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Le raciste Béranger-Ferraud continue d’encombrer Dakar

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Le Sénégal indépendant a cinquante ans et cinquante mille problèmes. En premier, sa relation avec la France, l’ancienne puissance coloniale. L’actualité le démontre à suffisance. Mais l’histoire reflète aussi un contentieux qui a du mal à disparaître. Même des mémoires. De par leurs thèses et leurs actes singuliers, des hommes ont incarné à eux seuls l’idéologie néfaste du colonialisme. Béranger-Ferraud en est un, alors qu’une rue de Dakar, la capitale sénégalaise, continue de porter son nom. Sans raison.
«A mesure que nous connaîtrons mieux ces nègres, nous pourrons plus sûrement et avec moins de chances d’erreurs que par le passé, exercer notre action sur ces pays qui appellent notre commerce, notre civilisation, en nous offrant en revanche des richesses incalculables», soutenait, en 1879, Béranger-Ferraud, dont le nom pèse lourd sur les plaques d’une rue du centre-ville de Dakar.
Au moment où les actes de foi (ou actions d’éclat) marquent une volonté large de nous réapproprier notre histoire, cet encombrement de la mémoire des Dakarois mérite d’être traité avec diligence par qui de droit. A notre avis, un droit de regard s’impose sur un pan essentiel du passé colonial de la France sur le sol sénégalais, particulièrement sur ce colonialiste à l’esprit réducteur et, par conséquent, aux thèses simplistes sur la société sénégalaise d’antan. Il paraît qu’il fût médecin…
Dès ses premiers jours en terre coloniale du Sénégal, Béranger-Ferraud s’est hasardé à inventer des clés de répartition des ethnies, à leur différenciation et insidieusement, à une certaine hiérarchie sur une échelle de valeurs purement européenne. Dans son ouvrage-clé Sénégal, les ethnies et la Nation (page 176), l’éminent chercheur Makhtar Diouf commente les premières constatations de l’aventurier de la France coloniale : «Et c’est ce qui l’autorise, après une semaine passée à Dakar, à déclarer qu’il arrive sans peine à reconnaître le Soninké du Bambara : une aventure à laquelle ne se risquerait aucun Sénégalais, même appartenant à l’une ou l’autre de ces deux ethnies.»
Si l’on se fie aux écrits de Diouf, les futurs dérapages de Béranger-Ferraud sont plus enfoncés que ceux de ses débuts en raciologie appliquée à la société sénégalaise. Les Wolofs et leur langue, de même que les Lébous, ne trouvent point de grâce auprès de l’ethnologue colonial, à cause de leur caractère manifestement hostile à la colonisation du pays. Une volonté de résistance qui leur a valu la haine du prototype du scientifique qui vend la science à la cause inhumaine. A ce niveau de dédain de ce groupe ethnolinguistique, rien ne différencie le docteur Béranger-Ferraud du général Pinaud, commandant supérieur des troupes de l’Afrique occidentale française, lequel impérialiste s’essayer à son tour à l’ethnologie sommaire du Wolof-Lébou.
Sur ce terrain glissant, il n’y avait pas que ces deux colonialistes et il n’y avait pas non plus que les Wolofs à tailler en pièces pour réussir une monographie du peuple sénégalais. Dans la même veine de Béranger-Ferraud, le docteur Lasnet, un autre médecin, trouve pourtant des vertus aux Wolofs, aux Joolas et quelque peu aux Soninkés. Mais ses fleurs sont sans commune mesure avec les piques qu’il a lancées aux Maures, aux Toucouleurs, aux Peulhs et aux Sérères.
Ainsi s’incruste insidieusement l’ambition impérialiste d’assouvir de sinistres intérêts par la fameuse logique du diviser pour mieux régner en maître absolu et couru. Une fois de plus, au-delà de ses funestes envies mercantiles de scientifiques de la coloniale, ces faits culturels établis montrent la part d’ombre du colonialisme français et de ses hérauts au Sénégal. Cependant, la sagesse des ethnologues «incolores» peut, aujourd’hui, rendre à la raciologie l’éclat que lui ont privé des colonialistes comme Béranger-Ferraud.
Pour leur part, les «chefs nègres» contemporains sont appelés à prendre leurs responsabilités devant l’Histoire, en procédant prestement et sous l’éclairage des chercheurs blancs ou noirs, à la rectification des quiproquos de l’histoire coloniale. Le contexte s’y prête. Un regain de patriotisme émerge de la célébration des cinquante ans d’Indépendance du Sénégal. Cette tendance augure d’une certaine «nationalisation» de l’histoire du pays afin de permettre à ses fils de se faire une fière idée de ce qu’ils sont réellement, de qui veulent-ils ressembler en termes de valeurs et enfin de prendre leur destin en main. Sans tutelle ni parrain !
A la faveur du «vent d’avril» et à la suite du président de la République du Sénégal, Me Abdoulaye Wade, l’actuel maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, et le Conseil municipal qu’il préside ont posé les jalons d’une réappropriation du Sénégal, en donnant à des places fortes de la mémoire collective les noms de deux grands hommes pleins de dignité et d’humanisme, en l’occurrence les regrettés Président Mamadou Dia* et Me Valdiodio Ndiaye. La liste des grands seigneurs n’est pas exhaustive en vue de donner leur nom ou leurs combats pour l’émancipation à des endroits emblématiques du territoire national. D’autres Sénégalais ou des Toubabs (il n’en manque certainement pas) ont servi le Sénégal sans mépriser son peuple et ils méritent des plaques à leur nom sur des façades de Dakar, tandis que les vestiges de Béranger-Ferraud et compagnie de la coloniale sont bons pour la poubelle de l’histoire. Tant, ces colonialistes ont spolié la science, l’humanisme et les Sénégalais en prime.

Serigne BOYE

*Sur le prochain baptême du Boulevard Mamadou Dia, le défunt patriarche est digne d’en être le parrain. Mais, le Conseil municipal de Dakar aurait dû lui trouver un ailleurs tout aussi prestigieux car à notre avis de citoyen, la République, ses illustrations, ses symboles et ses institutions constituent un héritage inaliénable d’un peuple libre, surtout en ce moment trouble de l’histoire politique du Sénégal.

lequotidien.sn

1 COMMENTAIRE

  1. je suis 1er aujourd’hui et je comprends pourquoi : on traite rarement sur les sites d’info sénégalais de sujets sociétaux ou historiques aussi essentiels pour notre identité mais surtout prépondérant dans la quête de nous approprier notre propre histoire. il ne s’agit nullement de réglement de compte mais il faudra bien un jour parler de cela ; même dans les coins les plus reculés du sénégal on trouve facilement une rue  » LOUIS DE FRANCE » . Et nos sages et vaillants ancêtres?

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