La malnutrition touche près d’un milliard de personnes dans le monde et tue quelque 10.000 enfants par jour, principalement en Afrique et en Asie. Samedi, la journée mondiale de l’alimentation, qui se tient tous les 16 octobre depuis 1979, vient rappeler ces effroyables données. Un « scandale » pour François Danel, directeur général de l’ONG Action contre la faim (ACF), alors que, selon lui, les moyens existent pour limiter l’ampleur de ce fléau. Interview.
Samedi se tient la Journée mondiale de l’alimentation. Près d’un humain sur six souffre de malnutrition dans le monde, dans l’indifférence quasi-générale…
C’est malheureusement vrai et c’est tout l’enjeu de la journée de samedi: sensibiliser les Français sur cette question là. Nous sommes là pour faire bouger les choses et pour montrer au gens que, sur la question de la faim dans le monde, il n’y a pas de fatalité. Nous organisons, de manière symbolique, des Banquets de la faim à Paris et dans 27 villes de province (voir ci-contre). Le but est de dire qu’il est scandaleux que 10.000 enfants meurent de faim par jour – soit 3,5 millions qui meurent par an – alors qu’il existe des moyens technologiques performants pour éviter un tel drame et, surtout, que l’agriculture peut nourrir tout le monde sur cette planète.
A qui la faute, aux pays riches?
Il existe une forte iniquité parmi les drames de la planète et celui de la faim n’est pas suffisamment pris en compte par les dirigeants des pays du Nord. Il y a trop peu de fonds publics qui sont alloués à la lutte contre la faim dans les pays du Sud. Tout l’enjeu est de renverser une tendance qui veut que la part des investissements publics des pays du Nord dans l’agriculture des pays du Sud soit passée de 17% à 3% en une vingtaine d’années. Il faut en outre que les dirigeants des pays riches prennent enfin conscience de l’échelle planétaire de ce problème, dans le cadre, notamment, des organismes internationaux qui existent. La faim a notamment été la grande oubliée du bilan à mi-parcours des objectifs du millénaire pour le développement (OMD). La question de l’intervention en urgence pour sauver les enfants qui meurent de faim a été très peu évoquée à New York (lire: OMD, bilan critique)
Dans ce cadre international, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) joue-t-elle suffisamment son rôle d’impulsion?
C’est un acteur majeur, mais les ONG sont extrêmement importantes dans ce dispositif de lutte contre la faim, car elles exercent leurs compétences au contact du terrain. Ce sont elles qui, quotidiennement, sauvent des enfants de la mort, dans des conditions qui sont parfois très difficiles.
« On a trop tablé sur des cultures de rente«
Quelles solutions préconisez-vous pour lutter efficacement contre la faim dans le monde?
Nous pensons qu’il faut agir sur deux leviers: les dirigeants des pays du Sud doivent ériger la lutte contre la malnutrition en véritable cause de santé publique et l’intégrer comme priorité nationale, en coopération avec les pays du Nord. A plus long terme, sur les causes profondes du problème, il faut favoriser les agricultures familiales, locales, d’auto-suffisance alimentaire. On a trop tablé sur des cultures de rente, sur du partage des agricultures au niveau de la planète, au détriment de la situation de chaque pays, et ce, alors que la plupart d’entre eux ont des capacités de production suffisantes pour satisfaire les besoins de leurs populations.
Le problème se situe également au niveau des marchés internationaux, avec une instabilité chronique des prix des denrées alimentaires…
Tout à fait. Je sais que les instituts de recherche français seront bientôt force de proposition afin de limiter les effets de fluctuation des prix sur les marchés internationaux. C’est effectivement un vrai problème car cette incertitude empêche les petits agriculteurs, les petits producteurs, d’avoir une visibilité économique pourtant essentielle à leur survie. Je rappelle souvent ce chiffre: 70% des personnes souffrant de malnutrition dans le monde sont des agriculteurs. Quel paradoxe!
Quelle est la part de responsabilité des gouvernements des pays du Sud dans cette situation?
Beaucoup de dirigeants africains, par exemple, sont extrêmement compétents sur le sujet, mais ils doivent faire face à une conjonction d’éléments qui ne leur permet pas d’agir efficacement: problèmes de sécurité, difficultés budgétaires, difficultés climatiques ou encore enclavement de certaines zones. Les pays du Nord ne doivent pas rester indifférents à ces obstacles et doivent, je le répète, les aider financièrement de manière plus conséquente.
Les émeutes de la faim avaient marqué les esprits en 2008. Faut-il en craindre d’autres dans un futur proche?
On n’est jamais à l’abri de ce type de phénomène… Ce n’est pas pour demain matin, mais cela pose très sérieusement la question de la solidarité internationale. Il est impossible de ne pas s’intéresser au sort de centaines de millions de personnes qui vivent avec des revenus extrêmement faibles. D’autant qu’à moyen terme, cela posera fatalement des problèmes aux pays du Nord.
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