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Le Sénégal cherche un remède aux grossesses précoces

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L’éducation sexuelle a souvent disparu avec les cérémonies d’initiation. Résultat, le Sénégal ne parvient pas à enrayer la hausse des grossesses adolescentes. Reportage en Casamance.
Assiatou est digne. Il n’empêche: son regard trahit sa peine. Sourde et violente. «Je suis tombée enceinte en fin d’année de 4e, j’avais 16 ans», murmure d’une voix éraillée cette collégienne menue du village de Dabo (Haute-Casamance, sud du Sénégal). En apprenant la nouvelle, sa mère n’a rien dit mais a pleuré pendant deux longs jours. Ce n’est pas le déshonneur associé aux grossesses hors mariage qui a fait couler ses larmes: elle craignait que sa fille soit expulsée de l’école. Crainte apaisée grâce au décret présidentiel de 2009, qui autorise les futures mères à rester scolarisées jusqu’au «congé maternité», puis à reprendre les cours.

Lorsqu’elle est appliquée, cette mesure donne aux filles une chance de s’éduquer, se former, pour à terme participer au développement de la région rurale de Kolda. Une région essentiellement agricole qui compte parmi les plus pauvres du Sénégal, et où le phénomène des grossesses précoces est jugé inquiétant. Selon une étude de l’inspection académique datée de 2006, la ville de Kolda recensait à elle seule 111 cas et Vélingara 157. Difficile de savoir si les chiffres sont plus alarmants qu’ailleurs dans le pays. Toutefois, plusieurs principaux de collège annoncent près de dix grossesses par an.

Le tabou de l’éducation sexuelle

Le Collège d’enseignement moyen (CEM) de Dabo, lui, en a rapporté huit au cours de l’année scolaire 2009-2010. Deux concernaient des adolescentes mariées, mais la plupart ont été mises enceintes par leur petit ami. Bien moins acceptable socialement… Face au phénomène, le principal Oumar Aw a tout essayé. «Nous avons utilisé les campagnes de sensibilisation avec notre club EVF [éducation à la vie familiale, ndlr], le Fawe [Forum des éducatrices africaines, ndlr]… Mais ça continue», se désole l’émotif père de famille, avant de saluer le prêche bénéfique d’un imam, en mars 2009.

Où le bât blesse-t-il? «L’éducation sexuelle est taboue chez nous, commente Dieynaba Diallo, responsable du comité régional du programme Scolarisation des filles (Scofi). Peu de mères ont la force de caractère d’en parler à leur enfant. Elles n’en parlent que quand il y a des dégâts, quand elles constatent que leur fille est en état de grossesse. Mais pour la prévention, il n’y a rien! [Les parents] ont perdu leurs valeurs, nous sommes en perte de repères. On a abandonné tout ce que la société sénégalaise donnait de bon pour l’éducation des filles.» Sa fine silhouette ébène drapée dans un boubou bleu et marron, l’ancienne directrice d’école fait référence à l’initiation à la sexualité que les adolescentes recevaient à la période de l’excision.

Les filles «étaient mises à la disposition des vieilles personnes et de tantes chargées de leur prodiguer des conseils contre les grossesses précoces puisque, pour nous, c’était être la risée de la population», explique Dieynaba Diallo, en condamnant fermement les mutilations génitales féminines (MGF).

«Quand on parle de l’excision, il y a un côté négatif: l’ablation du clitoris, renchérit avec fougue Taïbou Baldé, point focal du Fawe et chargée des grossesses précoces à l’inspection académique de Kolda. Mais l’initiation était très importante parce que c’est dans la case que l’on disait à la fille: « Dès 11 ou 12 ans, il y aura un âge où tu auras tes menstrues, et il faudra éviter ceci ou cela ».»

Reconvertir les exciseuses

Dans la cour du collège de Saré Coly Sallé, assise sur un banc à l’ombre, Maeram Sabaly ne cache pas sa nostalgie. Avec l’interdiction en 1999 des MGF, toujours pratiquées illégalement, «ce cadre n’existe plus», se plaint la présidente de l’Association des mères d’élèves. «J’ai un grand regret car je constate que les filles sont laissées à elles-mêmes et que, même quand tu veux prendre des initiatives dans leur éducation, elles se révoltent et parfois se suicident pour un rien.» Une analyse qui rejoint un peu celle de Dieynaba Diallo.

«Aujourd’hui, ma fille, c’est ma fille à moi. Elle n’est plus la fille de la concession ou du village. Avant, chacun pouvait donner des conseils, chacun pouvait battre, chacun pouvait interdire… Mais aujourd’hui, personne ne touche ou ne dit mot à l’enfant d’autrui. Sous peine qu’en cas de problème, il soit traduit devant la justice.»

Cette militante mène donc des séances de sensibilisation où elle suggère de revenir aux stratégies d’antan. Sont-elles vraiment efficaces? «Avant, quand il y avait des grossesses précoces, c’était une fois tous les vingt ans», plaide-t-elle. «Il faut valoriser ces formes de sensibilisation locales, ajoute Oumar Niang, chef du Projet d’amélioration de l’environnement scolaire de l’ONG Aide et Action. Surtout que l’accès aux NTIC [nouvelles technologies de l’information et de la communication, ndlr] a une incidence sur les mœurs: les jeunes banalisent l’acte sexuel, puisqu’ils en voient tous les jours à la télévision ou sur Internet. Ils ne remettent pas les choses dans leur contexte.»

Taïbou Baldé est également convaincue qu’il faut «valoriser» l’héritage des vieilles. «Voilà pourquoi je dis et redis qu’un projet de « marrainage » ou un autre projet similaire devrait permettre à nos exciseuses de se reconvertir pour offrir une éducation sexuelle à nos filles.» En attendant, si les parents peinent à prendre le relais, les enseignants ne sont pas toujours plus à l’aise. Alors parler pilule ou préservatif…

«Apprendre aux filles certaines méthodes de contraception, c’est les exposer à entrer dans la débauche», tranche Maeram Sabaly. Avant de conclure: «La seule arme de sensibilisation que nous avons, c’est notre parole.»

Habibou Bangré

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