L’injure est un phénomène banal dans nos sociétés. Ce n’est pas seulement le sport favori des jeunes, les adultes parfois s’y donnent à cœur joie. Il est fréquent d’entendre un père de famille injurier de mère sa progéniture, un enfant de 7 ans « promettre » une nuit tumultueuse à la génitrice de son interlocuteur etc. Le plus étonnant, c’est lorsque les femmes s’y mettent. Sans gêne, elles sortent des insanités de leur bouche. Le plus cocasse, c’est qu’elles en rient. Il y a des milieux, comme ceux des apprentis mécaniciens et Car-rapide ou Ndiaga-Ngiaye où l’injure rythme les échanges. Un mot sur trois est décliné en injure. L’insolente banalisation est en train de saper les fondements moraux de notre société. Notre reporter s’est intéressé au phénomène.
Les gros « mots » ou les insanités se sont incrustés dans le langage courant des Sénégalais. Toutes les catégories sociales et les couches sont concernées par cette pratique des insultes publiques. Il est fréquent d’entendre, à longueur de journée, dans les rues ou les foyers, des personnes sortir des propos jugés insolents et blessants.
Au détour d’une petite sortie, vers le garage de Sahm, à quelques encablures de l’hôpital Abass Ndao, le spectacle qui s’offre à nous permet de mesurer l’ampleur et la banalisation d’un phénomène, jadis considéré comme marginal, un jargon spécifique aux marginaux. Un petit groupe d’apprentis, pour la plupart venus de la banlieue de Rufisque et des Niayes, des localités comme Diender, keur Mousseu, Mbaawan, Bayakh…est en train d’épiloguer au lendemain du combat de lutte entre Balla Gaye II et Modou Lô. Les discussions sont ponctuées d’insanités et d’insultes entre compères, des phrases et des qualifications les unes plus insolentes que les autres sont proférées par les amis.
Mais le plus incroyable est cette banalité et la facilité avec laquelle ils les prononcent. Matar l’un d’eux tente de s’expliquer : « C’est pas méchant ! C’est souvent à l’occasion de nos discussions passionnées, c’est juste la passion, mais il n’y a aucune méchanceté juste de la passion. Par familiarité, entre amis, on s’insulte de mère».
A la question de savoir si les insultes de mère qu’il reçoit ne le touchaient pas, Matar banalise : « Honnêtement non, je les supporte parce qu’on est entre amis ». Ndiassé, camarade de Modou enfonce le clou de la banalisation : « entre camarade même pour saluer « saaga bi lay déclenssé », je déclenche l’insulte. « C’est une question d’habitude », ajoute t-il ! Pour lui, c’est parfois une déformation.
Pour un autre, « on insulte pas souvent gratuitement, c’est souvent par réaction à une provocation ». Youssou Dème qui est apprenti de car pense que souvent ce sont les clients qui les méprisent, les poussent à l’injure et souvent « ce sont eux qui déclenchent les premiers missiles ».Comme pour culpabiliser davantage ses clients, il tente une explication de leur comportement : « c’est parce qu’ils ne respectent pas leurs parents eux-mêmes, qu’ils insultent les parents des autres. ». Et Youssou de révéler qu’il s’est battu à deux reprises pour le motif d’injure avec ses clients : « raakk na thi deux fois », cela malgré les conseils de leurs parents au moment de quitter le village pour venir à Dakar. Dans tous les cas, Serigne Modou trouve pour sa part le fait d’insulter irrespectueux et insolent en même temps, « rafétoul téguinouwoul ». Pour lui, le problème à la base est une question d’éducation, ils accusent certains parents de donner le mauvais exemple à leur progéniture : « il est évident qu’un enfant qui entend ses parents insulter va faire de même ».
Mais les injures et autres insanités ne sont pas seulement l’apanage des autres apprentis, l’espace scolaire est aussi atteint par la pandémie de « l’insulte », les élèves s’en donnent à cœur joie. C’est le cas dans ce CEM de la Banlieue où les élèves sont assis par groupe dans l’enceinte du jardin qui fait face à leur établissement. Là aussi, les insultes s’invitent souvent dans les débats surtout sur les débats qui concernent le sport. Issa est élève dans l’école lorsque nous l’avons entendu insulter à plusieurs reprises sur une discussion autour des matchs de league des champions, nous l‘avons interpellé, mais il ne trouve aucune explication à cette propension qu’il a, à sortir des insultes : « vraiment, je ne pose pas trop cette question. Je ne sais franchement ». Son copain Djiby qui était à côté vient à son secours avec des arguments aussi superficiels : « c’est juste entre copain, c’est pour faire jeune. Mais à un certain âge, on va arrêter ». Mais lorsque l’injure vient d’un inconnu, sa réaction est tout autre, car il serait même prêt à se battre pour laver l’affront : « je considère l’insulte comme offense, un manque de respect pour ma mère »
La gent féminine pour sa part est touchée par le phénomène, mais pas aussi largement. Ngaty, élève dans un lycée technique de Dakar reconnaît que certaines filles pratiquent cela pas aussi vulgairement au vu et su de tous. « Cela est le fait de filles souvent vagabondes et volages, mais entre nous, il nous arrive d’insulter, mais avec un brin d’étonnement et parfois de surprise de notre interlocutrice ». Quoi qu’il en soit, force est de reconnaître que le phénomène s’étend peu à peu à la classe féminine, même si c’est encore marginal. Dans son quartier à Hann elle raconte « qu’elle entend souvent des mamans insulter leurs enfants », mais elle s’empresse d’ajouter : « ce sont celles-là qui sont encore jeunes, les jeunes mamans quoi ».
Les hommes âgés aussi sont aussi concernés, du moins certains d’entre eux surtout les chauffeurs de transports en communs et certaines catégories professionnelles. C’est le cas de muezzin dans le quartier de Grand Dakar : « alors qu’il s’apprêtait à appeler à la prière, il s’est rendu compte que son micro faisait des siennes, malgré quelques réglages. Excédé, il perd son sang froid et se met à insulter, oubliant que le micro est ouvert. Malheureusement, les fidèles ont entendu ses insanités dans le haut-parleur », rapporte un de nos interlocuteurs.
Pour ce professeur, l’insulte est un moyen d’expression, un virus qui lui a été « transmis par son aîné, qui avait l’habitude de sortir des grossièretés lorsqu’il voyait une belle créature féminine ».
Le milieu politique également n’est pas épargné par cette déferlante insolente. C’est dans la majeure partie des cas l’œuvre de gros bras et de la gent féminine qui sont souvent manipulés pour faire cette sale besogne. La plupart des formations politiques se livrent à cette pratique, parfois même au sein de l’hémicycle. Des députés se lancent parfois des propos de caniveaux à l’occasion du vote de certaines lois. C’était le cas lors de la procédure de destitution de l’ancien président de l’assemblée de nationale, Macky sall. Le même scénario avait été noté lors de la mise en accusation de l’ancien Premier ministre, Idrissa Seck.
Cette même situation était vécue pendant le règne du régime socialiste, notamment à l’occasion de la vente des cartes ou de la mise sur pied des coordinations et sections.
Les injures s’invitaient souvent dans les débats, une démarche qui selon un des vétérans de la politique dans le département de Rufisque « faisait partie d’une stratégie de harcèlement de l’adversaire afin de profiter des confusions pour baiser les processus ». Parfois, dit-il, cela tournait au vinaigre, les injures provoquaient souvent des disputes qui finissaient au tribunal. Toutefois, nous dit le vieux qui préfère garder l’anonymat, les injures aujourd’hui, c’est le moindre mal eu égard à la charge de violence qui existe de nos jours dans la société sénégalaise où l’usage des armes blanches est devenu un fait banal.
Pour un autre homme politique, en l’occurrence Ousmane Badiane de la Ligue Démocratique (Ld), les injures n’ont pas leur place dans le milieu politique. De l’avis du vice-président du conseil régional de Dakar, « l’arène politique doit être régi par un débat d’idées et un échange d’arguments contradictoires. Mais lorsque les injures, invectives et parfois même des bassesses s’invitent dans le débat, cela devient inacceptable. »
Dans sa conception, la politique ce n’est rien d’autre qu’une ambition, un projet pour la société. En effet, dit Ousmane Badiane, « c’est une proposition qui repose sur une charpente argumentée ». Le désaccord politique est dans l’ordre normal des choses, mais on ne doit pas arriver à des obscénités, des injures et autres propos qui heurtent la morale, reconnait notre interlocuteur.
Le camarade de Abdoulaye Bathily d’ajouter « l’homme politique doit être un éducateur de la jeunesse et de la population en général, dans le sens de l’éthique et du respect des valeurs républicaines. C’est pourquoi, _il faut privilégier le débat d’idées. »
Pour d’autres acteurs politique, le phénomène existe « mais, c’est un argument des faibles », une façon de faire de la politique spectacle, pour attirer l’attention sur sa personne et se mettre en vedette, en érigeant ces basses pratiques en méthodes d’action. « c’est entrer dans la politique par la mauvaise porte et le plus souvent l’œuvre de personnes qui n’ont pas d’idéal politique et sont justes mues par des intérêts individuels », assène Ousmane Badiane
En dehors de la charge négative, violente qu’elle charrie et de la condamnation morale, l’insulte heurte la conscience. Selon les religions révélées, l’insulte est un péché qui est logé dans la catégorie des grands péchés. L’islam la condamne fermement, et la proscrit à tout point de vue.De l’avis de Oustaz Alioune Sall de Sud Fm, c’est une œuvre d’impies, car le prophète Mohamed (psl) dit clairement dans un hadith authentique : «l’insulte est une pratique de voyou, la bataille une affaire d’impies. Le pire des péchés est d’insulter ses deux parents. Or, celui qui insulte les parents d’autrui provoque souvent une réplique et fait insulter ses propres parents. A partir de ce moment, c’est lui-même qui les a insultés. Alors, il s’expose à la sanction de la religion… ».
Ce point de vue est également celui de la religion chrétienne qui l’interdit eu égard à la considération qui est celle de l’humain dans la bible. La religion chrétienne nous dit ce frère rencontré à la paroisse Saint Dominique en face de l’université Cheikh Anta Diop, prône le respect et l’amour de son prochain et bannit toute forme de violence. Or, l’injure contient, dit-il, une charge violente qui blesse son destinataire et heurte la conscience morale.
Mais aujourd’hui, c’est un phénomène qui est devenu courant qui nous invite à réfléchir davantage sur les fondements moraux de notre société et à revoir l’éducation.
sudonline.sn
LES INJURES TRADUISENT LES FRUSTATIONS DES GENS .
QUAND ON MANQUE DE TOUT ON EST VITE AIGRI ET PEU COMMODE .
SURTOUT QUE L’injustice ne se cache plus au Senegal, c’est la raison
du plus Fort qui est devenu la Meilleure au Senegal de Maitre Wade