– Puisque l’expert d’Idrissa Seck, le professeur de droit public Guy Carcassonne, ne nous apprend pas ce que nous ne savions pas déjà, nous n’aurions rien rétorqué à son client si notre pays et son avenir n’étaient pas en jeu. M. Carcassonne ne nous apprend vraiment rien. Mais la publication par la presse de la lettre de M. Seck, sommant le président Wade d’accepter l’inconstitutionnalité de sa candidature à l’élection présidentielle de 2012 à la lumière de la sentence redondante du consultant français, en dit long sur la personnalité du maire de Thiès.
Personne ne nous aurait accusés d’acharnement si nous consacrions la totalité de notre tribune au « complexe du colonisé ». [xalimasn.com] Mais le brillant chroniqueur du lundi, le journaliste Alioune Ndiaye, a déjà planché avec brio sur le sujet dans les colonnes de L’Observateur. Aussi ferions-nous l’économie de la répétition pour nous arrêter sur la chose plus choquante encore dans la démarche d’Idrissa Seck. A ses yeux, il n’est pas prudent de gager une action politique sur une expertise locale tant que celle-ci n’est pas étayée dans son esprit et sa lettre par une évaluation extérieure – française dans le cas d’espèce – toujours plus digne de confiance.
Nous ne connaissons pas pire insulte à ceux qui, par la clarté de leur exposé, nous édifièrent plusieurs semaines auparavant sur le vrai statut constitutionnel du président Abdoulaye Wade. Nous ne voyons pas comment l’injure peut échapper aux constitutionnalistes bien de chez nous cités dans la missive du manœuvrier pour meubler le décor. [xalimasn.com] Il nous paraît claire que celui qui crie à tue-tête qu’il est déjà investi de la fonction de quatrième président du Sénégal n’écoutera aucun des siens – expert reconnu ou simple analyste – dès lors qu’il est possible de faire appel à des connaisseurs à la peau blanche et au nez aquilin. Comme du temps (immémorial) où l’esclave choisissait son maître.
Mais de quoi Idrissa Seck a peur quand il supplie Abdoulaye Wade de s’aménager une porte honorable de sortie en se souvenant de l’élégance de Mandela ? Maintenant qu’il est convaincu de l’irrecevabilité de la candidature d’Abdoulaye Wade en 2012, il ne lui reste plus qu’à déclarer sa propre candidature et à se mettre au travail pour s’assurer la majorité grâce à laquelle on acquiert la légitimité de gouverner. S’il ne le faisait pas, il nous persuaderait encore une fois de son penchant pathologique pour la manœuvre dans un contexte où la conquête du pouvoir doit s’accompagner de la réappropriation collective de notre souveraineté. Wade n’est pas Mandela !
En pensant que Wade pouvait ne hisser au niveau de Nelson Mandela, Idrissa Seck prend l’ancien président sud-africain pour un « opposant historique ». Abdoulaye Wade, Laurent Gbagbo et Alpha Condé sont tous des opposants historiques plus sûrs d’eux-mêmes que de toutes les énergies fédérées des contrées dont ils ont longtemps rêvé du contrôle sans partage. Leur emprise sur le réel attise les divisions et mène à la guerre civile. Idrissa Seck ne voudrait pas être à leur place s’il savait distinguer l’opposant historique du combattant de la liberté qu’est Nelson Mandela.
A la différence de l’opposant historique, le combattant de la liberté contribue au renversement d’un ordre injuste auquel il substitue un ordre sur lequel n’importe qui d’autre peut gager un universalisme à la dimension de celui dont la France révolutionnaire se targua en août 1789.
Cela dit, le choix de M. Carcassonne par le maire de Thiès comporte au moins un avantage. Interrogé sur France 5, par le journaliste Yves Calvi, sur la probable conséquence politique du malaise de Nicolas Sarkozy, lors d’une séance de jogging, Guy Carcassonne soutint que la nouvelle du malaise de M. Sarkozy en était une de bonne. La seule raison invoquée par le professeur de droit public nous parut croustillante. En ayant une claire conscience de ses limites physiques, Nicolas Sarkozy pourrait bien être tenté de renoncer un jour à l’hyper présidence pour que la Ve République se remette enfin à marcher sur les pieds. Puisqu’il n’a confiance qu’à M. Carcassonne, Idrissa Seck devrait retenir de lui sa critique sans complaisance de la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme.
Sa lettre ouverte au président Wade est, elle, pleine d’anomalies dans la forme comme dans le fond. Sans aucune exagération, les textes politiques de M. Seck servent assez souvent de modèles prohibés en théorie et pratique du discours politique aux étudiants en troisième année de communication de l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (ISSIC) de Dakar.
Idrissa Seck ferait mieux de se rapprocher de l’un d’eux pour corriger au moins sa manière (peu recommandée) de s’inscrire lui-même dans l’énonciation de ses propres discours.
Abdoul Aziz DIOP Politologue