,2 millions d’euros de dommages et intérêts pour avoir vendu des amulettes et des numéros de loterie prétendument gagnants à des centaines de milliers de gogos.] Douze heures pour oublier la méchanceté des détenues qui ont pendu Bambi, son premier furet, aux barreaux de sa cellule. Douze heures pour savourer chaque minute, même si la dame en noir doit passer devant tant de lieux noirs : le bar élégant de la place San Babila, où désormais on fait semblant de ne pas la connaître, l’angle de la via Palestro où a été tué son mari, l’entrée du bureau de Maurizio Gucci, où le concierge Giuseppe Onorato boîte un peu quand il doit lustrer les cuivres – un souvenir des deux coups de pistolet qu’il a essuyés lui aussi lors du meurtre. Encore que cette douleur ne soit rien face aux 200 millions de lires* de dommages et intérêts qu’il attend toujours de Patrizia Reggiani, ex-Mme Gucci.
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