La douleur et même des sanglots étouffés ont rempli le cœur des écrivains du Sénégal qui se sont donné rendez-vous hier à leur siège. C’était leur point de départ pour se rendre à Thiès, la ville natale du défunt Pr Oumar Sankharé qui y a été inhumé vers 14 heures. Dans leurs rangs, l’émotion était grande, la tristesse aussi. Ils avaient tous les yeux remplis de sanglots pour avoir perdu un «grand homme», «un noble», «un compagnon». Malgré les pleurs étouffés, la douleur était perceptible, palpable même à la Maison des écrivains Keur Birago Diop. Tous ont pleuré «le double agrégé de Lettres, l’intellectuel, l’homme d’une humilité incommensurable et très sensible», dénonçant par la même occasion l’acharnement dont il a été l’objet.
Il est 9 heures à Keur Birago Diop, la Maison des écrivains du Sénégal. Un calme de deuil règne en ce lieu où les écrivains se sont donné rendez-vous pour un voyage douloureux. Tous se rendent à Thiès pour un ultime hommage à leur ami, frère et camarade le Pr Oumar Sankharé, arraché à leur affection avant-hier à Dakar. A cette heure matinale, hormis le vigile, seul le président de l’Association des écrivains du Sénégal, Alioune Badara Bèye, était présent sur les lieux. Il s’entretenait avec un agent du Théâtre national Daniel Sorano. Mais petit à petit et au fil des heures, les écrivains grossissent les rangs. Chaque arrivée est un moment d’émotion.
L’on pleure celui qui est «parti sur la pointe des pieds». «Le professeur est parti. Ah Sankharé est parti», pleure Yama Yamis Ndiaye, visiblement choquée par ce décès.
Elle était très attristée. L’émotion était devenue vive et incontrôlable avec l’arrivée d’autres collègues écrivains. La tristesse se lisait sur le visage de ces compagnons du disparu. Après de chaudes poignées de mains, des accolades, on s’installe en trouvant place vers la bibliothèque ou dans le salon. Dans les discussions, on se raconte la dernière fois qu’on a vu ou parlé avec Oumar Sankharé, les dernières paroles échangées avec lui. Dans ces échanges, beaucoup se culpabilisent ou dénoncent à faible voix l’acharnement dont leur collègue a été victime. «On sentait qu’il était vraiment malade ces derniers temps. Il était affecté par le tollé qu’a causé la publication de son livre Le Coran et la culture grecque. Il ne s’était jamais remis de cela», commente-t-on. Si pour certains, ce décès prématuré du professeur est dû à ce tollé autour de son dernier ouvrage, d’autres affirment que Oumar Sankharé souffrait beaucoup plus de la précarité dans laquelle il se trouvait, que de sa maladie. «Il était accablé par les autorités. L’université qu’il a servie pendant 35 ans ne lui a pas rendu l’ascenseur. Le traitement qu’il a reçu de la part des autorités universitaires et de certaines autorités, à un pas de sa retraite, lui a beaucoup fait du mal. Cela a beaucoup fragilisé son état de santé», commentent ses collègues écrivains. Ils renseignent surtout qu’«il a été accablé par des gens de ce pays, de cette université à qui il a pourtant tout donné».
La mauvaise passe «Le Pr Oumar Sankharé a été le seul Sénégalais après Senghor à avoir une agrégation en grammaire. Mieux, il a eu un record jamais égalé, dépassant son maître Léopold Sédar Senghor. Il a eu une double agrégation : en Grammaire et en Lettes classiques », a témoigné le président de l’Association des écrivains du Sénégal, Alioune Badara Bèye. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres écrivains présents, «le pays ne lui a pas renvoyé l’ascenseur ». «On l’a sommé de quitter la maison qu’il occupait alors qu’il n’est pas encore parti à la retraite. Ce qui l’a beaucoup affecté. Ce n’est pas normal, car on a vu des gens occuper ces maisons six mois après leur départ à la retraite», commentent ces proches qui estiment que si le défunt était choqué par ce départ inattendu de sa maison de fonction, ce n’était pas parce qu’il n’avait pas de bien immobilier. «Le défunt avait sa propre maison à Golf, mais celle ci serait occupée par des membres de sa famille qui ne pouvaient, eux aussi, quitter dare-dare», renseigne-t-on.
Passage éclair de Mbagnick Ndiaye Pendant que l’on devise encore sur les raisons de cette mort brutale du Pr Sankharé, un invité et pas des moindres débarque. Le ministre de la Culture et de communication himself est arrivé à Keur Birago Diop pour présenter les condoléances au nom du président de la République, du gouvernement et en son nom propre. Mbagnick Ndiaye qui ne pouvait se rendre à Thiès à cause, dit-il, de ses charges a tout de même tenu à rencontrer la délégation des écrivains en partance pour la capitale du rail. Il a soutenu que la mort du Pr Sankharé est «une grande perte pour toute la Nation sénégalaise, le monde littéraire, l’université, les enseignants et les artistes». «Il y a une quinzaine de jours, il m’encourageait, me félicitait et m’a dit qu’il me suivait…
Transmettez nos condoléances à sa famille et que la terre lui soit légère », a affirmé le ministre de la Culture et de la communication. Ce dernier a dépêché certains de ses collaborateurs pour le représenter à la cérémonie d’inhumation.
Le Quotidien