Deux «Premiers» pour être le seul… premier. Entre Idrissa Seck et Macky Sall, le poste de Premier ministre aura été le point précis où leurs ambitions ont été fusillées en plein vol, à quelques encablures de la plus haute station, le Palais de la République. Dépeints par leur désormais ex-mentor, le président Abdoulaye Wade, comme des Premiers ministres qui lorgnent le fauteuil qu’il leur destinait, selon un agenda précis, les deux anciens numéros deux du Parti démocratique sénégalais (PDS) se retrouvent dans le groupe des politiques pilonnant la maison libérale. Il y a du piquant à quelques pages du cahier des griefs. Pour Seck, c’est une affaire de milliards dans le cadre des Chantiers de Thiès et, pour Sall, un coup fourré à travers la convocation, pour audition, du président du Conseil de surveillance de l’ANOCI à l’Assemblée nationale. Le tourbillon des déclarations de conciliation-séparation a été largement suivi par la presse.
Ils se retrouvent, par la force des évènements politiques, adversaires de leur Maître. Entre-temps, le maire de Thiès valide sa popularité dans son fief, une nouvelle fois, aux locales de 2009 et celui de Fatick revient par la porte de la légitimité populaire, comme premier magistrat de sa ville de Fatick, après avoir jeté, par-dessus bord, tous les mandats acquis sous la bannière libérale. Il se pare de l’étendard de la République, pendant que son prédécesseur à la Primature se dit «actionnaire majoritaire» du Pds. Idrissa Seck ne tourne pas le dos au Pds. Il revient à chaque fois que de besoin, espérant du père les clefs de la maison. Pour les besoins de ces retrouvailles, il a mis son parti au frigo, à l’occasion d’une matinée riche en mots hauts et suaves. Entre parents et fils, en langue nationale wolof. Pourtant, l’enfant ne préférera pas mourir aux côtés du père plutôt que d’aider les adversaires de celui-ci à le liquider. Il combine sa verve aux salves de Bennoo, pour fustiger toute idée de troisième candidature. Il convoque Guy Carcassonne en renfort, lorsqu’il doit faire face aux huées sur sa personne en pleine réunion du Comité directeur. Il voit Sorano sur le Palais en parlant de théâtre.
Plus sobre sur ce registre, Macky Sall ne fait pas le spectacle. Il se limite à l’argumentaire politique et juridique et travaille, sur le terrain, à rallier plus de Sénégalais à ses idées articulées autour de la défense de la République : transparence, émergence, concorde nationale, etc. Il visite indifféremment Yeumbeul, Thiaroye, Dieuppeul… Pendant ce temps, plus versé dans la rhétorique, Idrissa Seck multiplie les coups d’éclat médiatiques et politiques, y compris dans l’interprétation de ses silences : l’image de l’arbre qui tombe en faisant beaucoup de bruit ; le couchant puis les ténèbres épaisses qui annoncent une aube nouvelle ; le système qui devient «une calamité» pour le pays…
Moins flamboyant dans son style, Macky Sall articule son discours autour du nécessaire renouveau au cœur de la République. Il ne garnit pas son discours de références coraniques, dépouille son verbe de toute graisse et refuse de rôder autour de la maison Pds pour en tirer les dividendes de sa déconfiture politique et éthique. Il partage le seul combat républicain et se débarrasse des scories des envies politiques trop personnelles. Ses références absolues sont les textes qui régissent la République, et non le Coran, et l’histoire des apports au Pds. Ses partisans, cependant, revendiquent l’âge des prémisses pour les projets de Wade, alors que Seck, en spectacle communicationnel devant les députés, a refusé d’endosser le chronogramme des grandes réalisations du chef de l’Etat.
Idrissa Seck a l’oreille des Sénégalais pour sa maîtrise des codes sociaux de communication et des textes sacrés, y compris dans la passion des compromissions coupables avec un père auquel il tourne aujourd’hui le dos pour, demain, négocier la position de sauveur, avec ses 15% acquis à la Présidentielle de 2007. Ceux qui le critiquent prêtent l’oreille pour apprécier ses talents d’orateur. Macky Sall a l’œil des Sénégalais pour l’image de sage enfant de la République, mesuré dans ses propos et digne de confiance. Peu loquace, il n’a pas un mot plus haut que l’autre pour parler de son ancien patron, Me Abdoulaye Wade. Il se limite aux critiques sur les échecs du régime, endosse la responsabilité des sept années de présence dans des sphères de décision et reconnaît à l’actuel locataire du Palais de l’avenue Senghor une place dans l’histoire politique de ce pays. C’est un homme de dossiers. Peut-être pas un génie de la politique, mais un haut fonctionnaire de l’Etat acquis à la seule cause du résultat. C’est aussi un élément discipliné d’un orchestre qui est dans la gamme générale. Sa limite est son image quelque peu rondouillarde et naïve politiquement. Le verbe aussi qui ne décolle pas pour maintenir un oratoire pendant de bonnes minutes.
Idy est un stratège qui aime les feuilletons, les paraboles, piques et répliques. Il adore le mystère des silences, y compris dans ses sorties bavardes. Il lisse ses mots pour faire avaler des vérités rugueuses de ses revirements, démarches solitaires, etc. Idy donne l’image d’un fils écartelé entre l’admiration pour un père-président au pedigree «figure historique» et un Secrétaire général national qu’il n’aimera que lorsque celui-ci lui aura cédé son Palais.
Après le temps des conquêtes démocratiques auprès de Wade et de la réalisation de son projet économique, Seck et Sall se retrouvent au carrefour des ambitions déclarées : être élu président de la République. Deux candidatures sorties du giron libéral, sans avoir renoncé à cet électorat, de manière affective pour le président de l’Alliance pour la République (APR) et organique, voire fusionnelle pour celui du «Rewmi». Un duel dans une agora politique qui n’en manque pas ! Le maire de Thiès rappelle sa posture de conseiller, suggérant à son successeur de rester dans la maison bleue. Condescendance ? Douce intimidation pour être le seul «mâle» libéral ? Il insinue même la responsabilité de ce dernier dans sa mise en accusation, puis son incarcération à Reubeuss, dans le cadre de l’Affaire des Chantiers de Thiès. Invité à sa suite par la TFM, Sall refuse de polémiquer sur la question. Ils sont, l’un aux côtés de l’autre, sur le pont d’un élan collectif de prendre au père sa maison, puis la Maison Sénégal (Seck) ou, directement, la Grande demeure (Sall). Une histoire de… jeune premier politique !