Après l’apparition de la pandémie du COVID-19 en Chine et son expansion dans les autres pays de la planète, il se propage en Afrique actuellement, au début lentement, mais avec une certaine marge de progression. En ce milieu du mois de mai 2020, le continent enregistre 87.257 cas, dont 2.997 décès. Ainsi, les conséquences sanitaires de la pandémie continuent de peser sur les pays. À cela s’ajoute des conséquences économiques importantes qui sont le résultat de mesures de confinement dont les modalités d’application diffèrent selon les États. À partir de ce moment, il devient utile de s’interroger sur les propositions d’annulation de dette suggérées par certains chefs d’État africains pour se donner une marge budgétaire leur permettant de faire face à la crise.
Une propagation encore lente sur le continent
Même si, selon les constats actuels, la propagation de la pandémie est plus lente en Afrique que dans d’autres parties du monde, la lutte pourrait s’avérer plus difficile sur le continent. L’accès à des soins de santé de qualité reste limité, malgré les progrès récents de certains pays. Dans plusieurs parties du continent, les populations ont de la difficulté à se laver les mains régulièrement, faute d’accès à l’eau potable. Également, dans de nombreux foyers, le manque d’électricité et de systèmes de réfrigération pour stocker les aliments périssables ou les médicaments rend compliqué la mesure de se conformer aux prescriptions de rester à la maison. Par ailleurs, plusieurs travailleurs ont un accès limité à la connectivité informatique, au télétravail ou à d’autres possibilités alternatives pouvant leur permettre de maintenir leurs revenus de base.
Malgré tout, les gouvernements africains réagissent à la pandémie, notamment en instituant des états d’urgence, en exigeant la distanciation physique, en imposant des quarantaines obligatoires, en restreignant les voyages et les rassemblements publics. Dans des élans de solidarité initiés par les États, les entreprises du secteur privé, les organismes d’aide et la société civile se joignent à la lutte avec les moyens dont ils disposent.
Un grand défi de la disponibilité des ressources
Au début du mois d’avril, les FMI et la Banque Mondiale avaient estimé que l’Afrique a besoin d’un soutien financier total de 114 milliards de dollars pour faire face à la pandémie en 2020. La forte baisse des prix des produits de base, de l’activité industrielle, du commerce et du tourisme engendre une baisse des recettes publiques et de l’épargne intérieure des États. Parallèlement, la prudence des investisseurs fait grimper le coût d’emprunt sur les marchés financiers, limitant les options viables de mobilisation des ressources.
Toutefois, en raison de l’ampleur de crise vécue par les pays prêteurs et de leur méfiance, il n’est pas surprenant que les plans de soutien budgétaire aux gouvernements africains soient assez timides. Également, au-delà du court terme, les besoins de financement supplémentaires du continent pourraient s’avérer beaucoup plus importants que ce montant annoncé par le FMI et la banque Mondiale.
Une capité de financement limitée
Les émissions d’obligations sociales « Fight COVID-19 » de 3 milliards de dollars de la Banque africaine de développement ainsi que les facilités de crédit de Banque africaine d’import- export de 3 milliards de dollars ne suffiront pas à combler l’énorme besoin de financement du continent. Ainsi, certains chefs d’État ont levé la voix pour réclamer une annulation pure de la dette africaine. Toutefois, cette demande s’est traduite par un refus des pays du G7 d’annuler le stock de la dette. Ils n’ont consenti qu’à un réaménagement du paiement du service de la dette, ce qui est assez loin des attentes exprimées.
Il fallait toutefois s’y attendre; les pays riches jouent la carte de la prudence pour stabiliser leur secteur financier. Une autre question problématique est que 40% du stock de dette des africains reste détenu par le secteur privé international de ces pays riches et de certains pays émergents, une portion que l’on sait difficilement négociable, surtout en contexte de crise. Tout ceci ramène les africains à une réalité évidente : ils ne devront compter que sur eux-mêmes en période de conjoncture pour s’en sortir.
La nécessité d’instaurer une bonne gouvernance des ressources publiques
Au-delà du sursaut patriotique qui voudrait que les créanciers viennent au secours de l’Afrique en période difficile, comme ce fut le cas avec l’initiative PPTE en 2005, il y a lieu de se prononcer sur l’utilisation de la dette publique en Afrique. Même si quelques pays se distinguent par une bonne gouvernance des ressources empruntées, le constat est que la plupart de ces ressources sont détournées et finissent, pour une part importante, dans les banques occidentales.
C’est la raison pour laquelle les peuples africains doivent se montrer plus intransigeants sur la manière dont ces ressources publiques sont gérées. Il existe une iniquité intergénérationnelle dans le fait que les ressources empruntées aujourd’hui et détournées de leurs usages par les gouvernants actuels soient remboursées par la génération laborieuse actuelle et future. Par ailleurs, il est temps que les africains sortent de statut de piètres gestionnaires pour devenir responsables et gérer les ressources publiques d’une manière qui met de l’avant orthodoxie financière et la reddition de compte. C’est à ce titre que nous gagnerons le respect des autres pays du monde et attirer les investissements directs étrangers. C’est aussi à ce prix que nous gagnerons notre indépendance de nations souveraines qui miseront sur leurs propres moyens en périodes difficiles comme celle-ci.
Aussi, il appartient aux africains de mettre en place de manière solidaire des banques de développement possédant une grande assise financière pour faire face aux grands chocs exogènes. Pour y arriver, une gouvernance plus transparente des deniers publics, soutenue par des institutions solides à l’échelle du continent, devra permettre de mieux alimenter et administrer ces fonds.
Dans le monde d’aujourd’hui, il faudrait aussi s’attendre à ce que la fréquence des phénomènes naturels augmente. Ils peuvent être de nature sanitaire ou reliés aux grands dérèglements climatiques. Donc, ce sera aux Africains de se trouver leurs propres recettes devant les protéger face aux grands risques mondiaux extrafinanciers.
Conclusion
À la lumière de ce qui précède, il est important de mettre l’accent sur le fait que les Africains doivent apprendre à voler de leurs propres ailes et ne plus avoir le profil d’éternels assistés dans le concert des nations. Ils (les africains) devront apprendre à constituer une épargne intérieure pour financer leurs propres investissements, surtout dans les domaines qui forgent leur souveraineté comme des États viables. L’Afrique d’aujourd’hui possède tous les atouts imaginables pour faire partie des solutions mondiales et devrait mettre en place des mécanismes de gouvernance qui lui permettent de jouer pleinement ce rôle. Ainsi, le monde vivra une époque nouvelle où l’Afrique prêtera ses épargnes aux autres nations à ses conditions, et non l’inverse. Ainsi, elle deviendra la solution et non le problème des grands équilibres mondiaux.
Dr Ibrahima Gassama, économiste, Ph.D.
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