Cette contribution fait suite au communiqué du conseil des ministres du 29 Juillet 2020 consacrant une large part au secteur du numérique. Il donne l’occasion de s’interroger sur la cohérence de la vision du Président Macky SALL portant sur la transformation digitale de la société sénégalaise et sur son niveau d’opérationnalisation effective par les services en charge de sa mise œuvre.
A propos de sa vision de « l’aménagement numérique du territoire » :
Dans le communiqué précité, le Président Macky SALL instruit les services de l’Etat sur « l’urgence de bâtir un Sénégal Emergent à travers l’accélération de l’aménagement numérique du territoire national afin de favoriser l’accès universel, à moindre coût, aux services numériques de qualité. Il a, à cet égard, demandé à l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) de veiller davantage à la qualité du service délivré par les opérateurs aux usagers, ainsi qu’à la soutenabilité des tarifs appliqués aux consommateurs ».
Cela fera bientôt 10 ans que le Président convoque le concept d’aménagement numérique sous un angle qui laisse apparaitre une méconnaissance réelle ou une fausse volonté de réaliser une vraie transformation digitale des territoires.
Les spécialistes, notamment ceux qui travaillent sérieusement sur le concept « territoires numériques » conviennent que l’urgence à laquelle il appelle les services de l’Etat est à des années lumières des bonnes pratiques actuellement en cours dans le monde. Ailleurs on évoque plutôt « territoires et villes intelligentes ».
D’ailleurs à propos de ville intelligente, nous reviendrons bientôt sur le projet « Diamniadio Lake City » qui semble être le prochain scandale sur la longue liste balisant la gouvernance du régime actuel.
Le Sénégal gagnerait à repenser sa politique de digitalisation des territoires autour de nouveaux paradigmes prenant en compte les nouveaux enjeux sociétaux et environnementaux induits par l’urbanisation afin de permettre aux territoires de bénéficier de l’apport des TIC en termes de compétitivité et d’inclusion socio-économique des citoyens.
C’est cette approche qui pourrait permettre de corriger et rééquilibrer les disparités territoriales qui sont souvent sources potentielles de conflits.
A l’heure actuelle plus de la moitié de la population mondiale vit en ville. En 2050, ce sera le cas de près de sept personnes sur dix. Le Sénégal ne fait pas exception à cette tendance lourde. Les villes contribuent pour plus de 70% aux émissions de carbone dans le monde et pour 60 à 80% à la consommation d’énergie. Ces statiques montrent clairement sur quoi doit se focaliser une transformation digitale de notre société. C’est la prise en compte de ces enjeux sociétaux, environnementaux qui doivent structurer une nouvelle vision du numérique au Sénégal comme cela se fait déjà ailleurs avec succès.
L’absence et la non prise en compte de l’urbanisation dans votre vision de la transformation digitale de la société sénégalaise rend anachronique et inopérante sa mise en œuvre. Cela se traduit par du « sur place » dommageable à la fois à l’économie sénégalaise dans sa globalité et aux politiques de territorialisation.
A propos de son programme « SMART SENEGAL » :
En relisant le communiqué du conseil des ministres, on a l’impression que pour le Président de la République et ses services, on atteindra un « smart Sénégal » par « l’impératif de mettre à disposition les moyens nécessaires au développement de l’Université Virtuelle du Sénégal (UVS) ». Les vrais spécialistes sont unanimes : à l’heure du bilan il n’en sera rien et le Sénégal sera encore empêtré dans son sur-place avec cohorte de conseillers et chefs de projets qui n’oseront pas faire savoir à leur grand Président que la voie empruntée est tout sauf « Smart ».
Pourtant certains parmi eux ont toute l’expertise pour contribuer à recadrer une vision erronée afin de notamment faciliter sa mise en œuvre opérationnelle. Mais prisonniers d’intérêts purement matériels et pécuniaires, ils préfèrent rallier des positions pourtant faites d’incohérence et d’approximation tant dans la vision que dans la démarche préconisée.
Pourtant le Président dispose aujourd’hui de tous les instruments techniques et informatifs pour savoir qu’en matière de politique publique, de surcroit dans un domaine de soutien à la production de biens et services comme les TIC, la démarche se doit d’être systémique pour être efficace. Rien de smart et durable ne sera bâti en empilant des projets et programmes TIC sans une approche systémique des enjeux de développement à adresser. Les vrais enjeux ne sont pas l’infrastructure TIC ou Telecom, il s’agit en priorité de cerner les dynamiques territoriales en construction et leur impact sur le vécu des citoyens afin de déployer le service TIC requis.
La digitalisation des territoires territoire n’est pas exclusivement de « l’informatique » ; elle a toujours été à la croisée de plusieurs disciplines : Informatique, géographie, statistiques et plus récemment mathématiques. Elle ne peut ignorer les dernières innovations en matière de modélisation d’infrastructures réseaux, de gestion de la mobilité et surtout d’analyse des gros volumes de données (Big Data).
Le processus est plus complexe et bien plus difficile que ce qui ressort de ce dernier communiqué, sachant que sans une vision adossée sur une démarche systémique on risque d’accentuer les disparités territoriales, lesquelles sont déjà énormes au Sénégal. La fracture numérique est d’abord à l’intérieur de nos frontières, cherchons donc à la résorber en toute priorité par un « projet d’aménagement digital du territoire » visant le cheminement vers un équilibre digital entre les territoires
Le communiqué rendant compte des instructions du Président de la République reste dramatiquement muet sur ces grands enjeux sociétaux et environnementaux induits par une urbanisation galopante. Un « Smart Sénégal » sans des territoires (villes, régions, villages) smart est une vue de l’esprit. La vision et la démarche exprimées risquent plutôt à terme d’exacerber les inégalités territoriales et de retarder une vraie politique d’émergence.
Il ne s’agit pas de décréter un nouveau slogan « SMART SENEGAL » pour avoir des territoires connectés ou des « smart services » territoriaux.
Il est en revanche encore temps de faire preuve d’un vrai leadership dans la transformation digitale du Sénégal et donc de quitter le champ des généralités vides de sens sinon destinées à meubler un communiqué avec des formules du genre : « Le Président de la République a, sur ce chapitre, demandé aux membres du Gouvernement d’intensifier, avec le concours de l’ADIE, la transformation digitale des administrations afin d’asseoir un service public accessible, innovant et performant ».
Abdoulaye KANTE
Responsable de la cellule des cadres
Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT)