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L’alcool inonde les rues de Grand-Yoff

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Alimentations, « clandos » et bars se côtoient dans ce quartier de la capitale, proposant des prix qui rendent la boisson accessible à toutes les bourses, de manière plus ou moins légale. Reportage.
Dans le quartier de Grand Yoff à Dakar, trois types d’établissements livrent bataille pour s’imposer dans le marché de la vente d’alcool. Les plus visibles sont les boutiques alimentaires, les « alimentations », qui vendent des bouteilles à emporter. Elles jonchent toutes les allées envahies de sable du quartier populaire de la capitale. Devanture ouverte sur la rue, elles proposent whisky, gin, bière, vin… L’alcool, qu’il soit local ou non, y est vendu chaque jour en grande quantité. Un commerce « très rentable » pour Mamadou*, vendeur dans l’un d’eux. Dans sa boutique décorée d’affiches représentant les stars locales de la lutte, il explique qu’il arrive à attirer ses clients grâce à des tarifs très bas, dus en partie au fait qu’il n’héberge pas ses clients, qui doivent rentrer chez eux pour consommer les boissons. La licence qui permet de mettre des tables dans une « alimentation » pour la transformer en bar, coûte bien plus cher que celle dont il dispose actuellement. Et les taxes sur le chiffre d’affaires qu’il doit payer en fin de mois, sont, elles aussi, tributaires de cette fameuse capacité à proposer la consommation sur place. Grâce à ce choix, il peut proposer le litre de gin à 2200 FCFA. Un prix dérisoire, attirant ceux qui n’ont pas les moyens d’aller dans les troquets de l’autre côté de la rue.

Loin de l’ambiance vente à emporter des boutiques, les barmen s’inquiètent pour l’avenir de leurs commerces. Dans la lumière tamisée d’un bar aux fenêtres obstruées par d’épais rideaux, Louis Da Silva, adjoint au gérant d’un des zincs du quartier, a de quoi se faire du mouron. Ses boissons, il les propose à des tarifs bien supérieurs à ceux des « alimentations » – le whisky est à 700 FCFA le verre. Mais, bien qu’il craigne la concurrence de ses voisins, l’homme positive. Assis sur une banquette en cuir délavé, il désigne la salle, affirmant que les clients viennent ici plus pour une ambiance que pour l’alcool que l’on y sert, ce qui lui donne un avantage sur les autres distributeurs. Les habitués aiment à se rassembler autour du patio central, s’accouder aux tables rouges sponsorisées par une bière française ou disputer une partie de billard, leur Flag à portée de main. Malgré la concurrence, en dépit du prix de la licence et des nombreuses taxes qu’il paye chaque mois à l’Etat, le barman confesse que l’activité reste rentable, mais moins juteuse qu’avant. Dans ce « vrai » bar, il est aussi plus serein qu’il y a une dizaine d’années. A l’époque, il tenait une boutique de vente à emporter… et accueillait clandestinement des clients dans son arrière-cour, au risque d’être pris par les hommes de loi. Devant le succès de l’entreprise, le trafic s’est transformé en affaire légale. Mais la légalité est un choix que tous ne peuvent se permettre dans le quartier, puisque les « clandos » pullulent. On en compterait un pour six habitations, selon quelques habitués des lieux.

« Un cache-cache quotidien avec la police »

Moussa* et Khady* accueillent chaque jour clandestinement des clients derrière le mur qui sépare leur cour de la rue. Assis sur des bancs faits de bric et de broc, adossés à un mur bleu délavé, les pieds dans le sable, ils peuvent consommer des tasses de liqueur à un prix légèrement supérieur à celui des « alimentations » – dans lesquelles Moussa se fournit quotidiennement en alcool – mais avec le privilège de pouvoir consommer sur place. Lasse, Khady explique que « c’est un cache-cache quotidien avec la police ». Un jeu bien souvent perdu par les tenanciers du clando, puisque l’homme a déjà été arrêté trois fois… et s’en est toujours sorti grâce à des pots-de-vin versés aux forces de l’ordre, entre 10000 et 15000 F CFA. Une somme monumentale pour cet handicapé qui peine à nourrir sa famille, avec des revenus qui, en fin de mois, « suffisent juste à survivre ». Pourtant, malgré l’illégalité de leur commerce, ceux qui l’exercent n’y voient pas de mal : les hommes qu’ils accueillent – les femmes sont extrêmement rares dans ce milieu – « savent se tenir », sans quoi « ils sont rapidement mis à la porte ».

C’est pourtant dans ce type d’établissements qu’on retrouve le plus souvent les malades, accrocs à l’éthanol, dans un état d’ébriété plus qu’avancé entraînant souvent rixes et insultes. Selon Louis Da Silva, les clients de son bar sont pour la plupart des travailleurs de 30 à 40 ans qui « viennent après le travail prendre un pot avant de rentrer chez eux ». Mais ils boivent « de manière responsable » et sont « au courant des risques ». Contrairement aux habitués des clandos… ou aux enfants. Ils sont de plus en plus nombreux, mais aussi de plus en plus jeunes à goûter à l’alcool, selon Mamadou, le vendeur « d’alimentation » qui affirme, un peu gêné, ne pas se préoccuper de l’âge du consommateur pour peu qu’il paie sa boisson. Les enfants, pas encore adolescents, achètent sans aucun contrôle les bouteilles de liqueurs, quand il ne s’agit pas de sachets d’alcool à la provenance douteuse, et dont la boisson est régulièrement frelatée. Un contenant qui avait pourtant été interdit par le gouvernement sénégalais lors du dernier mandat d’Abdoulaye Wade. Mais comme pour la vente aux mineurs et comme pour les clandos, la législation n’est que peu appliquée, laissant libre cours aux alcooliers pour amplifier un phénomène de plus en plus prégnant au Sénégal. *Les prénoms ont été modifiés

Bastien Renouil Stagiaire

LGAZETTE.SN

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