Thierno Ousmane Sy fait partie de ces personnalités de l’ancien régime sous les projecteurs des audits et auditions lancés par le nouveau régime. Au tout début des premières convocations servies à ces frères libéraux, il est passé chez le procureur, mais rien n’avait filtré de ce face-à-face. Le Quotidien livre l’essentiel de ce procès-verbal de l’audition du fils de l’ancien ministre de la Justice, Cheikh Tidiane Sy.
Une audition datant de six mois, mais qui ne manque pas d’enseignements. Thierno Ousmane Sy était passé chez le procureur le 10 juillet 2012, pour s’expliquer sur ses biens dont les enquêteurs voudraient bien qu’il justifie l’origine. Comptes bancaires, accointances, sociétés, …, il a répondu dans le procès-verbal d’audition. Mais avec, par moments, quelques coups de colère. L’homme a été cuisiné à son titre de conseiller spécial du chef de l’Etat d’alors, Abdoulaye Wade. Une fonction qui a vu son nom trempé dans l’affaire des 20 milliards de la Sudatel, révélée par l’hebdomadaire La Gazette. Cette question n’a pu échapper au Parquet qui voulait en savoir davantage. «Avez-vous reçu de M. Kéba Keinde la somme de 10 millions de dollars Us, si oui à quel titre ?» M. Sy répond : «Non, je n’ai reçu aucun montant de cette nature de monsieur Kéba Keinde. Ce montant correspond à un mail repris par le journal La Gazette et qui réclamait pour des tiers le paiement de 10 millions de dollars Us à la Sudatel pour des prestations. J’avais, à l’époque, le devoir de vérifier que l’adjudicataire provisoire de la licence n’avait pas de conflit avec un tiers qui pourrait exposer sa solvabilité. J’ai donc vérifié en appelant Sudatel pour savoir de quoi il s’agissait. A l’issue de cette conversation, Sudatel avait compris que l’Etat n’avait pas identifié celui qui réclamait ces sommes dans le processus et qu’il n’y avait donc pas lieu de payer ces 10 millions de dollars Us. Ce qui n’a jamais été fait et donc jamais perçu par qui que ce soit. C’est tout ce que j’ai à déclarer.» Il faut rappeler que cette affaire de rétro commissions supposées dans le cadre de l’attribution de cette 3ème licence téléphonique avait fait grand bruit et conduit, à l’issue d’un procès, à la condamnation pour diffamation des auteurs de l’article par le Tribunal.
«Sur les 12 ans, le montant cumulé que m’accordait le Président (Wade) faisait dans l’ordre de 200 millions F Cfa»
Aux enquêteurs, Thierno Ousmane Sy dira, s’agissant de sa rémunération, qu’il ne percevait «aucun salaire» en tant que conseiller spécial. «Je ne m’en suis jamais occupé car, je savais qu’en rentrant à la présidence de la République, mes émoluments mensuels n’ont rien à voir avec ce que je gagnais par mes opérations privées», ajoute-t-il. C’est seulement plus tard, concède-t-il, avec la création de l’Agence de l’informatique de l’Etat (Adie) courant 2001-2002 dont on lui avait confié la présidence du Conseil de surveillance, qu’il y touchait «un salaire de 1.000.000 F Cfa environ». Mais aussi, poursuit-il, «des jetons de présence au Conseil d’administration de Sonatel, comme représentant de la Présidence au sein de cet organe». Ce n’est pas tout puisque M. Sy fait appel à la «main» du Président Wade qui lui venait «en appoint» dans ce qu’il a comme revenus. «Il arrivait au président de la République de me remettre des sommes que j’ajoutais à ce revenu», avoue-t-il. Au total, résume-t-il au Parquet, «sur les douze (12) ans, le montant cumulé que m’accordait le Président (Wade) faisait dans l’ordre de 200 millions de F Cfa. Donc, les revenus que j’ai pris de mes activités dans l’Etat n’ont contribué que pour 344 millions de F Cfa dans mes revenus».
«J’ai reçu des dons personnels de différentes personnalités sénégalaises comme africaines et dont je souhaite taire les noms pour convenance personnelle.»
Le fils de Cheikh Tidiane Sy justifie sa fortune par son parcours d’homme du secteur privé. «J’ai commencé dans le secteur privé en 1990 alors que j’étais étudiant. J’ai eu mes premiers contrats de consultant informatique avec Fnac Wmd. A partir de 1993-1994, j’ai réuni les fonds provenant d’abord de celle qui deviendra ma première épouse et de l’apport de mon père. Avec ces fonds et des partenaires privés, personnes morales ou physiques, je me suis lancé dans des opérations privées avec des partenaires, notamment dans les médias, dans l’immobilier, dans le conseil, dans le trading, etc.» Celui qu’on surnomme par ses initiales T.O.S, déclare qu’en plus de ces investissements, «des dons personnels que j’ai reçus de différentes personnalités sénégalaises comme africaines et dont je souhaite taire les noms pour convenance personnelle. Je puis dire qu’en 1993-1994, je disposais d’un fonds d’investissement d’au moins 500.000 dollars (Ndlr : environ 250 millions). S’agissant de l’apport de mon épouse, il m’est difficile de le quantifier compte tenu du fait que cela se faisait à l’issue de discussions informelles, mais il était substantiel». Une réponse à la question sur le capital de départ que lui a demandé le magistrat enquêteur. «Pour investir tout cet argent, je suis allé voir M. Mamadou Diane, un ami de mon père qui avait réussi dans les affaires. A ce dernier, j’ai remis mon capital pour qu’il me le fructifie», précise-t-il.
«Entre 2005 et 2008-2009, 3 milliards virés dans mes comptes aux Etats-Unis, (mais) je ne peux vous préciser, séance tenante, ni le numéro ni la banque qui a reçu ces virements. (…) J’exige soit la présence de mon avocat soit de ne plus répondre à aucune question.»
Le Parquet a voulu s’avoir davantage sur les mouvements de migration du capital de Thierno Ousmane Sy en «investissement transnational». Et M. Sy de revenir sur M. Diane qu’il présente comme un Guinéen qui a géré «une bonne partie» de son capital. Ainsi, dit-il, «j’ai remis plusieurs montants à (M. Diane) en différents endroits dont Paris, Rio de Janeiro et Maroc. La dernière remise remonte à la période d’avant 2000. De temps à autres, M. Diane me faisait le point sur le capital. Entre 2005 et 2008-2009, (celui-ci) m’a restitué en plusieurs tranches entre 5 et 6 millions de dollars Us (Ndlr : environ 3 milliards de F Cfa) virés dans mes comptes aux Etats-Unis. Toutefois, je ne peux vous préciser, séance tenante, ni le numéro ni la banque qui a reçu ces virements. Je pourrai vérifier après».
Cette question semble gênante au point que le Procès-verbal s’y arrête et le mentionne. M. Sy déclare sur ce point précis : «Je considère que les questions qui me sont posées empiètent sur mes droits et qu’à ce titre, j’exige soit la présence de mon avocat soit de ne plus répondre à aucune question.»
«Je ne me souviens pas avoir fait du business avec (Mamadou Seck)»
Malgré ce coup de colère de Thierno Ousmane Sy, l’audition reprend mais sur d’autres sujets. Et apparemment, les enquêteurs ont eu vent de relations d’affaires entre lui et d’autres personnalités politiques du pays. Dans l’interrogatoire, une question s’est glissée, évoquant le nom de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Mamadou Seck, mais encore en fonction au moment de l’audition. Il faut souligner que, même si M. Seck ne figure pas encore sur la liste des enquêteurs de Colobane sur l’enrichissement illicite présumé, une première fiche dressée par le Parquet de la République en juillet avait mis son nom aux côtés de Pape Diop, Baldé, Ousmane Ngom et autres. A la question «êtes-vous en relation d’affaires aux Etats-Unis avec Mamadou Seck, actuel président de l’Assemblée nationale et un certain Ibrahima Keïta ?», M. Sy répond : «Je connais un certain Ibrahima Keïta que j’ai rencontré à Washington. Pour Mamadou Seck, président de l’Assemblée nationale non. Je n’ai aucune relation particulière avec ce dernier. En effet, je ne me souviens pas avoir fait du business avec lui.» Le magistrat revient encore, plus précis, lui demandant s’il a connaissance de «l’existence d’acquisitions immobilières faites au Etats-Unis» par MM. Keïta et Seck. «Pour Mamadou Seck, insiste-t-il, aucune, pour Ibrahima Keïta, je me souviens maintenant, vers 2006 ou 2007, il lui est arrivé de faire certaines prestations pour moi dans le cadre de mes opérations aux Etats-Unis. Je précise que ces opérations étaient mineures.»
Comptes bancaires aux Etats-Unis, Platinum services…
Sur l’ouverture d’un compte bancaire chez Bb and T, un établissement bancaire américain, Thierno Ousmane Sy est affirmatif, mais précise que ce compte a été fermé et n’en connaît pas les conditions de fermeture. «C’est mon comptable qui m’en a informé», dit-il. En réalité, les enquêteurs disposaient d’éléments sur ce compte et lui ont demandé s’il était au courant que ce compte a été bloqué depuis le 20 mars 2009. Lui dit se souvenir seulement qu’«à un certain moment, il y a eu un piratage sur le compte Paypal et pour des raisons de sécurité, le compte avait été bloqué et récréé dans la même banque sous un autre numéro au nom de Diastone, une société qui m’appartient. A l’issue de l’enquête Paypal, nous avons été crédités à nouveau des montants distraits lors de la fraude. A partir de 2011, je crois qu’on a cessé d’être client de cette banque». Qu’en est-il de flux financiers en provenance de Londres dont il est question ? «Non aucun, j’ai vérifié après ma première déclaration faite devant les enquêteurs de la Section de recherches, auprès de mes services financiers qui m’ont catégoriquement dit que depuis 1998, mes opérations n’ont reçu aucun paiement en provenance de Londres», affirme-t-il. Enfin, l’ancien conseiller spécial du Président Wade a été libéré après une dernière question : «Est-ce que Platinum services vous dit quelque chose ?» «Ce nom me dit quelque chose. Je l’ai vu apparaître dans les rapports financiers que mes comptables m’ont présentés», répond-il.
Lequotidien.sn
A mon avis, ça sent le roussi pour monsieur Sy qui semble s’mbourber dans ses explications !