Perpétuant une vieille tradition coloniale, le pouvoir s’est toujours inscrit dans une logique, jamais démentie d’instrumentalisation, du l’élite maraboutique pour asseoir sa domination et la conservation du pouvoir. Avant la prégnance des familles de marabouts dans le champ politique, c’est la chefferie traditionnelle qui faisait office d’intermédiaires et de courroie de transmission entre le pouvoir et la population. « Le pouvoir colonial a très tôt acquis l’idée que les sujets ne pouvaient qu’être dirigés par la médiation de chefs indigènes » indique Mamadou Diouf dans le livre collectif Trajectoire d’un Etat. Il cite le Gouverneur Van Vollenhoven qui dans une circulaire administrative de 1917 disait que « Le chef indigène n’est qu’un instrument, un auxiliaire de transmission ».
Le président de la république, Abdoulaye Wade en convoquant à Dakar les chefs de villages du Sénégal ressuscite cette tradition coloniale. Devant 2000 délégués qui représentent 17 385 villages venus répondre à son appel, il a promis de prendre une batterie de mesures visant à conférer des avantages aux chefs de villages. Parmi celles-ci, on peut noter l’instauration d’un statut du chef de village et un salaire mensuel qui varierait entre 50 000 et 70 000 Fcfa. « J’ai demandé au ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom de préparer un statut du chef de village. On va l’examiner et l’adopter formellement » a-t-il déclaré. Il ajoute « l’Etat va vous protéger contre des agressions verbales ou de quelques natures que ce soit. L’outrage à chef de village sera puni dans le Code pénal comme l’outrage à une personnalité de l’Etat ».
Il a aussi promis de leur distribuer des billets d’avions « autant que possible à ceux qui n’ont jamais effectué le pèlerinage » aux lieux saints de l’islam. Selon le chef de l’Etat, il vient de réparer une vielle « injustice » faite à ces chefs de village. Le chef de l’Etat en posant un tel acte, à 7 mois des élections, entend ainsi reprendre l’initiative – après le cinglant revers du 23 juin – en courtisant l’électoral rural. Que reste-il de ces logiques de chefferie traditionnelle ? En tout cas que l’administration coloniale avait jugé marginal ce type de pouvoir comparativement à celui des marabouts. Réalisant que les marabouts bénéficiaient d’une plus grande légitimité, le pouvoir colonial a substitué à la chefferie les marabouts. « L’érosion du caractère public des institutions administratives en milieu rural, la privatisation et la patrimonialisation des procédures provoquèrent un discrédit de la chefferie, aussi bien au niveau des administrés que de l’appareil colonial. » analyse M. Diouf. Le vote de la loi Lamine Guèye en 1946 qui étendait la citoyenneté à l’ensemble de la population sénégalaise « donna aux confréries, un rôle politique beaucoup plus large, aggravant du même coup l’équilibre instable de leur leadership » selon Diouf il ajoute « les rivalités à l’intérieur des confréries acquirent une plus grande signification avec l’extension de la citoyenneté, comme du reste les réseaux de solidarité ethnique ; ces éléments deviennent les seules balises de l’expression politique confondue avec les affirmations identitaires (religieuses ou ethniques), pourvoyeuses, non seulement des modalités d’obéissance au pouvoir mais aussi de la reconnaissance et délimitation d’un espace de déploiement de celui-ci »
Léopold Sédar Senghor ,Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont tous les trois utilisé, avec quelques variantes et en fonction du contexte, cette donne dans leur stratégie de conservation de leur pouvoir respectif. Imitateur invétéré de Senghor, le Président Abdoulaye Wade n’a jamais ménagé ses efforts pour obtenir le soutien des chefs religieux. Mais contrairement au président Abdoulaye Wade qui se réclame ouvertement de la confrérie mouride et qui réserve la plupart de ses déplacements à l’intérieur du pays à la cité religieuse de Touba, le président Abdou Diouf ne privilégiait pas une confrérie au détriment d’une autre. ». Momar Coumba Diop et Mamadou Diouf dans leur livre Le Sénégal sous Abdou Diouf (Karthala 1990) font ce constat. Ils disent : « les leaders des confréries sénégalaises ne semblaient pas s’opposer à l’Etat qui les associe d’ailleurs au partage des richesses. Il serait également faux d’affirmer que le partage est contrôlé par telle ou telle confrérie. L’Etat sénégalais n’a pas fait d’une confrérie son bastion exclusif. Il s’est plutôt associé tous les marabouts politiquement représentatifs du monde rural ».
Le président Senghor pour gagner le soutien du monde rural a recouru massivement à son réseau maraboutique. Ainsi les années 50 ont été marquées par un ancrage du Bloc démocratique sénégalais (Bds) qui s’est fortement appuyé sur les autorités religieuses. Sous le magistère du Président Abdou Diouf « la recherche d’une efficacité technocratique, la réduction des dépenses de légitimité et la capacité de l’État à jouer sur la dynamique de segmentation des familles islamiques dirigeantes les entraînent désormais, non au soutien, mais de plus en plus fréquemment, à l’intervention politique directe » explique l’historien. Il cite en exemple les « ndiggël [entre 1983 et 1988] à la constitution de mouvement pour la réélection du président sortant, en passant par la lutte de certains marabouts pour le contrôle des sections locales et surtout urbaines du Parti socialiste (par exemple le cas de Serigne Mamoune Niass à Kaolack). Pour le professeur Mamadou Diouf, ce sont là des indices qui « procèdent du travail d’assimilation réciproque entre deux “blocs” de l’élite de la coalition au pouvoir et l’acceptation progressive par les marabouts, non plus d’une position de relais et d’intermédiaires, mais de courtiers politiques. »
La laïcité sénégalaise s’accommode volontiers avec la collusion entre l’Etat et les confréries. L’introduction de la laïcité dans la constitution n’a presque pas de prise sur la réalité et les pratiques politiques de ces deux protagonistes. Dans ce sens Diouf fait remarquer que « le triomphe de l’orientation laïque a été interprété comme un échec des marabouts. » Il ajoute : « mais par leur pression, ils se présentaient comme acteurs incontournables du champ politique, précisant ainsi les limites de la construction étatique et prêts à établir des règles du jeu que les porteurs du mouvement nationaliste ne pouvaient que respecter et quelquefois renforcer à leur insu »
C’est ainsi qu’à deux ans du départ de Senghor les mourides se sont repositionnés sur l’échiquier national « en accentuant l’incertitude concernant le développement futur de leurs relations avec l’Etat ». Ainsi ils ont « fortement pesé dans un contexte social perturbé par les luttes organisées par la gauche intellectuelle regroupée au sein du Sudes ». Selon MM. Diop et Diouf « Ce « retrait » tactique a permis aux leaders de la confrérie mouride d’entretenir l’idée d’une opposition au gouvernement. Idée qui ne pouvait que séduire la jeunesse urbaine à la recherche d’un cadre de contestation sociale et politique du gouvernement, cadre que les partis d’opposition ne semblaient pas en mesure de lui offrir ». (P.80)
En maintenant cette dynamique les mourides, d’après les deux auteurs, ont bénéficié d’un capital de sympathie. Ces derniers écrivent dans ce sens « en donnant l’impression de se dégager des liens d’indépendance avec le gouvernement dont la majorité se trouve dans un état de pauvreté absolue (…) ». Ils poursuivent qu’ils ont mis en place « une organisation remarquable de leurs disciples urbains et un climat artificiellement entretenu d’opposition au gouvernement climat surdéterminé par la révolution iranienne qui a été un des éléments du débat politique sénégalais dans la mesure où certains partis d’opposition en ont fait un thème de propagande contre le gouvernement décidément soucieux de maintenir les chefs religieux dans le système du soutien mercenaire ». (P 81)
Considérés comme des grands électeurs par les différents présidents, les marabouts ont été sollicités pour renforcer l’assise du pouvoir en place. Mais l’émergence d’une conscience citoyenne devient de plus en plus une réalité incontournable comme en attestent l’alternance survenue en 2000 et la révolte populaire du 23 juin dernier. Cette nouvelle donne déjoue les calculs, les ruses et entreprises qui s’appuient essentiellement sur le soutien maraboutique.
Aliou NIANE lagazette.sn
Me Abdoulaye Wade n’a aucune notion de l’Etat et des institutions.Sinon commen comprendre qu’un chef d’Etat en exercice puisse se mettre à jenoux devant un marabout?C’est pas galant à la limite c’est décevant méme.Moi je ne vois pas,l’importance de ces marabouts pour le choix des sénégalais.Oubien c’est pour faire du cinémaà la face du monde.Aucun marabout ne pourra influencer le vote ça c’est dépasser et je me demande pourquoi Touba seulement alors que les mourites ne représentent que moins de 4% des musulmans ici au sénégal.Ndigueul ou pas,on attend les élections de 2012 rien et rien méme si dieu descendait sur terre,les sénégalais ne voteront jamais pour un vieillard de plus de 90 ans comme s’il était indispensable pour notre pays.