La période 2000-2012 de la gestion de l’école et, plus largement, du service public, a été caractérisée de manière générale par beaucoup de libertés prises avec les normes connues et pratiquées dans notre enseignement des lycées et collèges, jusqu’au début de notre première Alternance et du pouvoir de douze ans qu’elle a établi. Qu’il s’agisse du recrutement des enseignants ou des décisions d’octroi de logements à des fonctionnaires, les libertés prises dans des pratiques nouvelles ont été bien grandes. Les urgences ont été sans doute parmi les causes de ces écarts qui, aujourd’hui, posent des problèmes graves à la volonté d’une gestion consacrant le retour résolu aux normes, se voulant fondée sur les principes et l’égal traitement de tous les fonctionnaires dans la justice et l’équité.
Le domaine de l’éducation et de la formation a été caractérisé, depuis le début de l’indépendance, par la volonté de rebâtir l’école, de trouver la voie d’une gestion performante de ce secteur dont les urgences se multipliaient, en raison surtout du croît démographique qui faisait tambouriner aux portes des établissements d’enseignement et de formation, pour y entrer comme de droit, des cohortes de plus en plus nombreuses de candidats aux études élémentaires d’abord, puis moyennes et secondaires. Le fait générait, en conséquence, d’énormes besoins de ce qui fait l’école : les maîtres de toutes les catégories et de tous les niveaux, à former dans l’urgence et en grand nombre, les salles de classe à construire et à équiper, les manuels à concevoir et à réaliser dans un esprit de décolonisation, les enseignements à assurer avec autant de régularité que possible, dans un contexte de droit syndical assumé par des organisations syndicales à l’action intelligente et efficace.
Les enseignants des débuts de l’indépendance firent preuve de beaucoup de réflexions et d’actions concertées pour la qualité du système éducatif, son efficacité face aux divers problèmes que pose la croissance des effectifs. C’était l’époque héroïque de la fonction enseignante, comme à l’époque coloniale pour le premier degré. Les organisations syndicales impulsaient et encadraient ce travail d’hommes et de femmes de vocation qui faisaient plus que leur devoir. Il se donnaient pour réaliser la qualité du système éducatif qui devait former les cadres dynamiques, travailleurs et imaginatifs dans le contexte de problèmes à résoudre bien divers dont le moindre n’était pas l’africanisation des programmes, ni le maintien de la qualité de l’enseignement et de la formation, alors que se massifiaient progressivement les effectifs des apprenants.
Aujourd’hui l’on est très loin de cette situation de dynamisme positif d’hommes et de femmes de vocation, ayant l’esprit de sacrifice, pratiquant la recherche et l’action au profit de l’école et des enseignants. La modernité se fait moins généreuse dans l’exercice de la fonction enseignante et l’action syndicale des enseignants. Une des raisons est que l’autorité a introduit ou laissé se glisser l’argent dans le système éducatif. Or si l’on veut être riche, on ne choisit pas la fonction enseignante. Un exemple de la destruction de la pédagogie dans le travail hebdomadaire des professeurs des lycées et collèges est la proposition qui leur a été faite et qu’ils ont acceptée, depuis longtemps déjà, l’argent ayant été l’appât, d’augmenter le crédit horaire obligatoire se traduisant par une obligation de vingt-une à vingt-quatre heures par semaine, la norme ayant été jusque-là de dix-huit heures ou de vingt-deux heures selon la catégorie d’enseignants.
Il fut ainsi créé une situation de réduction grave du temps que ces professeurs consacraient, avant cette bévue, à corriger des copies et à préparer leurs cours, soumettant leurs élèves à un rythme de travail qui avait pour résultat l’importance et la qualité des acquis d’études et de formation. Il s’ajoute, à cette réduction structurelle du temps de travail du professeur hors des classes, la pratique que l’Inspection générale de l’éducation nationale(Igen), ou ce qui en tient lieu, devrait surveiller et contenir dans des dimensions raisonnables : dans les grands centres urbains surtout, la plupart des professeurs de l’école publique, plus précisément des lycées et collèges, effectuent des vacations dans les établissements privés. Comment peuvent-ils s’acquitter correctement de leur devoir avec le trépied que constituent l’horaire obligatoire, les vacations qui concurrencent cet horaire et le travail de préparation des cours qui justifie l’indemnité de recherche documentaire ? Il faut revenir aux normes des situations d’enseignement. Le recrutement, la rémunération, la formation pédagogique, l’horaire hebdomadaire aux dimensions pédagogiques étaient régis par l’observance de normes pour le bénéfice de la qualité de l’enseignement et la santé des professeurs et des élèves.
Revenir aux situations régulières
Mais avant d’en arriver là, au redressement qu’il faut, le chemin est bien long, en raison des pratiques qui ont mis le système éducatif dans les difficultés d’aujourd’hui. Le recrutement dans les situations d’urgence a ignoré longtemps ce qu’est une licence d’enseignement qui est distincte d’une licence de recherche. Par ailleurs, l’informatique a beau être une catégorie importante de savoir-faire, il faut débattre de sa place éventuelle dans une licence d’enseignement. Il faut d’abord corriger ce qui s’est fait à ce sujet et revenir aux normes de composition des savoirs qui établissent une licence d’enseignement ou son équivalent et qui permettent d’enseigner dans les lycées et collèges.
C’est une telle orientation du redressement des situations d’enseignement qui permettra de corriger les pratiques de recrutement de qualifications qu’on appelle «les titulaires de diplômes spéciaux». En réalité ce qui est spécial, c’est la situation que crée un recrutement, sans doute fondé sur l’urgence et la nécessité, mais qui ne tient pas compte de ce qu’est la composition d’une licence d’enseignement. Le titulaire d’une licence de sociologie qui enseigne la philosophie n’est pas dans une situation régulière de recrutement. Redresser les choses, c’est le mettre sur la voie de conquête d’une licence d’enseignement de philosophie. A l’Ecole normale supérieure (Ens) ou bien, selon sa dénomination actuelle, à la Faculté des sciences et techniques de l’éducation et de la formation (Fastef), l’on sait quels enseignements complémentaires il faut à cette fin. Mais de tels enseignements se donnent jusqu’ici en faculté de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad), au département de philosophie, pas encore à la Fastef, qui s’occupe de comment enseigner et non comment acquérir la qualification scientifique de base pour les différentes matières d’enseignement. Il est donc normal qu’il soit dit à des enseignants déjà si spécialement dans les classes, de s’inscrire en faculté. S’ils ne sont pas mis en position de stage à la Fastef les choses peuvent être bien difficiles pour eux, dans la situation de devoir donner des cours dans leur établissement d’affectation et de suivre des cours en faculté, souvent dans une localité éloignée de l’Ucad qui se trouve à Dakar.
Mais le nombre important des enseignants qui ont besoin de régulariser leur recrutement en matière de diplômes obtenus fait que régulariser leur situation en étant en position de stage fera nécessairement l’objet d’un programme pour épuiser ce stock qu’il n’est pas souhaitable de reconstituer. Dans l’exécution d’un tel programme, la justice veut que le plus anciennement recruté précède son cadet dans la fonction enseignante pour bénéficier de la régularisation.
Celle-ci doit être conçue comme un complément de formation générale, nécessitant une ou plusieurs Unités de valeur (Uv) pour constituer l’équivalent ou bien la composition normale d’une licence d’enseignement. La pratique de débrouillardise, qui certes règle chaque fois un problème d’occupation d’un poste d’enseignement et impose d’énormes efforts à l’enseignant sollicité pour un travail auquel il n’est pas préparé, crée et impose une situation de bouche-trou. L’enseignant y perd le temps de sa formation générale dans sa matière, y acquiert néanmoins une pratique pédagogique valable, mais les compétences d’un titulaire du Caem (Certificat d’aptitude à l’enseignement moyen) ou du Caes (Certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire) ne s’obtiennent pas par ancienneté. Le diplôme de base, qui garantit des connaissances indispensables, fait l’enseignant qui maîtrise des connaissances à transmettre. La pédagogie fait l’efficacité et la qualité de cette transmission de connaissances. Elle ne permet pas de faire l’économie d’une formation générale dans la discipline qui garantit la maîtrise de ce qu’on enseigne. L’on en était bien conscient, au début de L’Ecole normale supérieure (Ens), lorsque confronté au problème de besoins très importants en enseignants pour le premier cycle de l’enseignement secondaire, il fut créé des professeurs de Collège d’enseignement général (Ceg). Amadou Makhtar Mbow, ministre de l’Education nationale qui bénéficia, au titre du Sénégal, du programme africain de l’Unesco en matière de création d’écoles normales supérieures, fit recruter des instituteurs à mettre en formation à l’Ens pour devenir des professeurs de Ceg. L’enseignement qui leur était dispensé consolidait et enrichissait la formation initiale pour deux matières par élève-professeur : Lettres – Histoire et Géographie, Lettres – Anglais, Mathématiques – Sciences Naturelles, Mathématiques – Physique et Chimie. Cette bivalence des professeurs ainsi formés a considérablement servi dans une situation où les besoins en enseignants pour le premier cycle de l’enseignement secondaire étaient massifs, l’explosion de la demande en éducation étant considérable et les réponses d’urgence particulièrement difficiles à assurer
Epuiser le stock qui n’aurait pas dû être
La Fastef qui donne le savoir-faire pédagogique a assez à faire avec ce travail. La massification des effectifs dans notre système éducatif actuel concerne aussi, et de plus en plus, les enseignants en début de carrière, qui ont besoin de passer d’abord par la formation pédagogique aux situations de plus en plus complexes. Consolider la formation générale et donner les compétences pédagogiques constituent un programme annuel de travail dont il ne faut pas distraire la Fastef par des tâches spécifiques aux Facultés. Le nom de Fastef ajoute à la confusion des rôles à ce sujet. Il n’était pas indispensable d’appeler l’Ecole normale supérieure Faculté. La pédagogie a ses palmes et il faut que l’Ens, dénommée maintenant Faculté, s’en satisfasse.
La coopération des Facultés et de la Fastef aidera à épuiser le stock qui n’aurait jamais dû se constituer : celui qui est constitué de titulaires de diplômes dits spéciaux, qui enseignent dans une discipline à laquelle ils ne sont pas préparés par un acquis de formation générale dans cette même matière. Les Facultés et la Fastef doivent par conséquent réunir, matière par matière, à l’initiative du recteur de l’Ucad qui a reçu des instructions du, à la fois, ministre de l’Enseignement supérieur et celui de l’Education nationale, des commissions ad hoc pour proposer une solution devant vider le stock, à ne plus constituer, d’enseignants dits «titulaires de diplômes spéciaux» : licenciés de sociologie qui enseignent la philosophie, titulaires du Baccalauréat G ou d’une formation en informatique qui enseignent les mathématiques, etc.
Quant à ce qui est appelé enseignement religieux, il ne faut pas qu’il soit à l’origine d’un dérapage qui engage l’école publique, qui est laïque, dans des tâches qui sont de la compétence de ceux qui ont pour rôle d’assurer l’éducation religieuse et qui savent comment le faire. Il faut donner le même sens aux mêmes mots et distinguer un cours, fruit d’une recherche sur les religions, de l’enseignement de la théologie ou de l’éducation religieuse de base. Est-ce le cas quand on parle d’enseignement religieux, aujourd’hui chez nous où il est particulièrement nécessaire de concevoir cette discipline, éventuellement à la Fastef, dans la claire distinction de l’éducation religieuse et du discours laïc sur les religions ? L’enseignement religieux initie au regard laïc sur les religions, informe de manière objective sur les religions. Mais est-ce que ceux qui poussent à l’enseignement religieux le comprennent ainsi et veulent bien laisser l’éducation religieuse et la théologie aux religieux ?
En définitive, il s’agit aujourd’hui de faire les choses dans la clarté, le respect de compétences distinctes et la volonté commune de faire de notre système éducatif un instrument précieux par lequel la Nation se donne, dans l’efficacité et le travail bien pensé, les cadres qui feront son développement après le stade de l’émergence dont les bases sont en cours de réalisation actuellement. Les tâches à exécuter dans cette direction doivent être aussi celles d’un corps enseignant, d’un personnel administratif, technique et de service formés à cette fin. Il faut corriger les irrégularités de situation d’enseignement et ne plus constituer de stock de cette nature dans le système éducatif.
Madior DIOUF – Ancien ministre de l’Education
ce message est à conserver en archive pour les générations futures
SERIGNE, »GRAND MAÎTRE », SAIT LIRE ET CONSEILLER, DJEUREUDJEUF
Bravo professeur pour gratifier des fruits de votre belle réflexion. Espérons vivement des échos favorables pour sortir l’Education de la crise persistante. La jeunesse est l’avenir de notre belle nation.Elle mérite toute notre attention,merci