« L’héautontimorouménos » signifie « bourreau à soi-même ». Vous souvenez-vous de ce poème de Charles Baudelaire ? Le poète maudit s’y adresse à la femme aimée, mais blessé par l’amour qu’il lui porte, il emploie une certaine violence, qu’il finit par retourner contre lui-même.
On peut employer ce titre dans un autre contexte pour tenter de démontrer en quoi l’amour du pouvoir solitaire chez Macky Sall et la technique en usage pour son maintien à la tête du pays semblent creuser la tombe de l’Apr-Benno bok yakaar.
Ce n’est pas pour rien que Léopold Sédar Senghor est le chantre de « l’Organisation et de la Méthode ». Il est le seul chef d’Etat sénégalais à avoir bien planifié son départ. Dès 1965, il a pensé à Abdou Diouf pour lui succéder. En 1980, les planètes étaient alignées dans le sens de matérialiser la prémonition du poète.
Mieux, il a eu l’intelligence de mettre fin au « Parti unique de fait » qu’il avait instauré pour, à travers une réforme constitutionnelle, régler à la fois la question de la succession et opérer une ouverture démocratique, appelée « multipartisme limité ».
Abdou Diouf, décrit comme un homme d’Etat accompli, a pourtant beaucoup souffert des querelles de préséance qui emporteront le régime socialiste pour n’avoir pas planifié sa succession à temps.
Abdoulaye Wade, itou. On le prenait pour la « Constante » et parmi ses « variables », il n’a pas su se choisir un schéma clair de transition.
Macky Sall commettra la même erreur et les mêmes causes risquent de reproduire les mêmes effets. A deux ans de 2024, l’on ne voit pas parmi ses lieutenants quelqu’un qui aura le temps de se doter de l’étoffe d’un « présidentiable », sans faire le vide autour de lui et brusquer le processus de démembrement par les jalousies qu’il aura aiguisées.
Même si Benno bok yakaar remporte les prochaines législatives, le problème restera en l’état.
Des observateurs pensent que le prochain Premier ministre pourrait devenir le dauphin. On ne voit pas trop comment ! Dans un entretien accordé dernièrement à RFI et France 24, le leader de l’Apr dressant le portrait-robot du futur Pm, laisse croire que celui-ci ne serait qu’un « assistant » qui allège son fardeau, pendant qu’il préside aux destinées de l’Union africaine. Mamadou Lamine Loum, chef du gouvernement entre 1998 et 2000, était typique de cet homme de cabinet effacé. Haguibou Soumaré aussi était ce profil de Pm-technocrate entre 2007 et 2009.
Même si le futur Pm nourrit une ambition présidentielle en tapinois, il pourrait lui manquer la marge de manœuvre pour dérouler son jeu d’ombre. Ce fut l’exemple de Souleymane Ndéné Ndiaye entre 2009 et 2012.
En fait, l’unité au sein de la mouvance présidentielle ne peut pas survivre au magistère de Macky Sall puisque ce dernier a configuré sa coalition de manière que son style de management inhibe toute ambition.
Au lendemain de la chute de l’ogre socialiste, le Ps a volé en éclats. Ce fut aussi le cas au Pds, après la perte du pouvoir en 2012. Sans Macky, l’Apr, ou sa forme développée Benno bok yakaar, qui n’a jamais été qu’une machine électorale regroupant des Sénégalais sans connivences idéologiques qui « gagnent ensemble pour gouverner ensemble », uniquement, est également cette armée mexicaine condamnée à disparaitre.
Ce débat est d’autant plus intéressant qu’en direction de 2024, l’on pourrait, pour la première fois, assister à une élection où le président sortant prépare son propre départ. Comme toute révolution postule une théorie du complot. Il est fort probable que le successeur de Macky Sall ne sorte pas des rangs de l’Apr ou de Benno bok yakaar.
Dans ce cas, il ne resterait qu’une seule option : permettre à Khalifa Sall et Karim Wade de se présenter en 2024 pour sauver la démocratie sénégalaise menacée par les effets de la tentative d’instauration d’un monolithisme d’Etat qui visait « à réduire l’opposition à sa plus simple expression ». Hors de cette hypothèse, vaut mieux crier « Apocalypse now » !