Si derrière chaque barbe il y avait de la sagesse, alors beaucoup de boucs seraient des prophètes….
Every day, la presse égrène les nouveaux candidats à la magistrature suprême : il y a les vieux routiers de la politique, quelques desperados, un ou deux amuseurs de galerie, une comtesse, un émigré rastaman, un arrière petit-fils de la lignée Tidiane de Tivaouane, un arrière petit-fils Mouride, beaucoup d’anciens fonctionnaires internationaux, tous d’honorables citoyens et…un célèbre journaliste.
Abdou Latif Coulibaly va poser un cas d’école à ses confrères sénégalais avec sa candidature annoncée pour la présidentielle de 2012. S’il venait à « plonger », pour la première fois dans sa vie d’homme public, il sera dans la position de l’accusé. C’est important. Il est bien placé pour savoir que le principal reproche fait par les hommes politiques aux journalistes reste la propension de ces derniers à se poser en donneurs de leçons, sans jamais maîtriser les projets, avec des lunettes réductrices, ne faisant foi qu’à la religion de la révélation de leurs turpitudes. Bien sûr, elle peut être une bonne candidature indépendante car l’homme est de compétence certaine, surtout dans la défense de ses opinions. Mieux par la parole que par l’écrit d’ailleurs…
De lui, Wikipedia dit ceci : « Abdou Latif Coulibaly est un journaliste sénégalais, né à Sokone. Éditorialiste réputé, journaliste d’investigation reconnu, ses enquêtes, ses reportages et autres articles font autorité dans le paysage médiatique de son pays. Il fait montre d’un franc-parler et d’un courage intellectuel qui font de lui l’un des meilleurs journalistes sénégalais contemporains. » Il faut préciser qu’il est doté de grandes qualités de synthèse ; il travaille essentiellement sur la base de documents. L’anti-Wallraff. Le vécu, la description de tranches de vie, des histoires expliquées, l’info rapportée, rarement…
Cette candidature était inévitable avec cette toute puissance de l’opinion publique portée par des médias et des hommes de médias. Il fallait s’opposer à Wade dès les premiers reniements de Wade arrivé au pouvoir. Qui pour le faire ? Le premier livre d’Abdou Latif Coulibaly, « Wade, un opposant au pouvoir : l’alternance piégée » avait sonné comme la première alerte, alors que le « Pape du Sopi » n’avait pas encore déroulé son règne que l’Histoire retiendra, c’est incontestable.
Abdou Latif Coulibaly aura été un des meilleurs « opposants » au Sopi au pouvoir. Pire, il l’a accusé d’être l’instigateur de l’assassinat de Me Babacar Sèye. Huit ouvrages dont six torpilles contre la gestion de Wade et de ses avatars, avec une mention spéciale pour Karim Wade, complètement esquinté par les révélations contenues dans le pamphlet consacré à sa gestion de l’Anoci.
Dites que Abdou Latif Coulibaly a assuré là son rôle, avec justesses, et vous vous verrez accusé de sentimentalisme à son endroit, pourtant, si la politique doit être regardée comme le décompte des coups reçus et donnés, l’enfant de Sokone –au Sénégal, quand on commence à appeler quelqu’un enfant de quelque lieu, c’est que l’on commence déjà à l’observer depuis sa totalité de vie-, a été un artilleur patenté dans la bataille pour l’anti-wadisme. Qui le dotait en munitions ? C’est connu, le journaliste ne révèle jamais ses sources…
Dans une démocratie, -dans les grandes démocraties-, il faut des journalistes qui décrivent la société, ses tares, dénoncent les injustices, combattent pour la promotion du pluralisme et le respect de la souveraineté populaire. Professionnellement, il s’est inscrit dans cette démarche après de brillantes études au Sénégal et au Canada. Il ne sera pas le premier journaliste à briguer la magistrature suprême. Serigne Ousseynou Fall, arabisant, l’a été en 2000. Et pour tout faciliter, Wade au pouvoir, a été un filon extraordinaire. Abdou Latif Coulibaly ne lui a laissé aucun répit. Je ne sais pas si le vieux le tient en considération ou pas, mais le journaliste de « Sud » lui a été très utile.
La capacité d’absorption des scandales est l’une des créations les plus fabuleuses de Wade. Après onze ans au pouvoir, l’énormité de certains esclandres avait atteint une telle proportion, le fait-divers « institutionnel » tellement banalisé, les perturbations la norme et la sérénité l’exception, qu’il fallait porter des voix, parmi les plus aigues possibles, pour dire non au régime, flétrir le plus possible le roi : le phénomène de l’échappement. Evacuer et attendre la prochaine bourde, encore plus grosse, que l’on dénoncera et fera accepter car la fonction de dénonciation aura été assurée…
MEDIACRATES
Dans sa position d’homme public, Abdou Latif Coulibaly a visité l’aisance de l’acte d’accusation, le regard panoramique depuis le promontoire de la liberté de commenter, mais aussi, il a servi de caution démocratique ; heureusement qu’il fait partie de l’élite, du système diraient certains. Parce que, finalement, il ne s’agit plus d’être du côté du pouvoir ou de l’opposition, mais d’être « important » dans ce Sénégal. Ainsi, on constatera donc qu’il sera le représentant des « médiacrates ». Ce sera la candidature de la caricature des hommes politiques. Des « cartes politiques » prépayées, le temps des communications de la campagne électorale, sans bonus…
Mais il n’a pas usurpé cette stature. N’a-t-il pas été « investi » par une vénérable excroissance de « Benno », avec une aile du Rnd (le parti du Pr Cheikh Anta Diop, pardi !) et les deuxièmes et troisièmes « sapé » de l’honorable Imam Mbaye Niang, des partis politiques de tout ce qu’il y a de plus sérieux ? N’a-t-il pas été préféré à un certain Talla Sylla, malgré « les marteaux » et au Pr Amsatou Sow Sidibé, notabilité de l’Université ?
Il semble qu’un vaste projet de dé-crédibilisation de la classe politique classique est le moteur de cette candidature qui détonne dans le ronronnement ambiant. Très logique dans sa démarche, Latif Coulibaly s’est d’abord intéressé au Ps, alors secoué par la sécession de Djibo Kâ. Suivront « Wade, un opposant au pouvoir : l’Alternance piégée » ; et dans le désordre, « Contes et mécomptes de l’Anoci », « La Lonase, chronique d’un pillage organisé », « Une démocratie prise en otage par ses élites : essai politique sur la pratique de la démocratie au Sénégal » (son ouvrage le moins célèbre et le plus savant), tous, livres dédiés aux dérives du régime libéral.
Il ne faut pas faire l’insulte à cette icône des médias sénégalais de croire que son projet est une simple diversion. C’est la présidentielle. Il faut y mettre de l’audace ; portes les forces de proposition, se vendre, parler à ses compatriotes, se transcender. Pour certains, il s’agira de sortir de ces élections-ci avec le pouvoir ; les autres cherchent le pouvoir. Les sortants présentent un bilan ; les autres déclinent des programmes. Mais on n’a pas encore vidé la polémique sur la validité de la candidature du secrétaire général du Pds. A peu près tous les prétendants ont été au pouvoir. Alors, Abdou Latif Coulibaly, quel programme ?
D’ici là, un petit bilan : l’un des fleurons de la presse privée, le groupe « Sud » a résisté miraculeusement à l’entreprise de démantèlement orchestrée par les libéraux depuis que Abdou Latif Coulibaly a lancé la collection « Contre Wade » aux éditions ALC. « Son école », lui, l’Issic se porte bien. La majorité des reporters évoluant actuellement dans les médias, -cette fameuse presse sénégalaise-, ont été formés à son école.
P.S : Voilà ce que dit Thierry Perret, ancien correspondant de Rfi à Dakar, à propos du journalisme dans le web. Il faut bien chercher des explications aux nouveaux médias qui fleurissent sur internet. Combien de sites sénégalais ?
« Voilà qu’un mouvement fatal de dispersion est à nouveau à l’œuvre avec l’avènement de l’Internet. Lequel, comme chacun sait, présente cet avantage inestimable de permettre à chaque citoyen, correctement doté d’ego (osons le néologisme d’égocitoyen), de publier à la diable – et à coût modique ou nul – ses informations et points de vue sans passer par les vains protocoles des médias traditionnels : un esprit chagrin notera que la syntaxe et la typographie sont les premières victimes de ce progrès considérable où se trouvent immolées quotidiennement, dans la ferveur et la bonne humeur dilettantes, des notions aussi inutiles que la source d’information et sa vérification, la factualité et la mise en contexte de l’événement, et bien sûr la distinction oiseuse entre le commentaire et les faits. »