Je m’approprie l’adage des institutions de micro finance qui dit que : « le crédit est la condition de vie ou de mort d’une institution de crédit », pour dire aussi que, l’agriculture est la condition de vie ou de mort du PSE. Depuis 1984 sous la pression de la banque mondiale et du FMI, les pouvoirs publics ont successivement mis en œuvre des programmes agricoles qui ont tous connu des échecs. Dans le cadre de l’ambitieux programme agricole élaboré par le gouvernement actuel, figure en bonne place, les domaines agricoles communautaires (DAC). Je suis parfaitement en phase pour ce qui est de la vision et les objectifs de cette composante. En revanche, pour ce qui est de la mise en œuvre, j’ai beaucoup de réserves et même des alertes à faire. L’option des domaines agricoles communautaires, bien qu’étant une très bonne vision pour promouvoir l’emploi en milieu rural n’en demeure pas moins problématique quant à la stratégie actuelle de mise en œuvre. J’ai entendu un des responsables, préciser que les domaines n’ont de communautaire que l’espace et les infrastructures, et que tout le reste est individuel : une précision très importante, quand on sait que le communautarisme a montré ses lacunes partout. J’avais publié une contribution en 2007 à SUD online, intitulé « pour l’agriculture sénégalaise, j’accuse », où je disais entre autres, et pour des raisons multiples, qu’au Sénégal, l’agriculture est malheureusement un métier par défaut. Les jeunes ont déserté la zone rurale et abandonnent la terre pour peu qu’on leur propose. Ils sont poussés par une sorte de tropisme vers les grandes villes où vers l’Europe. Nos paysans sont très braves, mais ils ont atteint une limite objective pour prendre en charge une agriculture compétitive, dans le contexte de mondialisation.
En effet, on ne pousse pas des personnes vers l’agriculture comme on pousse un troupeau vers des pâturages verdoyants, car, tandis que l’animal n’est mû que par l’instinct de conservation, l’homme par contre est doué d’intelligence, donc de capacité de discernement et de choix. Dès lors, Il est indispensable de bien penser à une stratégie durable en prenant tout le temps qu’il faut pour bien avancer. A cet égard, les échanges d’idées et d’informations permettent d’aboutir à des solutions « robustes ». C’est dans ce contexte que je voudrais expliciter mon idée par rapport à la situation actuelle de notre agriculture qui est au cœur de beaucoup de débats d’experts à travers les médias. En effet, tous ces débats tournent autour d’un seul objectif : comment convaincre les jeunes, à retourner vers la terre, et y rester.
Lors du précédent gouvernement, beaucoup de projets agricoles ont été initiés avec des succès mitigés. A l’époque, les nombreux conseillers, dont beaucoup d’agronomes, n’avaient pas voulu ou n’osaient pas avouer au président, les limites dans les projections de rendements et de productions agricoles.. Nous retrouvons de nouveau les mêmes démarches en ce qui concerne les domaines agricoles communautaires. Nous avons suivi à la télé beaucoup de jeunes pionniers alignés dans un périmètre, apparemment très enthousiastes appelant leurs paires, majoritairement marchands ambulants à Dakar à venir les rejoindre. Mais cette ardeur sera – t- elle durable ? Rien n’est moins sûr. Il faut qu’on accepte, quel que soit l’ampleur de la pression sociale, d’adopter des stratégies susceptibles d’aboutir à des solutions durables. C’est-à-dire, identifier d’abord les contraintes majeures de notre agriculture à savoir : la non maitrise de l’eau, l’insuffisance notoire de semences certifiées, les difficultés d’accès aux crédits adaptés, le problème foncier et le comportement des acteurs clés. Si ces contraintes ne sont pas levées, il est évident que les personnes averties ne s’aventureraient jamais vers des mirages, quel que soit l’ampleur des actions de communication. En ce 21° siècle, caractérisé par la mondialisation et la compétitivité, il est utopique de compter sur la pluviométrie.
En comparant la situation paradoxale de notre pays à celle des pays voisins, nous constatons que l’heure n’est plus aux palabres et qu’il est temps d’opérer une rupture si non, l’émergence ne serait qu’un slogan de plus. Je faisais allusion à la mondialisation, un mot qui est malheureusement galvaudé, mais qui est une réalité pouvant être une opportunité ou un véritable tsunami, si on y prend garde. En termes claires et simples, la mondialisation veut dire qu’un producteur indien ou tanzanien est libre d’amener ses légumes ou ses fruits à Ngaye mékhe ou à Bandafassi et de les vendre sans aucune contrainte. Pour preuve, il suffit d’observer l’arrivée massive des agrumes maghrébins : de Diamniadio, jusqu’à ouakam, en passant par le marché de castor et de Tilène, on ne trouve que les mandarines et les clémentines du Maroc. Les minoteries de la place, utilisent le maïs USA ou de l’argentine. Depuis 3 ans et à partir du mois de septembre, des camions provenant de la cote d’ivoire ou du Burkina déversent des centaines de tonnes d’arachide dans nos marchés, dés le mois de septembre, à une période, où nos culture sont encore en phase de maturation.
Quel paradoxe ! Le Dr cheikh Oumar Ba de l’IPAR (Initiative prospective agricole et rurale) disait dans une publication que: « lors de la révolution agraire des pays de l’Asie du sud-est et de l’Amérique latine, les techniques agricoles ayant permis cette révolution étaient déjà expérimentées par nos chercheurs de l’ISRA depuis les années 70 ». Mais que vaut une expérience, si elle n’est pas développée en milieu réel. La mondialisation requiert, si on veut en tirer profit une plus grande spécialisation et une compétitivité. Malheureusement dans ce domaine, notre pays ne s’identifie plus à rien. Quand on parle de café et sucre, chacun pense au Brésil, les agrumes font penser au Maghreb, les fleurs du Kenya sont actuellement cotées à la bourse d’Amsterdam, on ne peut parler de coton sans faire allusion au Burkina et au Mali. La cote d’ivoire ne jure que par son cacao, le Niger, selon la FAO stat (2004) a produit 2 500 000 T de mil, se classant du coup, 3° producteur mondial au moment où nous éprouvons d’énormes difficultés pour atteindre 1500 000T pour toutes céréales confondues. Israël est le premier producteur mondial de tomates cerise avec des rendements à l’ha qui dépassent 500 T. Paradoxalement, au point de vue ressources hydro agricoles, Israël n’a que 1,4 milliards de M3 d’eau disponibles et renouvelables. Ceci a poussé ce pays a signé avec la Turquie en octobre 2002 un accord innovant engageant la Turquie à livrer à Israël 50 millions de m³ d’eau douce chaque année pendant 20 ans, alors qu’au Sénégal, il ya prés de 35 milliards de m3 d’eau douce, disponible et renouvelable. Voilà en résumé les problématiques aux quelles il est urgent de s’attaquer. Nous sommes tous conscients de la volonté du gouvernement de passer par l’agriculture pour booster l’emploi des jeunes. Cependant la meilleure manière d’y parvenir est de créer les conditions qui attirent les gens, c’est-à-dire, rendre l’eau disponible et accessible, partout dans le pays pour prendre en compte définitivement les risques climatiques.
Pour une maitrise de l’eau équitable :
Les ambitions très fortes du Sénégal concernant le développement de l’agriculture irriguée se sont traduites pendant plusieurs décennies par des investissements très forts dans la Vallée du fleuve Sénégal et en Casamance. Ces deux régions ont ainsi concentré 70% des flux d’investissements alloués à l’agriculture de 1988 à nos jours. Alors que durant cette période, d’autres régions comme le bassin arachidier, qui regroupe 60% de la population, n’ont reçu que 3% des investissements (Etude PNIA, Avril 2011).
La pluviométrie de l’hivernage (2014-2015 vient conforter l’idée généralement admise, de mener des mesures hardies de maitrise de l’eau pour sortir de ce cercle vicieux. Cela demande des investissements très lourds et des décisions courageuses. On ne peut parler de maitrise de l’eau en ignorant le bassin arachidier et se limiter seulement à la région du nord et en Casamance, d’autant plus que ces deux régions sont privilégiées par la nature.
L’essor d’Israël a commencé par le développement de l’agriculture : la mise en place de techniques novatrices visant l’amélioration et la diffusion de l’irrigation dans les régions les plus arides a contribué à développer en profondeur le pays. Ces efforts ont permis à Israël de devenir autosuffisant: l’Etat Hébreu produit 95% de l’ensemble de ses denrées alimentaires consommées. (L’Ambassade d’Israël en France, 2005). Tout cela est rendu possible grâce à une décision historique et courageuse de construction d’une conduite allant des hauteurs du Golan, à partir du lac Tibériade, jusqu’au désert du Néguev. Cette conduite alimente beaucoup de fermes sur son passage et réapprovisionne des lacs artificiels. Nous osons espérer qu’un jour nos pouvoirs publics prendront enfin la ferme décision de réaliser une conduite allant de Tambacounda à Mbour, en passant par Kaolack, kaffrine, fatick avec des dérivations vers les départements de Linguère, Mbacke, Gossas et Diourbel. Inutile de rappeler que la plupart de ces régions sont confrontées à des problèmes de nappes d’eaux peu propices à l’irrigation, du fait de leur forte teneur en sel. J’estime qu’entreprendre une pareille conduite est bien possible, car même la Libye a réalisé une conduite de 4000 km, en tirant l’eau des nappes profondes du désert libyque. Pour le cas du Sénégal, il s’agira de voir si l’eau proviendrait des nappes souterraines ou des eaux des fleuves du Sénégal et Gambie.
Tout ceci, pour dire que le décollage ou l’émergence exigent parfois des décisions courageuses, pouvant même être confondues à des suicides politiques. C’est ce que les pays précités ont fait. C’est également la même détermination qu’a eue la chine avec la politique courageuse de l’enfant unique, la réforme agraire au brésil, Dubaï a réussi un pari fou, en récupérant des centaines d’ha dans la mer par l’ensablement, ce qui a permis de d’aménagement une ville entière à l’intérieur des eaux . Une conduite de Tambacounda à Mbour n’atteindrait même pas 500km et présente l’avantage d’avoir les régions de l’est situées en hauteur, ce qui facilite la conduite par gravité vers Dakar, partie basse du pays. Il ne s’agit plus donc : « que maitrise de l’eau au Sénégal, soit confondue à maitrise de l’eau uniquement dans la vallée du fleuve Sénégal » , mais dans les régions du centre aussi.
S’inspirer des sociétés immobilières pour améliorer la méthodologie des DAC
Les Sociétés immobilières commencent d’abord par chercher un financement au niveau des banques pour l’acquisition de titres fonciers ou de bail ; ensuite, procèdent à la viabilisation et la répartition du terrain en des lots de différents standings. Ainsi quand les parcelles seront disponibles, les travailleurs à la recherche de logements vont se ruer sur les lots en fonction de leurs revenus. Les sociétés n’auront pas besoin de supplier les gens car l’accès à un logement décent est un besoin réel.
C’est exactement ce qui doit se passer pour les fermes. Il s’agit seulement de rendre disponibles des parcelles viabilisées (grillages, réseau irrigation) et ensuite les répartir en superficies différentes : par exemple de 1 à 10 ha. Chaque attributaire de parcelle installe son compteur et paie selon la périodicité fixée, sa facture d’eau en fonction du volume utilisé pour irriguer sa parcelle. C’est seulement après la mise en œuvre des ces actifs de production que les vrais agriculteurs qui avaient de réelles difficultés d’accès à la terre et à l’eau accepterons de se ruer sur ces parcelles sans qu’on ait besoin de les supplier. Ils les occuperont comme les abeilles occupent une nouvelle ruche, car, dans ce pays, on trouve des milliers de porteurs de projet, très motivés et très dynamiques, mais qui n’ont pas les moyens d’accéder ni à la terre, ni à l’eau et qui ne croient qu’à l’agriculture. Ils sont différents des gens qui sont dans les villes et qui rêvent d’avoir un capital pour aller en Europe. Aussi, ces infrastructures durables vont susciter la confiance des banques et faciliter l’octroi de crédits pour des fonds de roulement qui serviront à acheter des intrants, à payer des prestataires qui seront chargés de les appuyer et les former dans les techniques agricoles et commerciales. L’occasion faisant le larron, des incubateurs de micro entreprises vont surement essaimer tout autour des ces entreprises agricoles. Quand les vrais premiers agriculteurs auront donné des résultats, les autres suivront naturellement. L’état n’aura plus besoin mener des débats incessants et des campagnes de communication intempestives pour envoyer les gens vers l’agriculture. Mais va plutôt s’orienter vers l’autre contrainte majeure, à savoir la disponibilité et l’accès à des semences certifiées pour les cultures hivernales, qui concernent plus les exploitations familiales.
Le renouvellement du capital semencier : une urgence
L’innovation technologique dans le domaine agricole ne se limite pas à l’acquisition de matériel agricole moderne ou l’adoption de système d’irrigation sophistiqué, mais doit plus mettre l’accent sur l’amélioration du potentiel du matériel végétal. On ne peut prétendre à la compétitivité et à la productivité en continuant à utiliser des semences d’arachide écrémées. Pour expliquer en termes compréhensibles, la signification de semences écrémées, je prendrai l’exemple d’un aviculteur qui veut faire l’élevage de poules pondeuses et à qui on demande d’aller à sandaga chercher des sujets réformés après 6 mois de ponte, qui n’ont même plus de plumes et choisir les meilleures de ces poules, alors qu’il lui faut plutôt des poussins âgés au plus, d’une semaine. Pour un besoin en capital semencier estimé à 120 000T, seulement 24 000t de semences certifiées, sont pour le moment disponibles, selon les services techniques. Tout le reste est constitué par de l’écrémage. C’est la raison pour laquelle il est difficile d’atteindre des rendements et des productions acceptables. Pour maintenir un niveau annuel de production acceptable d’un million de tonnes, il nous faut régulièrement avoir un capital de semences certifiées de 120 000T pour pouvoir emblaver un million d’ha, quand on sait qu’il faut de 120 à 140 Kg de semences pour emblaver un ha. Ainsi, avec un rendement moyen d’une tonne à l’ha cet objectif de production peut être atteint. Mais pour pallier à toute éventualité, un gouvernement doit être prévoyant, car les risques pouvant compromettre une campagne sont nombreux : on ne le souhaite guère, mais une sécheresse ou une invasion parasitaire en début d’hivernage peut compromettre une campagne, s’il n’y a pas de réserves. Il est indispensable donc de prévoir des stocks de sécurité, en plus des 120000T.
Par ailleurs, il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt, car la dégénérescence des semences concerne également les autres espèces comme le mil, le maïs, le sorgho, etc. mais tout est dans l’ordre du possible car l’expertise de nos chercheurs dépasse nos frontières. Entre les années 60 et 80, ils ont produit au niveau de l’ISRA de multiples variétés de semences et pour plusieurs espèces, adaptées à la variation de la pluviométrie. Mais l’ardeur de nos chercheurs a été freinée par deux phénomènes : l’absence de politiques de recherche hardies et soutenues et les fameux ajustements structurels qui avaient conduit à la réduction drastique des ressources de l’ISRA. Ce qui a eu pour conséquences : le découragement de nos chercheurs et une contre performance chronique de notre agriculture. L’autre faiblesse est le fait que les produits de la recherche ne trouvent pas assez de partenaires pour des applications pratiques en milieu réel .C’est la, justement où devraient intervenir des firmes semencières privées pour jouer le rôle d’interface entre les agriculteurs et les produits de la recherche en se positionnant dans les différentes zones agro-écologiques. J’estime que le rôle de l’état est de créer les conditions incitatives de création de firmes semencières privées, à l’instar de tous les pays qui ont développé leur agriculture. L’état aura ainsi, à jouer uniquement le rôle de certification et de régulation surtout par le rétablissement de la carte variétale.
L’équation de la distribution foncière
La principale contrainte à lever pour assurer une durabilité des investissements, concerne la résolution de la question foncière et particulièrement la sécurisation foncière des exploitations familiales. La LOASP a déjà identifié les principes qui doivent guider la future politique foncière, mais l’application tarde à se réaliser. Une des causes de ce retard est certainement l’hésitation des pouvoirs publics et la frilosité des producteurs ruraux qui pensent que : agro-business rime avec expropriation des terres, alors qu’eux –mêmes peuvent développer l’agrobusiness qui n’est rien d’autres que le développement de l’entreprise à partir de l’agriculture. Quelque soit l’apparente complexité de la situation, le problème foncier devra être résolu une fois pour toute. La question fondamentale est de voire comment développer l’agrobusiness avec une utilisation rationnelle des terres. A mon avis, il s’agit de prendre en compte l’intérêt de l’agriculture familiale et de celui des générations futures. Une des solutions est d’évaluer d’abord au niveau de chaque commune, les superficies actuellement en culture, le disponible non encore exploité et une répartition équitable de ce disponible. Exemple : Si une commune X, dispose de 100 000 ha et que 20 000 ha, c’est-à-dire 20% soient actuellement en culture, il s’agira de répartir les 80% qui restent selon la clé suivante : 40 % pour les générations futures de la commune, 10% pour les pistes, forets et parcours de bétail et le reste c’est-à-dire les 30% peuvent être mis en bail recouvrable par les communes pour permettre aux éventuels investisseurs de développer l’agrobusiness. Cependant, pour éviter des spéculations et des dérives liées à des velléités de monopoles, il faudra veiller à ne pas attribuer plus de 5% de ces réserves à un seul investisseur.
Le changement de comportement des acteurs clés : Une nécessité absolue.
J’ai été séduit un jour par un reportage à la télé qui montrait un docteur vétérinaire, dont j’ai oublié le nom, exploitant une ferme vers Sébikotane. On sentait à travers ce reportage la maitrise du sujet par la clarté des explications et l’embonpoint des animaux. Il nous montrait comment il est parvenu à acclimater les espèces exotiques et comment il a amélioré leur alimentation pour parvenir à de bons rendements par une parfaite maitrise des couts de production. “ Quand un enfant, dit Kant, ne met pas en pratique une règle de grammaire, peu importe qu’il la récite; il ne la sait pas. Celui-là la sait infailliblement qui l’applique, peu importe qu’il ne la récite pas. ”
En effet il est paradoxal avec la masse critique que notre pays recèle en termes d’agronomes, d’ingénieurs des travaux agricoles et d’agents techniques, que notre système de production soit jusqu’à présent de type artisanal. Qu’on se contente toujours, de concentrer toute notre énergie à la distribution de semences et d’engrais aux paysans et de croire qu’ils ont l’exclusivité du métier en ce 21° caractérisé par les TIC. J’admire la bravoure de nos paysans, qui n’ont plus rien à apprendre dans les techniques de production de l’arachide et des céréales. Dans ce domaine, les services traditionnels n’ont plus vraiment rien à leur apprendre. Ils n’ont besoin que d’avoir accès à des semences certifiées, à des engrais de qualité et d’un système de financement adéquat.
En revanche, si le Sénégal aspire à positionner son agriculture au niveau mondiale, il faut qu’il sorte de ce cercle vicieux qui consiste à considérer que le programme agricole c’est toujours se contenter d’évaluer les besoins en intrants au mois d’avril et mai, distribuer ces intrants aux paysans, évaluer les superficies emblavées au Mois d’aout, décrire les comportements des cultures en septembre , estimer les rendements et les productions et enfin prévoir la commercialisation en décembre. Cette méthode n’a pas varié depuis 1960. Ils changent constamment de programmes sans modifier les méthodes. Il est temps qu’il y’ait une rupture. Notre agriculture est malade de ses acteurs qui ne veulent pas sortir de cette bureaucratie. J’ai donné l’exemple du docteur vétérinaire pour pousser les techniciens de l’agriculture à sortir des bureaux et d’aller vers la terre au lieu de se contenter de postes de conseillers, d’experts, de coordonnateurs de projets. Notre agriculture souffre de manque de professionnalisme. Pourquoi ailleurs, ça marche : je pense au secteur du BTP, avec des centaines d’entreprises, où des ingénieurs en génie civile et architectes créent des entreprises de renommée internationale ; de la santé, où des milliers de médecins créent des cliniques et des professeurs qui font la navette entre les hôpitaux pour s’adonner à la pratique par des interventions chirurgicales et des interprétations de résultats d’analyse médicale, et l’université pour dispenser des cours aux étudiants. Pendant ce temps leurs homologues du secteur agricole, qui devraient moderniser notre agriculture, se limitent à donner des statistiques agricoles et à expliquer comment améliorer les rendements à partir de bureaux climatisés. Au vu de tout cela, on ne devrait pas être étonné de voir les jeunes refuser d’aller vers la terre, si les initiés rechignent à y aller. Un autre exemple typique d’agro-industries qui devraient faire tache d’huile est la compagnie sucrière, qui génère à elle seule 8000 emplois. Pourtant ceci n’est guère un miracle : Mr Mimran n’a fait que combiner les eaux du fleuve Sénégal, les terres du delta, les compétences sénégalaises et des ressources financières. Qu’est ce qui empêche à d’autres sénégalais d’en faire autant dans les autres régions du pays, avec d’autres cultures comme le maïs, pour ainsi se positionner en concurrent aux producteurs de maïs américain et argentin, où faire du Gombo industriel. Je donne en guise d’exemple, une situation que j’ai vécue en 2008 : ayant cherché en vain un financement de (10 000 000 FCFA) dans mon pays pour mettre en place une exploitation de (5ha) de gombo, j’ai décidé de chercher dans le Net, d’éventuels bailleurs. Un jour, vers 23 heures, quelqu’un m’appelle des Etats Unis, en me disant être intéressé par ce projet de gombo, mais il suppose que je ne suis pas ambitieux. Il est intéressé, mais à condition que la superficie soit portée à 200 ha. Tout cela, pour simplement dire que les marchés existent. Il est temps que nous revenions à l’esprit patriotique qui a amené les autres pays à l’émergence. Car, si l’état consent à utiliser d’énormes ressources pour notre éducation, il est normal qu’il s’attende à un retour d’investissement en termes d’appui à la création d’emplois et de diminution des charges. A cet égard, l’état a aussi une part de responsabilité en n’ayant pas une politique lisible et incitative à la création d’entreprise par des facilitations de l’accès à des financements. Mais cette négligence coupable continue à alourdir le fardeau des dépenses publiques par le simple fait qu’il reste le plus grand employeur, condamné ainsi, à toujours entretenir les gens sans initiative, après avoir payé à cout de milliards, leurs études.
Un grand sociologue français, « le BON » disait : «Par quoi est constituée la valeur d’un individu? “ Par ce qu’il a appris, c’est-à-dire par le nombre de diplômes qu’il possède, ” répondra un Latin. Un anglo-saxon répondra, au contraire, que la valeur d’un homme se mesure très peu à son instruction, et beaucoup à son caractère, à son esprit d’entreprise et à sa volonté. Avec de telles qualités, peu importe que l’individu ait un bagage scientifique faible. Il apprendra, quand cela lui sera nécessaire, tout ce qu’il aura besoin d’apprendre, et il réussira le plus souvent à devenir quelqu’un. L’homme pourvu seulement de diplômes mnémoniques, aura toujours besoin de l’État pour lui tracer sa carrières …». Lors de la dernière visite du chef de l’état, dans la région du fleuve, les belles exploitations qui ont été montrées dans la zone de Diama étaient apparemment gérées par des expatriés européens.
Nous rêvons d’avoir de pareils personnages dans le domaine de l’agriculture et ce ne sont pas les jeunes de sandaga ou de Colobane qui joueront ce rôle. Un petit calcul nous montre combien l’état est en train de perdre en persévérant dans cette logique bureaucratique : exemple un seul conseiller dans un ministère ou à la présidence aura peut être un salaire minimal de 500 000 f par mois. En un an, il aura couté aux contribuables : 6000 000 F et en 20 ans 120 000 000 F en plus des charges sociales. Alors que si l’état avait crée les conditions d’accès à un financement adapté, un autre ayant les mêmes qualifications aurait plutôt préfère un financement de 100 000 000 f, remboursable peut être en 10 ans seulement. L’état n’aura pas à débourser un franc et ce dernier aura crée beaucoup d’emplois dans une autre région, en plus des impôts qu’il aura versés à l’état, il contribuerait au développement de nos industries chimiques par l’achat d’engrais et de pesticides. Voilà un exemple typique de retour d’investissement pour l’état par la création d’emplois. Beaucoup de jeunes qui bravent la mer, une fois arrivés en Espagne ou en Italie, s’adonnent à des activités de récolte de fruits et légumes dans les plantations des agriculteurs européens. Pourquoi pas le faire ici, parmi leurs compatriotes s’ils trouvent des entreprises viables et capables de les employer. Voila pourquoi, nous estimons que la réticence n’est guère un refus systématique, mais des réserves liées à l’impréparation des DAC.
Conclusion
En résumé, nous pouvons dire que tout cela est bien dommage, vu les ressources humaines dont dispose notre pays : des chercheurs émérites, des ingénieurs et docteurs en agronomie de renommée internationale. Des sénégalais ont fait leur preuve partout, dans le système des nations unis : FAO, OMS, UNESCO et dans plusieurs instituts de recherche. Mais dans la phase d’évolution actuelle, où la science et les technologies de l’information et de la communication ont conduit le monde, le patriotisme, l’esprit d’entreprise et le gout du risque jouent un rôle de plus en plus prépondérant. Nous constatons qu’avec les nouveaux programmes, en l’occurrence les DAC et les grands aménagements dans le delta du fleuve, que la situation de l’agriculture commence à préoccuper les pouvoirs publics. Il faut souhaiter qu’il les préoccupe davantage et que l’opinion finisse par se transformer. L’avenir du Sénégal dépend surtout de la solution que nous saurons donner au problème de l’agriculture, dont la contrainte majeure reste : la maitrise de l’eau qui ne signifie pas se limiter aux aménagements dans la région du fleuve uniquement. Les régions du centre sont jusqu’ici exclus et cela est une sorte d’injustice qu’on peut réparer à partir d’une conduite allant de Tambacounda à Mbour. Tous les pays qui ont eu à faire des sauts qualitatifs ont procédé à des ruptures par des défis : j’ai cité les villes érigées en mer à Dubaï, à partir de milliers de tonnes de sables, la conduite d’eau de 4000m dans le désert libyen, la grande conduite qui traverse le désert du Néguev en Israël, etc. On pourrait peut être, rétorquer que le niveau de revenus n’est pas comparable, mais avec un partenariat dynamique, il est toujours possible d’avoir des bailleurs séduits par ce projet. Cette conduite, si elle était mise en œuvre, aurait l’avantage, non seulement de contribuer à la maitrise de l’eau dans au moins 5 régions du Sénégal, mais aussi, de créer des milliers d’emplois. En effet pour sa réalisation, il faudrait le concours de beaucoup d’entreprises et un besoin immense de main d’œuvre dans toutes les régions que la conduite traverserait.
Du coup, un problème de disponibilité de terres cultivables à fatick pourrait connaitre des débuts de solution concernant la réduction des terres cultivables, consécutive à la salinisation. Des centaines de milliards ont été investis dans cette région, depuis des décennies et continuent d’y être investis sur des projets de restauration des sols salés. Tous ces projets ont connu des échecs cuisants après avoir engloutis des centaines de milliards. Je suis presque sûr, que d’autres projets sont encore en cours d’élaboration pour cette zone pour pallier à ce problème de dégradation des sols. Si nous-nous referons toujours au cas des terres émergées de Dubaï, rien en effet ne nous empêcherait d’imaginer la possibilité de procéder à des excavations des sols jusqu’ici stériles de cette zone sur des profondeurs de 50 à 70cm et de les remblayer avec de la bonne terre. Cette technique suppose évidemment une pose des films plastics munis d’orifices de drainage, pour éviter la remonté du sel. Beaucoup de superficies ainsi récupérées, pourraient être irriguées à partir de l’eau de la conduite en contre saison et de la pluie pendant l’hivernage.
J’estime qu’il est plus difficile de remblayer une partie de la mer que de remplir des excavations d’une profondeur de 50cm. Je tiens à préciser que je ne suis ni ingénieur, ni géomètre, encore mois un hydrologue. (Cette idée pourra être plus détaillée en cas de besoin). La décision de matérialiser ou non cette idée, incombe aux pouvoirs publics et l’étude de la faisabilité appartient aux experts dans ce domaine. Quant à moi, je ne pouvais plus garder une idée qui, pendant plusieurs années bouillonnait en mon fort intérieur. Alors, Je me suis résolu à la partager parce qu’on ne doit jamais hésiter à dire ce qu’on croit utile.
Dabel BA : Agriculteur/Consultant à Tambacounda
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