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Ce n’était donc pas un rêve : les Wade, leur clan et leur système odieux sont partis, bien partis, après nous en avoir fait voir de toutes les couleurs en matière de mal gouvernance. Le lundi 2 avril 2012, le président nouvellement élu a été officiellement installé dans ses fonctions. Il a ensuite posé ses premiers actes : message à la Nation, nomination du Premier ministre et formation du nouveau gouvernement. Actes qui font l’objet de commentaires globalement favorables pour les deux premiers, et plus ou moins réservés pour le troisième. Pour nombre d’observateurs, en effet, certaines nominations sont loin de répondre aux attentes. Parfois même, elles ont carrément surpris. Il est vrai que la formation de ce gouvernement ne devait pas être chose aisée pour le nouveau président de la République. En tous les cas, les premiers actes posés sont globalement en conformité avec ses engagements antérieurs. Il reste à souhaiter que tous les autres qu’il aura à prendre, lui et son gouvernement, répondent encore davantage aux attentes des populations. Dieu veuille bien l’inspirer et le préserver de l’ivresse du pouvoir suscitée, nourrie et entretenue par les courtisans potentiels aux aguets !  Qu’il se méfie de ces individus qui ont fini, à force de tombereaux de louanges, par faire croire à son prédécesseur qu’il n’était plus loin d’être un dieu !

La triste parenthèse des Wade est définitivement fermée. Du moins, nous l’espérons et le souhaitons. Nous espérons également, jusqu’à preuve du contraire, qu’une nouvelle ère s’ouvre, une ère faite de sobriété, de vertu et d’efficacité. Si elle se confirme, nous encouragerons et appuierons fortement. Par contre, nous marquerons nettement notre différence si elle prenait une autre tournure, une tournure qui rappelle tant soit peu les pratiques malsaines de la détestable gouvernance des Wade et de leur clan.

Pendant douze longues années, nous avons vécu dans la politique politicienne et électoraliste. Le temps est venu de travailler, de toujours travailler, de beaucoup travailler, de bien travailler. Il ne faut plus, cette fois-ci, que ce soit un slogan creux, mais un véritable défi que nous nous emploierons tous à relever. Il est temps donc, pour les nouvelles autorités, de siffler la fin de la trop longue récréation. C’est d’elles, bien sûr, que devra venir l‘exemple. Les tâches, les urgences sont nombreuses et pratiquement toutes prioritaires. Cependant, deux se distinguent nettement des autres : la baisse des denrées de première nécessité et l’audit de la gestion des Wade. La première ne peut pas se réaliser à court terme. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que, du jour au lendemain, les prix baissent comme par enchantement. La seconde, quant à elle, peut, doit commencer immédiatement. C’est une attente largement partagée. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les pages « Opinions-débats » des quotidiens ou d’écouter les émissions interactives des radios privées « wax sa xalaat » (donner son point de vue sur une question du jour). Les nouveaux gouvernants sont très attendus sur ce terrain. Leurs prédécesseurs ont pillé sans état d’âme nos maigres ressources (matérielles, financières, foncières, minières, etc). Nous avons le droit de connaître l’ampleur des dégâts et les mesures qui seront envisagées pour sanctionner les délinquants, à la mesure de leurs forfaits.

Le premier responsable de la très mauvaise gestion que nous avons vécue pendant douze ans est incontestablement l’ancien président de la République. Le premier délinquant, c’est bien lui – je n’anticipe sur rien, les faits l’illustrent à suffisance. C’est également lui qui a couvert et encouragé toutes les forfaitures. Il suffit de s’arrêter sur quelques scandales parmi de très nombreux autres qu’on ne peut  malheureusement pas développer ici, pour accabler et confondre l’homme. Je ne m’attarderai point sur la rocambolesque rénovation de l’avion de commandement, ni sur les 15 millions de dollars de Taïwan  qu’il a manifestement détournés. Ils sont assez bien connus des Sénégalais. Je rappellerai, par contre, la gestion qui a prévalu pendant de longues années au Projet de Construction d’immeubles et de Réhabilitation du Patrimoine bâti de l’État (Pcrpe), dont le fameux décret 97-632 du 18 juillet 1997 organisait la passation des marchés qui étaient essentiellement de gré à gré. Ce Projet, il convient de le rappeler, était domicilié à la présidence de la République du temps des Socialistes.

Dans son programme comme dans celui du Front pour l’Alternance (Fal) qui a porté sa candidature le 19 mars 2000, le candidat Wade s’engageait, une fois élu, à abroger le fameux décret et à délocaliser sans délai le Pcrpe de la présidence de la République. On connaît la suite : élu le 19 mars 2000 et installé officiellement le 1er avril, le nouveau Président de la République maintient le Pcrpe à la Présidence et le renforce notablement. Un transhumant, Salif  Ba, y est nommé – il y était déjà en service avant l’alternance. Avec la nauséabonde gouvernance des Wade et de leur clan, les marchés de gré à gré qui ne dépassaient pas le montant de 150 millions du temps des Socialistes, crèvent tous les plafonds. C’est ce Pcrpe qui construisait, dans une nébulosité totale, les bassins de rétention, les cases des tout petits, les tribunaux départementaux, les écoles, les centres de santé, les hôpitaux, etc.

Après dix ans de festin et de bamboula, le Président de la République prend en catimini le décret n° 2009-1253 du 11 novembre 2009 pour dissoudre le Pcrpe et met en place une commission de liquidation le 29 décembre 2009. Dans l’hebdomadaire La Gazette du 11 au 18 février 2009, Abdou Latif Coulibaly indique des sources qui révèlent que, entre 2003 et 2008, plus de 1 800 milliards ont été engloutis par le Pcrpe. Plus de 1 800 milliards ! Peut-être plus, peut-être moins ! Ce qu’on sait, par contre, avec certitude, c’est que le Pcrpe était le siège du gré à gré, de graves surfacturations et de malversations de toutes catégories. Les directeurs qui s’y sont succédé se sont enrichis et ont contribué au grand jour au financement des activités du Pds. Des milliards de francs Cfa ont été ainsi gaspillés et détournés au Pcrpe. Me Wade le comprend si bien qu’il s’est précipité de le dissoudre, pour effacer toutes les traces de la gabegie qui a caractérisé sa gestion pendant plus de dix ans. Pour s’en convaincre, il faut lire les rapports de la Cour des Comptes de 2006 et de 2008, ainsi que La Gazette du 11 novembre 2009. En tout cas, les graves surfacturations facilitées par les marchés d’entente directe y ont causé d’énormes dégâts à nos maigres finances publiques[1]. Il y a surtout que, il faut le rappeler et le souligner avec force, le rapport 2006 de la Cour des Comptes indique que le Pcrpe a viré deux milliards de francs Cfa à la défunte Société nationale de Commercialisation des Oléagineux du Sénégal (Sonacos). Je soupçonne une forfaiture sans précédent dans ce virement au bénéfice de la Sonacos.

Nous nous souvenons encore que, à quelques encablures de la campagne pour les élections législatives anticipées du 29 avril 2001, l’importante somme de six (6) milliards de francs Cfa avait migré de la Sonacos – qui n’était pas encore privatisée –, pour une destination jusqu’ici inconnue. Vers une personne morale ? Vers une personne physique ? Á quel titre ? Nous (les Sénégalais moyens et loin des affaires) n’avons jamais eu une réponse satisfaisante à ces questions-là.

Il nous revient quand même que, en novembre 2001, le Secrétaire général de l’Alliance des Forces de Progrès (Afp), Monsieur Moustapha Niasse, avait soupçonné le pouvoir libéral d’avoir distrait les six milliards de francs de la Sonacos pour les verser dans les comptes du Trésor public, et de pouvoir financer ainsi sa campagne pour les élections législatives anticipées du 29 avril 2001. Il n’en fallut pas plus pour que le président de la République, piqué par on ne sait quelle mouche, sortît de ses gonds et le menaçât de plainte. L’affaire mit en branle une armée de médiateurs et finit rapidement par se dégonfler comme un ballon de baudruche : le président renonce à sa plainte et l’affaire des 6 milliards de la Sonacos devient dès lors taboue. Des gens ont cependant continué à s’y intéresser même en sourdine, pour savoir surtout si l’argent avait été retourné à la Sonacos. Sinon, qu’était-il devenu ?

Monsieur Aguibou Soumaré, alors Ministre délégué auprès du Ministre de l’Économie et des Finances chargé du Budget, répondit subrepticement que l’argent avait bien été rendu à la Sonacos. Sans convaincre grand monde d’ailleurs.

Pour ce qui me concerne en tout cas, je me poserai toujours des questions sur ces deux milliards de francs Cfa virés à la défunte Sonacos par le Pcrpe et signalés par le rapport public 2006 de la Cour des Comptes. Quel rapport y a-t-il entre la Sonacos et le Pcrpe, pour que ce dernier lui vire une telle somme ? Je suis convaincu, jusqu’à preuve du contraire, que ces deux milliards sont un remboursement partiel des 6 milliards de la Sonacos, qui avaient migré vers une destination inconnue. Et ils sont tirés, jusqu’à preuve du contraire, de l’argent des différents Fonds taïwanais,  gérés directement de la présidence de la République par le Pcrpe. Les quatre autres milliards ont-ils été remboursés à la Sonacos ? Par le Pcrpe ou par une autre structure ? Nous le saurons peut-être quand l’audit de la gestion calamiteuse et scélérate des Wade et de leur clan aura livré tous ses secrets.

 

 

 

 

Cette parenthèse sur les six milliards de la Sonacos qui s’était volatilisés fermée, revenons sur la gestion de la vache à lait du président Wade et de son clan. Il s’agit, bien entendu, du Pcrpe où de nombreuses autres dépenses illégales ont été faites, notamment au bénéfice du Bureau architectural du palais de la République, pour des travaux à réaliser au palais. La Cour des Comptes déplore que, longtemps après la réalisation des travaux, les comptes ouverts pour cet objectif à la Bicis et à la Citibank ont continué d’être mouvementés par le Pcrpe. Où est passé cet argent, se sont interrogés les juges financiers de la Cour des Comptes ?

La Cour a aussi vivement regretté le décaissement des Fonds taïwanais par le Pcrpe alors que, conformément à la règlementation en vigueur, c’est le Directeur de la Dette et de l’Investissement qui est l’ordonnateur délégué de toutes les dépenses d’investissement financées sur ressources externes. En outre, le Pcrpe s’est vu confier l’administration des crédits pour les femmes, alors que cette activité ne relève pas de sa mission, de ses prérogatives.

Le rapport de la Cour des Comptes de2006 arelevé de nombreuses autres graves irrégularités. Pour effacer toutes traces de la bamboula qui a eu cours pendant de nombreuses années au Pcrpe, le Président de la République s’est donc empressé de le dissoudre purement et simplement. Avec cette dissolution, le personnel a été sacrifié, du moins celui qui « n’a pas de mère ». Les fils et filles à papa ont été sauvés du naufrage : ils ont été versés dans une nouvelle structure domiciliée au Ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction et qui a pour nom : Programmes de Construction et de Réhabilitation d’Édifices de l’État (Pcree). Pour peu, on y retrouve le défunt Pcrpe dont il faut effacer les traces, en tout cas de la présidence de la République. C’est aussi cela le Sénégal. Non seulement on y pille impunément les deniers publics, mais on y est injuste, on s’y moque éperdument de l’équité.

Si cet espace me le permettait, je ferais le même développement aussi bien sur la gestion des fonds spéciaux du président de la République que sur sa boulimie foncière insoutenable et injuste. Nous pourrions nous arrêter aussi sur un autre gros scandale : la privatisation de la Sonacos sur laquelle il faut vite revenir. Les pratiques mafieuses qui y ont cours depuis cette privatisation auraient coûté au Trésor public des dizaines, voire des centaines de milliards de francs Cfa. Je reviendrai plus tard, et en détail, sur cette nébuleuse privatisation.

Pour ce qui est des fonds spéciaux du président de la République (qui comprennent les fonds politiques, les fonds secrets et le fonds d’aide à l’Unité africaine), il convient de faire la part entre : d’une part, les fonds régulièrement alloués par la Loi de finance laissés à la discrétion (républicaine) du président et, d’autre part, les dizaines, voire les centaines de milliards de francs Cfa qui sont gérés dans ce cadre et dont nul, du moins le Sénégalais moyen, ne connaît l’origine. Idrissa Seck en a donné un début (important) d’explication devant la Commission d’Instruction de la Haute Cour de Justice.

Dans le chapitre VI de mon dernier livre intitulé « Une corruption nourrie et entretenue au sommet de l’État » (pp. 87-168), je me suis appesanti sur de nombreux autres scandales qui ont éclaboussé aussi bien le président de la République que les autres délinquants de son clan. Leurs forfaits, gravissimes, ne devraient, en aucun cas, rester impunis. Il ne s’agit surtout point de chasse aux sorcières ou de règlements de compte : il s’agit de faire justice. Et puis, s’il est établi qu’il existe des sorcières parmi nous – et Dieu sait qu’il en existe beaucoup –, pourquoi ne pas les chasser et les brûler vives, au besoin ? Pourquoi ne pas leur régler leurs comptes, par les voies les plus appropriées ?

Les nouveaux gouvernants n’ont pas d’autres choix que de faire sans complaisance la lumière sur la gestion de leurs prédécesseurs et de déférer à la Justice, ceux et celles d’entre eux (elles) qui seront convaincu (e)s de délinquance. L’impunité a trop duré chez nous.

En attendant, la décision – si c’est avéré –, du nouveau président de la République de mettre l’avion de commandement à la disposition de son prédécesseur pendant quinze jours suscite déjà l’émoi. Si ce dernier doit faire le petit pèlerinage et déposer son très lourd « sac de péchés » aux lieux saints de l’Islam, puis effectuer une tournée dans les pays du Golfe et en Europe, il doit le faire par ses propres moyens. Pendant douze ans, il a fait le tour du monde avec les moyens de l’État. Cela suffit maintenant ! La décision du nouveau président inquiète encore plus si on considère la composition de la délégation qui doit accompagner son prédécesseur : son ancien garde de corps Lamine Faye, son ancien Ministre des Affaires étrangères Me Madické Niang, son ancien ministre chef de cabinet Papa Samba Mboup, son sulfureux conseiller financier Samuel Sarr. Quelle horrible équipe ! Ah ! Si, quelques minutes avant le décollage de l’avion – si toutefois il était mis à leur disposition –, on y faisait irruption et jetait un coup d’œil dans leurs très lourdes valises et mallettes ! Je laisse le soin au lecteur d’imaginer ce qui se serait passé, ce qu’on pourrait y découvrir !

Enfin, le nouveau président de la République peut-il donner l’opportunité à son prédécesseur qui a affiché sa volonté de rester dans l’arène politique, d’aller quémander des fonds à bord de l’avion de commandement, fonds avec lesquels il va sûrement le combattre ? Cette question mérite quand même d’être posée !

Dakar, le 5 avril 2012

Mody Niang, e-mail : [email protected]

 

 

 

 

 

 

 



[1] Le lecteur intéressé peut se faire une idée encore plus précise sur les graves forfaits des différents responsables du Pcrpe, en lisant le rapport 2006 de la Cour des Comptes. Celle-ci dénonce les marchés de gré à gré, l’achat d’un billet d’avion Dakar-Paris-Milan-Paris-Dakar (quel long périple !) pour  Mme Ndèye Khady Diop, alors Ministre déléguée chargée de la Petite Enfance, pour un montant de 1 567 500 francs Cfa et, suite à une correspondance signée par Salif Ba, l’achat par la présidence de la République de moulins à céréales pour un montant de 127 500 000 francs Cfa, l’achat de 245 téléphones portables pour la présidence, etc. Dans cette bamboula, Mme Viviane Wade reçoit, au titre de son « Éducation pour la Santé », structure privée, la coquette somme de 75 906 525 F Cfa pour, argumentait-on, la construction d’écoles élémentaires communautaires à Ninefecha et à Mbissao. Même le logement de Mme Awa Guèye Kébé, alors Ministre dela Famille, a été « retapée » pour 2 990 000 francs Cfa. Tout ce festin a été rendu possible par les fameux « Fonds taïwanais », gérés en dehors de toutes procédures légales par les autorités du Pcrpe. Je recommande en tout cas à mes compatriotes qui en ont le temps et l’opportunité de lire le rapport 2006 de la Cour des Comptes : ils comprendront pourquoi le Président de la République a été si pressé de dissoudre le Pcrpe !

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