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L’autre Afrique de Mamadou Diouf, vue depuis New York

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Mamadou Diouf le prouve dans chacun de ses écrits ou dans les propos qu’il tient : la distance n’altère en rien la pertinence de l’analyse que l’on a d’un pays ou d’un continent. Historien sénégalais de renom, c’est en effet depuis les Etats-Unis qu’il observe les sociétés africaines avec une remarquable pertinence et une originalité certaine.

Spécialiste de l’empire colonial français, Mamadou Diouf est né à Rufisque, au Sénégal. Il a suivi des études à la Sorbonne, à Paris où il a décroché un doctorat en histoire. Puis il est retourné dans son pays d’origine pour y enseigner et y mener ses recherches à l’université Cheik Anta Diop à Dakar. Ensuite, cet intellectuel disert a traversé l’Atlantique pour enseigner à l’Université du Michigan avant de prendre la route de New York où, depuis 2006, il est le directeur de l’Institut d’études africaines de l’Université de Columbia à New York.

Mamadou Diouf est l’auteur de nombreux ouvrages dont Les figures politiques, Des pouvoirs hérités aux pouvoirs élus, Le nationalisme, le colonialisme et les sociétés post-coloniales ou bien encore Une histoire du Sénégal, le modèle islamo-Wolof et ses périphéries. Autant de livres publiés chez Karthala.

Etudes post-coloniales

Aux Etats-Unis, Mamadou Diouf est devenu un des grands spécialistes des études post-coloniales, c’est-à-dire des recherches sur l’Afrique (pour ne parler que d’elle) débarrassées en quelque sorte du point de vue européen. Souvent, ce sont en effet les colonisateurs qui ont créé, voire inventé, une vision de l’Afrique. Il s’agit donc, ici, pour les intellectuels du Sud, de retrouver une Afrique originelle et d’en écrire l’histoire.

L’histoire post-coloniale qui s’est développée aux Etats-Unis (un pays aussi post-colonial) est devenue la spécialité de cet historien sous l’influence, notamment, d’Edward Saïd, marqué lui-même par les travaux de Michel Foucault sur le discours qui, en 1978, a publié L’Orientalisme, un livre de référence qui analyse l’invention de l’Orient par les Européens. L’orientalisme qui permet d’en savoir plus sur les Occidentaux que sur l’Orient…

Mamadou Diouf explique tout cela dans le magazine Idées, lui qui, dans le multiculturalisme de New York, se dit au carrefour de trois influences : francophone, africaine et anglophone dans un pays qui, sous l’impulsion du président John F. Kennedy, a voulu développer les études africaines durant la guerre froide afin de mieux connaître ce continent.

L’historien porte un regard critique sur les dirigeants africains. Selon lui, les peuples de cette partie du monde n’ont pas le système politique qu’ils méritent, car celui-ci est trop souvent influencé par l’histoire coloniale. Selon lui, la politique et la démocratie à l’africaine sont en quelque sorte à réinventer. Il critique, par exemple, les élections organisées sans remise en cause des cultures civiques et politiques

Jeunesse d’Afrique

Mais Mamadou Diouf ne s’intéresse pas seulement à la politique. Ce qui semble surtout le préoccuper, ce sont les sociétés africaines et, singulièrement, l’évolution de son pays d’origine, le Sénégal.

Dans Les arts et la citoyenneté au Sénégal, un livre récent (Karthala, 2013) qu’il a dirigé avec Rosalind Fredericks, il étudie la jeunesse d’un continent qui s’urbanise à grande vitesse (37% de la population africaine vivait dans les cités en 2014). « Le triomphe de la ville est en train d’advenir en Afrique », remarque-t-il. Dans une étude sur les jeunes Dakarois, il analyse « les espaces abandonnés par l’Etat » dans lesquels les plus jeunes ont inventé un mode de vie qui leur est propre.

La ville est alors un lieu de confrontation. « Lieu de la compétition entre individus, entre groupes, entre ethnies, entre anciens et nouveaux urbains, la ville est aussi le cadre de la compétition entre ceux qui sont capables de mobiliser des ressources, quelle que soit leur nature financière, foncière, politique, symbolique, et ceux qui en sont exclus », souligne Mamadou Diouf.

Dans ce contexte difficile, les jeunes ont réussi à recréer un univers parallèle en quelque sorte. L’historien note aussi que « l’entreprise de re-fabulation du monde, inaugurée par les jeunes Africains, les jeunes Sénégalais en particulier, a profité des friches ouvertes par la clôture de la fabulation nationaliste, la crise de son obsession de restauration culturelles et esthétique et la mise sous ajustement structurel des économies africaines ». Il ajoute que, « prenant des tours et des détours imprévisibles, elle s’est appropriée des ressources multiples, provenant autant des traditions ré-imaginées que des représentations coloniales et mondiales, constamment réinterprétées ».

Oui, décidément, prendre de la distance est encore le meilleur moyen de comprendre les choses. Mamadou Diouf le prouve au fil de ses travaux.

Mamadou Diouf est l’invité, ce dimanche 29 novembre 2015, du magazine Idées, à l’occasion de son passage à Lyon, dans le cadre du festival Mode d’emploi.
rfi.fr

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