L’Etat du Sénégal trimballe ses trois points dans le classement de l’Enquête sur le budget ouvert (Ebo) publiée il y a quelques jours. Il caracole derrière des pays comme le Mali, le Liberia, le Malawi, le Congo démocratique ou la Tanzanie, pour ne citer ceux-là. Notre pays est reproché de ne pas prendre l’habitude d’organiser des débats budgétaires ouverts lors desquels le public peut apporter son témoignage. De même, la surveillance budgétaire assurée par l’ISC (l’Institution supérieure de contrôle, équivalent de l’inspection générale d’Etat) du Sénégal est faible pour les raisons suivantes : Elle ne dispose pas de ressources suffisantes pour exercer utilement son mandat, ne diffuse pas de Rapport d’audit au moment opportun sur les dépenses définitives des départements nationaux. Elle ne dispose pas également de canaux de communication adéquats avec le public. L’examen des Rapports d’audit par le pouvoir législatif est limité et n’effectue pas de « reporting » adéquat sur les mesures de suivi prises par le pouvoir exécutif pour répondre aux recommandations de mesures correctives de l’audit. En clair, l’enquête internationale démontre que les citoyens sénégalais n’ont pas assez d’informations pour contrôler le processus des dépenses du budget national. Ils sont restés dans l’ignorance totale.
Les indices qui rabaissent le Sénégal
La gestion des deniers publics au Sénégal est devenue une nébuleuse ces dernières années avec, notamment, un manque total de transparence des dépenses publiques et de toutes les transactions qui impliquent l’Etat. Les parlementaires disposent d’une faible marge de manœuvre du budget. Au niveau de la préparation de la loi de finances, les parlementaires ne sont aucunement associés. Il y a point de débat d’orientation budgétaire comme cela se fait au niveau des collectivités locales. L’administration centrale et ses instances déconcertées, qui sont les principaux artisans du projet de budget, sont souvent laissées en rade. Ce qui constitue une aberration dans la mesure où « les parlementaires sont les élus du peuple ». Pendant le vote du budget, le pouvoir d’amendement des parlementaires est restrictif. La plupart des décisions échappent au contrôle parlementaire. Alors que, selon l’article 42 modifié de la loi organique relative aux lois de finances, « aucun amendement à un projet de loi de finances ne peut être proposé par le parlement sauf s’il tend à supprimer ou à rendre effectif une dépense à créer ou à accroitre une recette ». L’exemple le plus récent reste la construction du monument de la renaissance africaine où des terres ont été cédées et mises en valeur avec l’argent du contribuable sans que le parlement ne soit associé. La patrimonialisation de l’Etat se manifeste ainsi par une hypertrophie du pouvoir exécutif qui tend vers un individualisme se caractérisant par l’exécution des politiques publiques au niveau de l’espace présidentiel. Alors que, selon la Constitution du Sénégal, « le président de la République définit la politique de la Nation ». En conséquence, indique Birahim Seck du forum civil, « la présidence de la République qui devait être un espace de définition des politiques publiques et de stratégies de développement est devenu un espace d’exécution des politiques publiques ».
Le rapport de présentation du décret qui a modifié le code des marchés extirpe tous les marchés passés dans l’espace présidentiel du champ de la concurrence, du contrôle et de la régulation. Question : le décret parle-t-il de l’espace juridique ou de l’espace géographique ? Le gouvernement n’a jamais répondu à cette question. Tout compte fait, s’il s’agit de l’espace juridique, le constat est que la présidence de la République gère actuellement 43 agences dont le budget cumulé est estimé à près de 240 milliards. La totalité de ces agences qui sont logées à la présidence de la République échappent à la concurrence, au contrôle de la réglementation sur les marchés publics et leurs marchés peuvent être passés sous le saut du secret du fait du décret intervenu le mois dernier pour brider le domaine d’intervention de l’Armp (Autorité de Régulation des Marchés Publics) qui, par coïncidence troublante, avait vu son installation différée de 2006 à 2008 jusqu’après la fin des chantiers de l’Anoci. Et l’« agenciation » continue alors de plus belle et crée des structures qui viennent dupliquer celles de l’administration. Les crédits de fonctionnement des 43 agences répertoriées par la Loi de Finances 2011 vont engloutir ce pactole. Pas moins de 200 Milliards de Francs Cfa sont au bénéfice des seules Apix et Ageroute. Et sans explication qui puisse convaincre l’opinion pour la simple raison que les moyens de contrôle et d’information au public font donc défaut.
Pour preuve, un traitement diligent des conclusions de l’audit de l’Anoci dont la gestion n’a pas été un modèle de transparence et d’efficacité reste une priorité pour le public sénégalais. Ce que déplore l’Enquête sur le budget ouvert du Sénégal. Il indique : « Le Sénégal publie un Rapport d’audit plus de 12 mois après la période couverte par le rapport et celui-ci a de graves lacunes. Des audits des fonds extrabudgétaires ne sont pas mis à la disposition du public et le rapport ne rend pas compte des actions prises par l’Exécutif pour répondre aux recommandations de l’audit ».
En plus, l’affaiblissement du pouvoir parlementaire est aggravé par le phénomène majoritaire. Hormis cette situation, certains documents pris comme indicateurs dans le rapport publié par l’Ong américaine International budget partnership (Ibp), ne peuvent prévaloir au Sénégal parce que n’y existant même pas. Par exemple, le budget citoyen qui est un bon document pour le public d’être édifié sur les dépenses du budget, n’existe pas au Sénégal. « La plupart des documents pris en termes d’indicateurs sont produits au Sénégal, mais non publiés », se désole Birahim Seck. La politique budgétaire du Sénégal reste à l’évidence marquée par le manque de transparence et le pilotage à vue ces dernières années.
Les preuves des errements
Les dépenses ordinaires quant à elles connaissent une évolution exponentielle. La Présidence de la République, l’antre de l’ogre budgétivore, avec un budget de 90 Milliards de Francs Cfa, dépense 1,750 Milliards de Francs Cfa par semaine de l’argent du contribuable soit 350 Millions de Francs Cfa par jour ouvrable. Et sans explication qui puisse convaincre l’opinion. Pourtant, le Sénégal a pourtant adopté 6 directives dont celle relative au code de transparence dans la gestion des finances publiques dans la zone Uemoa. « Ce code de transparence adopté en 1999 est un gage de transparence dans la gestion des finances publiques », explique Moussa Touré, ancien ministre des finances, ancien président de la commission de l’Uemoa. Il informe que dans le cadre de l’Uemoa, une mesure a été prise pour exiger que la loi de règlement permettant de savoir comment le budget a été exécuté, soit votée un an après l’année d’exécution du budget. Cela sert de document de base pour l’élaboration du budget de l’année suivante. Dès le mois de janvier, la loi de règlement doit être établie en tenant compte des décrets de virements de crédits non épuisés. Mais, tel que les choses se passent au Sénégal, Moussa Touré reste convaincu que « depuis quelques années, il n’y a plus de loi de règlement au Sénégal. Ce qui fait que l’exécution du budget n’est plus correcte ». Avec des recettes internes manifestement gonflées, passant de 1 544 Milliards de Francs CFA en 2010 à 1727 Milliards de Francs CFA, « le budget ainsi envisagé n’est adossé ni sur une amélioration notable de l’économie, ni sur une analyse économique rigoureuse et fiable », indique Serigne Mbaye Thiam du parti socialiste. Pour lui, le budget du Sénégal repose principalement sur une augmentation de l’endettement de notre pays qui, du reste, se reconstitue rapidement malgré l’annulation d’une partie notable il y a moins de cinq années.
Voilà qui explique le manque de transparence dans l’exécution du budget au Sénégal. Alors que même si un besoin subsiste en cours d’exécution, il y a le chapitre des dépenses communes dans le budget. Cependant, pour des besoins de transparence, il faut une évaluation, un arbitrage à faire de manière transparente pour qu’un décret soit pris. C’est d’ailleurs, l’absence de ce préalable que déplore l’Enquête sur le budget ouvert du Sénégal. Il indique : « Le Sénégal publie un Rapport d’audit plus de 12 mois après la période couverte par le rapport et celui-ci a de graves lacunes. Des audits des fonds extrabudgétaires ne sont pas mis à la disposition du public et le rapport ne rend pas compte des actions prises par l’Exécutif pour répondre aux recommandations de l’audit ». Alors que l’orthodoxie financière voudrait que la préparation tienne compte des résultats de l’exercice antérieur, de l’environnement national et international. Au vu et au su de tous !
Babou Birame FAYE
lagazette.sn