La Cour suprême américaine vit une situation particulière depuis près d’un an. En février 2016, un des neufs juges de cette institution, Antonin Scalia, décédait. Depuis, son siège est resté vacant, empêchant la Cour Suprême de trancher sur des dossiers très sensibles. A l’heure actuelle huit juges y siègent : quatre progressistes nommés par des présidents démocrates et quatre conservateurs. Barack Obama avait proposé un candidat en mars 2016 pour remplacer Scalia, mais les républicains, majoritaires au Sénat, ont tout simplement refusé de l’auditionner. Cette situation bancale est sans doute arrivée à son terme puisque, dans la nuit de mardi à mercredi, Donald Trump a annoncé le nom de celui qui pourrait occuper le poste vacant, il s’agit de Neil Gorsuch, âgé de 49 ans.
La nomination du juge Neil Gorsuch, proposé par le président américain, pourrait avoir un impact considérable. Mais, pour mesurer les conséquences que pourraient avoir le choix de Donald Trump, il est nécessaire d’expliquer ce qu’est cette Cour suprême américaine, précise Anne Deysine, professeur émérite à l’université Ouest-Nanterre, (auteure notamment de La Cour Suprême des Etats-Unis : droit, politique et démocratie) : « Pour nous français, c’est une institution difficile à comprendre. En fait cette Cour cumule les rôles de trois cours françaises : le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, auxquels il faut ajouter les deux cours européennes : la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour européenne de justice. Donc, en l’occurrence, aux Etats-Unis, si l’administration s’acharne, fait appel, l’affaire peut arriver devant la Cour Suprême et c’est cette dernière qui statuerait en dernier ressort sur la question posée si elle accepte l’affaire. Car elle bénéficie de ce pouvoir discrétionnaire de ne prendre que les affaires qu’elle souhaite et pour cela il faut que quatre des juges l’acceptent. »
Mettre fin à une situation bancale
La question de la composition de cette Cour est primordiale pour comprendre les enjeux qui se jouent avec la nomination d’un nouveau juge. La Cour suprême est donc formée normalement par neuf juges, nommés par les présidents successifs. Des nominations qui doivent recevoir l’aval du Sénat (60 votes sont nécessaires). Actuellement, c’est le parti Républicain qui détient la majorité dans cette chambre, mais il ne dispose que d’une majorité de cinquante et un sénateurs. Franchir l’étape de la validation de cette candidature par le sénat pourrait s’avérer plus compliqué que prévu pour le poulain de Donald Trump.
Un juge conservateur qui en remplace un autre
Le juge qui doit être nommé après l’étape du Sénat va en remplacer un autre qui avait été choisi par un président républicain (Antonin Scalia avait été nommé en 1986 par Ronald Reagan). Un juge conservateur va remplacer un autre conservateur. L’équilibre va donc rester le même au sein de cette Cour. Mais le juge qui va prendre la place d’Antonin Scalia peut avoir une lecture plus conservatrice de la Constitution américaine, ce qui accentuerait le poids des Républicains au sein de la Cour suprême. L’autre point qu’il ne faut pas oublier de prendre en compte avec cette nomination, selon Naomi Fenwick, avocate au barreau de Californie et spécialiste des droits de l’homme, c’est que ce « juge ne sera pas juste là pour les quatre ou peut-être huit années de la présidence Trump. C’est un juge qui est nommé à vie. Actuellement la Cour suprême est divisée entre quatre juges conservateurs et quatre juges dits libéraux qui, eux, sont très ouverts d’esprit sur de nombreuses questions de société comme par exemple le mariage de couple de même sexe, l’avortement ou d’autres questions sur les droits des femmes. Avec la nomination d’un juge par Trump cette cour va devenir beaucoup plus conservatrice. »
Une Cour suprême aux mains des conservateurs
Selon de nombreux spécialistes, on peut s’attendre à des décisions surprenantes dans les mois, peut-être même les semaines à venir. C’est en tout cas ce qu’espère Donald Trump en nommant un juge avec un profil très conservateur. Mais les démocrates n’ont pas dit leur dernier mot et comptent tenter au minimum de ralentir l’acceptation du juge par le Sénat comme l’explique Anne Deysine : « Au Sénat ce n’est pas la majorité simple qui prévaut, puisqu’en fait un sénateur peut se lever, menacer de parler et cela bloque tout examen de la candidature. C’est ce que l’on appelle le « filibuster » (l’équivalent de l’obstruction parlementaire en France). Pour que le président Trump obtienne l’aval du Sénat pour son candidat il faut qu’il y ait soixante sénateurs qui votent en sa faveur car quarante sénateurs suffisent à bloquer cette nomination. Ce qu’a annoncé le leader de la minorité démocrate au Sénat c’est que si le président Trump choisit quelqu’un qui est vraiment très à droite, très réactionnaire, ils feront du blocage. Il a même laissé entendre qu’ils feront du blocage pendant quatre ans. »
C’est donc une situation un peu particulière à laquelle on risque d’assister dans les semaines à venir. Et le futur pourrait encore plus s’assombrir pour les démocrates car parmi les juges progressistes de la Cour Suprême, deux sont très âgés. La doyenne, Ruth Bader Ginsburg, âgée de quatre-vingt-trois ans (nommée en 1993 par Bill Clinton), a promis de tout faire pour « tenir » les quatre années du mandat présidentiel. Mais, si d’aventure, l’un de ces deux juges décédait, Donald Trump pourrait être amené à en nommer un autre, ce qui donnerait une majorité écrasante pour de nombreuses années aux conservateurs dans cette instance suprême et leur permettrait de mettre en place plus facilement un programme ultra-conservateur.
Rfi.fr