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« Le virus peut persister dans le sperme jusqu’à trois mois après la guérison, donc cela implique des rapports protégés »

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Alors que l’épidémie d’Ebola poursuit sa progression fulgurante en Afrique de l’Ouest, Médecins sans frontières a dénoncé « une sorte de coalition mondiale de l’inaction » et demandé davantage de ressources mardi 2 septembre. Dans un chat, Paul Benkimoun, journaliste au Monde en charge de la santé, estime que la réponse au virus relève d’une décision politique de la communauté internationale, et notamment des pays riches, « pour apporter une aide immédiate et financer les recherches sur des traitements et vaccins expérimentaux ».
Marianne : Quelles sont les mesures concrètes à prendre pour endiguer l’épidémie d’Ebola ?

Paul Benkimoun : Premièrement, identifier et traiter les malades, ce qui n’est pas toujours évident. On l’a vu avec des malades qui ne vont pas dans les structures de soins et restent dans leur famille.

Deuxièmement, identifier les personnes en contact avec les malades qui ont pu être contaminées et les surveiller pendant les vingt et un jours suivant le contact (soit le temps d’incubation de la maladie). Si elles n’ont pas de signe, c’est qu’elles n’ont pas été infectées. Dans le cas contraire, elles deviennent des malades à traiter.

Troisièmement, développer auprès des populations concernées l’information sur les mesures de prévention et de précaution pour ne pas être infecté.

Lire notre synthèse : L’épidémie d’Ebola en Afrique expliquée en cinq questions

Enfin, lorsque des médicaments et des vaccins seront disponibles – ce qui n’arrivera pas dans les semaines qui viennent–, ils permettront de compléter la réponse à l’épidémie.

Paul Tarrois : Que faire des malades identifiés ?

Il faut les isoler et les soigner. Les isoler pour éviter qu’ils ne contaminent d’autres personnes. Quant aux soins, ils reposent avant tout sur ce qu’on appelle des « soins de support », qui consistent à réhydrater les malades qui ont souvent eu des diarrhées importantes, leur apporter les sels minéraux et ions indispensables, leur fournir une oxygénation, maintenir leur pression artérielle et soigner d’éventuelles infections associées.

Sitôt que les traitements actuellement en cours d’expérimentation pourront être disponibles en quantité, ils viendront s’ajouter à ces soins de base.

Wetongona : Comment peut-on se protéger de l’épidémie ?

Par des mesures classiques : se laver fréquemment les mains, éviter le contact avec des fluides corporels, surtout si la personne présente des signes de la maladie (fièvre, vomissements, diarrhées, hémorragies), ne pas toucher des objets ou des personnes contaminés…

Passée la guérison, un patient ne risque plus de transmettre le virus – qui se transmet via les liquides biologiques (sang, urine, sueur, etc). Une précision toutefois : le virus peut persister dans le sperme jusqu’à trois mois après la guérison, donc cela implique des rapports protégés.

« LES SOLUTÉS OU LES MASQUES NE SUFFISENT PAS »

Visiteur : Pourquoi ne pas distribuer en masse des flacons de gel hydroalcoolique et des masques ? Dans les pays où l’eau propre est difficilement accessible, cela pourrait-il aider à limiter la contagion ?

Flo : Quelles sont les mesures mises en place par les gouvernements des pays touchés ?

Les moyens de prévention de l’infection par le virus Ebola sont connus. Les pays touchés les ont mis en place, mais il est notoire que cela n’est pas sans difficultés : problèmes matériels, manque de personnel soignant, réticences dans la population…

Là où il n’y a pas d’accès à l’eau, les solutés ou les masques sont utiles mais ne suffisent pas. Eviter tout contact avec une personne ou avec des objets infectés est au moins aussi efficace qu’utiliser un gel hydroalcoolique. Concernant les masques, il faut rappeler que la transmission du virus ne se fait pas par voie aérienne, comme dans le SRAS par exemple.

Jérôme : Comment restaurer la confiance des populations dans les structures de santé qui sont perçues comme des lieux d’infection ?

C’est l’une des questions les plus complexes auxquelles sont confrontées les autorités sanitaires, puisque la défiance peut être massive dans les régions très touchées.

Lire notre reportage aux confins de la Guinée, du Sierra Leone et du Liberia : Avec les damnés du virus Ebola

Cela suppose de mettre en avant ce qui a pu être accompli pour sauver des malades. Certaines personnes ayant guéri de la fièvre Ebola se sont d’ailleurs impliquées dans ce travail d’explication auprès des populations. C’est un travail de longue haleine, mais qui est indispensable. Il ne suffit pas de disposer de connaissances pour lutter contre l’épidémie, il faut aussi convaincre les populations du bien-fondé d’appliquer les mesures appropriées.

« RUMEURS ET DÉFIANCES »

Greg : D’où vient cette défiance ?

La défiance résulte de plusieurs facteurs. Les mesures sanitaires entrent en contradiction avec des pratiques traditionnelles comme les soins funéraires, qui sont assurés par la famille et les proches. Or, les malades, lorsqu’ils décèdent, sont hautement contagieux et leurs proches prennent alors de grands risques pour respecter les pratiques traditionnelles plutôt que d’appliquer les recommandations.

De plus, les rumeurs selon lesquelles des personnes qui allaient encore bien voient leur état s’aggraver lorsqu’elles sont dans une structure de soin et qu’elles y décèdent accentuent la défiance.

Le fait qu’une partie des soignants soit des humanitaires étrangers peut aussi susciter des réactions négatives, mais généralement, les équipes soignantes des ONG comprennent aussi des personnels locaux.

Iskander : Les récentes mutations du virus annoncées par la revue Science peuvent-elles annoncer un changement radical de la virulence et de la contamination par Ebola en Afrique ?

Il est trop tôt pour le savoir. Une mutation peut effectivement renforcer la virulence, mais ce n’est pas toujours le cas. Ce qui est certain, c’est que l’épidémie s’est aggravée, puisque 40 % du total des cas sont survenus au cours des trois dernières semaines. Cela peut être dû à beaucoup de facteurs et pas seulement à une mutation du virus.

John : Quelles sont les chances que l’épidémie devienne une pandémie mondiale ?

Le moteur de l’épidémie est actuellement la transmission entre individus. C’est comme cela qu’elle s’est propagée dans trois pays de l’Afrique de l’Ouest : Guinée, Liberia et Sierra Leone. Une épidémie distincte et indépendante existe actuellement en République démocratique du Congo, avec une autre souche virale.

A partir des trois premiers pays touchés, des cas ont été importés dans d’autres pays par des voyageurs. Cela a été le cas au Nigeria et récemment au Sénégal. Ces cas importés peuvent transmettre localement la maladie, mais s’ils sont repérés suffisamment tôt, il est possible de circonscrire ce point de départ et d’empêcher le développement de l’épidémie.

La qualité et les capacités des structures sanitaires locales sont déterminantes. C’est pour cela que l’inquiétude quant à la propagation de l’épidémie est forte pour des pays voisins de ceux déjà touchés, mais que le risque de développement de l’épidémie dans les pays développés est très faible.

« UN FAIBLE RISQUE DE PANDÉMIE »

François : Il n’est donc pas envisageable qu’une telle épidémie se produise dans un pays « développé » comme la France ?

Non. Il n’est pas exclu qu’un ou plusieurs cas soient « importés » en France ou en Europe, mais les capacités à les détecter, à isoler le malade et à retrouver les personnes en contact avec lui sont largement suffisantes dans les pays développés pour empêcher une propagation à grande échelle.

Paul Tarrois : Vos commentaires sont plutôt positifs et font penser que la maladie est moins grave que le sida ou le paludisme par exemple. Peut-on réellement endiguer cette épidémie ?

L’épidémie actuelle de fièvre Ebola est particulièrement grave : elle tue une personne infectée sur deux si l’on s’en tient aux cas recensés. L’OMS envisage qu’elle puisse causer jusqu’à 20 000 cas. C’est un bilan lourd mais moindre que celui du sida, qui tue plus d’un million et demi de personnes par an.

Lire : Virus Ebola : l’OMS prévoit 20 000 cas

Oui, il est possible d’endiguer cette épidémie si des moyens suffisants sont mis en œuvre. L’inquiétude exprimée notamment par MSF est qu’ils ne soient pas déployés. Si cela devait persister, effectivement, cette bataille-là serait perdue. L’épidémie qui touche trois pays jusque-là indemnes persisterait et les risques qu’elle s’étende à d’autres pays augmenteraient.

Emmanuel : Pourquoi cite-t-on le nombre de 20 000 cas ? Pourquoi pas plus ? Qu’est-ce qui stopperait la contagion à ce moment-là ?

Il s’agit d’une évaluation avancée par l’OMS du bilan total des victimes potentielles. D’autres scénarios ne sont pas à exclure. Des scientifiques interrogés par la revue Science envisagent qu’au rythme actuel, si rien ne vient ralentir l’épidémie, ce bilan risque d’atteindre plusieurs centaines de milliers de cas dans les mois à venir.

Toute épidémie de maladie infectieuse connaît une phase ascendante, un pic, puis une décroissance plus ou moins rapide. Si les mesures prises contre l’épidémie sont efficaces, la transmission diminue et le nombre de cas décroît. L’exemple du SRAS en 2002-2003 a suivi ce modèle, puisque le virus en cause ne s’est plus manifesté à ce jour. Dans le cas de l’épidémie de fièvre Ebola, rien ne permet encore de prédire avec certitude la dynamique de l’épidémie.

« ISOLER LES MALADES PLUTÔT QUE LES PAYS »

Brainsushi : Peut-on imaginer que d’autres pays d’Afrique de l’Ouest soient touchés, sans que l’information soit divulguée ?

Que des autorités puissent minimiser l’existence ou l’ampleur de l’épidémie sur leur territoire, c’est possible, nous l’avons vu au début de cette épidémie. Imaginer que l’information ne sorte pas du tout n’est pas réaliste.

Olla : Pourquoi ne pas avoir fermé les frontières et mis en quarantaine dès le mois de juin les premières personnes touchées par Ebola ?

L’Organisation mondiale de la santé a maintenu sa décision de ne pas demander la fermeture des frontières et l’interdiction des vols aériens, car ce n’est pas la mesure adéquate face à l’étape actuelle de l’épidémie.

Lire : Ebola : Air France suspend ses vols vers la Sierra Leone

L’isolement de pays, ou même de régions, possède des effets négatifs majeurs touchant l’approvisionnement alimentaire, la vie économique et sociale. Il est illusoire de penser que les frontières fermées soient étanches. L’isolement des malades, et non pas celui de populations dont une bonne partie est indemne, reste la base de la réponse à une épidémie de ce type.

Jean-Marc : Médecins sans frontières (MSF) reproche aux Etats occidentaux de ne rien faire. Mais que peuvent-ils faire, excepté envoyer de l’aide ?

C’est précisément ce que MSF leur reproche de ne pas faire à l’échelle souhaitable. Dans une déclaration faite mardi 2 septembre, MSF demandait aux « pays disposant de capacités de réponse à une catastrophe d’origine biologique, et notamment de ressources médicales civiles et militaires, de les envoyer en Afrique de l’Ouest ». Présente sur le terrain, MSF demande un « déploiement massif ».

« UNE DÉCISION POLITIQUE DES PAYS RICHES »

Cécile : Comment parvenir à mobiliser davantage les pays occidentaux dans la lutte contre Ebola ?

C’est ce que trois spécialistes des maladies infectieuses ont fait début août en appelant l’OMS à faire mettre à disposition des pays touchés des traitements expérimentaux. Une réunion d’experts de l’OMS se tiendra à ce sujet les 4 et 5 septembre.

La réponse de fond relève d’une décision politique de la communauté internationale, et notamment des pays riches, pour apporter une aide immédiate, financer les recherches sur des traitements et vaccins expérimentaux, et assurer leur mise à disposition gratuite pour les pays qui en auraient besoin.

L’entretien avec Peter Piot, codécouvreur du virus en 1976 : « C’est maintenant qu’il faut autoriser les traitements expérimentaux en Afrique »

Quentin : Où en est-on avec le traitement ZMapp ? Le sérum s’avère-t-il efficace ? Est-il systématisé pour traiter d’autres patients ?

Ce médicament est encore à un stade expérimental. Des tests chez des singes montrent une très bonne efficacité, mais les scientifiques ne savent pas encore si elle sera retrouvée chez des humains. Quelques individus, dont deux humanitaires américains, ont bénéficié du ZMapp. Le fait qu’ils aient guéri ne suffit pas à affirmer que cela est dû à ce médicament, puisqu’un peu moins de la moitié des personnes infectées par le virus Ebola ont survécu sans lui.

Lire nos explications : Le « ZMapp », un traitement contre Ebola expérimenté sur deux Américains infectés

Le fabricant du ZMapp n’avait que de très petites quantités. Il procède désormais à des tests pour évaluer sa sécurité et son efficacité avant de lancer une fabrication à grande échelle.

« PLUSIEURS CANDIDATS VACCINS À L’ÉTUDE »

Benelux : A-t-on plus de précisions sur ces traitements pilotes ? Y a-t-il un consortium médical qui explore ces pistes ?

Plusieurs sociétés de biotechnologies travaillent sur des médicaments contre le virus Ebola : la société Mapp Biopharmaceutical a développé le ZMapp, et deux autres compagnies, Teknira et Biocryst Pharmaceuticals, étudient d’autres molécules, un peu moins avancées en termes d’évaluation. Ces travaux sont menés avec des financements des Instituts nationaux de la santé américains (NIH) et des ministères américains de la défense et de la santé.

Lire (édition abonnés) : L’espoir d’un traitement contre Ebola conforté par de nouvelles études

Ces médicaments sont constitués d’un ou plusieurs anticorps monoclonaux, c’est-à-dire des molécules capables de se fixer spécifiquement sur le virus Ebola et de le neutraliser.

Des recherches sur les vaccins sont également financées par les autorités sanitaires canadiennes et britanniques, en plus des financements publics américains.

Florent : Quelles sont les avancées sur les vaccins ?

Pour ce qui est des vaccins, plusieurs candidats vaccins sont à l’étude. Un essai chez les volontaires sains (phase 1) pour évaluer la sécurité et la capacité du candidat vaccin à induire une réponse immunitaire doit démarrer ces jours-ci aux Etats-Unis et sera également mené au Royaume-Uni, en Gambie et au Mali. Il faut souligner que ces recherches menées avec des entreprises de biotechnologie sont essentiellement financées par des fonds publics américains.

La synthèse : Ebola : l’OMS autorise l’usage de traitements expérimentaux

Paul Tarrois : Les antiviraux utilisés pour certaines maladies, comme la grippe par exemple, peuvent-ils soigner Ebola ?

Cela n’est pas démontré à l’heure actuelle, et les molécules en cours d’expérimentation sont différentes de ces antiviraux.

Nico : Connaître le patient zéro (un enfant de 2 ans) a-t-il une réelle « utilité » dans l’élaboration d’un vaccin ?

Connaître le patient zéro, c’est connaître la manière dont l’épidémie a pu se propager en remontant à la source. Comment la première personne a été contaminée est une question importante de ce point de vue.

Elle n’est pas utile pour ce qui est de la mise au point d’un traitement ou d’un vaccin. En revanche, l’étude des personnes qui ont survécu au virus Ebola est décisive pour connaître les mécanismes immunitaires qui les ont protégées. Ces résultats serviront à la recherche d’un vaccin.

« PAS DE SÉQUELLES POUR CEUX QUI GUÉRISSENT »

Hassen : Existe-t-il des porteurs sains du virus ?

Il y a une différence entre le fait d’être infecté et de ne pas avoir encore de manifestation de la maladie, et le fait d’être un porteur sain, c’est-à-dire de vivre avec le virus sans signes cliniques. Dans le premier cas, la maladie apparaît (jusqu’à vingt et un jours après le contact). Actuellement, on n’a pas connaissance de personnes portant de manière durable le virus Ebola sans traduction clinique.

Nico : Une personne guérie de la fièvre Ebola garde-t-elle des « séquelles » (plus vite fatiguée, suivie à vie, etc..) ?

A priori, les personnes qui guérissent n’ont pas de séquelles. Il ne s’agit pas d’une infection qui va persister chez l’individu comme le paludisme ou l’infection par le VIH.

Mais il est évident que les conditions dans lesquelles vivent les personnes actuellement touchées sont loin d’être aussi satisfaisantes qu’elles le sont dans les pays développés. Par exemple, les pays actuellement touchés sont aussi gravement affectés par le paludisme et d’autres maladies.
lemonde.fr

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