La démocratie c’est comme à l’école ou les bons élèves travaillent toujours pour assurer leur passage en classe supérieure. Ainsi, dit-on, que la pratique de notre système démocratique n’est pas une œuvre achevée ou statique, elle ne doit pas se résumer seulement à la pluralité politique ou à la tenue régulière des élections. La population aspire donc à plus d’ouverture et de progrès, elle s’évertue à avoir un modèle démocratique enviable qui traduit l’évolution de sa maturité.
Ce n’est pas du hasard quand Montesquieu nous parle des vertus de la démocratie et théorise dans son ouvrage intitulé « L’esprit des lois », son célèbre concept révolutionnaire «le pouvoir arrête le pouvoir ».
Dans ces écrits, il nous raconte l’histoire de l’absolutisme qui était en vogue à l’époque et c’était un type de régime politique monarchique dans lequel le pouvoir restait sous l’autorité d’une seule personne qui gouvernait sans aucun contrôle. Face à cela, il fallait opérer une révolution et créer un équilibre avec l’instauration du principe de la séparation des pouvoirs.
La théorie de la séparation des pouvoirs consiste à identifier les prérogatives de l’Etat et à les attribuer à des organes différents répartis principalement dans trois fonctions. Chacune d’entre elle est distinctement exercée, indépendante les unes des autres, tant par le mode de désignation que par leur fonctionnement. Ces organes incarnent les pouvoirs suivants :
- Le pouvoir législatif exercé au nom du peuple, par une assemblée représentative, il consiste à élaborer, à discuter et à voter les lois.
- Le pouvoir exécutif détenu au nom du peuple, par un chef d’Etat et les membres de son gouvernement, il assure la fonction d’initiation et d’exécution des lois et de direction des affaires de pays.
- Le pouvoir judiciaire dévolu à la justice, il dispose le pouvoir de respecter et de faire respecter l’application des lois. Les décisions de justice sont rendues au nom du peuple.
Pour Montesquieu, la construction de son modèle de la théorie de séparation permet également à chacun des pouvoirs de disposer des moyens d’action les uns à l’égard des autres. C’est-à-dire, la faculté pour l’exécutif de dissoudre la chambre représentative du Parlement, la possibilité pour le législatif de renverser le Gouvernement, la soumission pour le judiciaire des magistrats du parquet à l’autorité hiérarchique du Gouvernement.
L’intérêt est que chacun des pouvoirs peut agir sur l’autre, les pouvoirs peuvent aussi aller de concert et s’arrêter mutuellement. Ce contrôle a au moins l’avantage de limiter l’arbitraire et d’empêcher les dérives dans l’exercice des missions souveraines.
La séparation des pouvoirs a deux caractéristiques :
1°/ Il y a la séparation rigide ou stricte des pouvoirs, elle exige l’application sans concession des attributions dévolues à chaque pouvoir et prône le respect de l’indépendance de chacun de ces pouvoirs à prendre ses propres initiatives et à les mettre en œuvre sans aucune influence. Cette option est généralement une source de tension, avec des conséquences comme la paralysie institutionnelle ou la dualité entre les différents pouvoirs. Ce fut alors le cas au Sénégal, avec la crise politique de décembre 1962 opposant le président du Conseil, Mamadou Dia, au président de la République, Léopold Sédar Senghor. Celle-ci marque l’échec de la première expérience d’un régime parlementaire (inspiré de la quatrième République française) et le début du régime présidentiel.
2°/ L’autre caractéristique c’est la séparation souple des pouvoirs, elle privilégie la collaboration entre les différents pouvoirs. Cette pratique est d’usage dans les régimes parlementaires ou le pouvoir exécutif est dissocié entre le chef du gouvernement et le roi ou la reine (monarchie) qui incarne la continuité de l’Etat sans participer à l’exercice du pouvoir. C’est le cas de l’Angleterre, de l’Espagne, de la Belgique …etc.
La cinquième République française fonctionne également sur le mode de séparation souple des pouvoirs ou le chef du gouvernement est politiquement responsable devant l’Assemblée nationale et il doit remettre sa démission s’il ne dispose plus la confiance des députés.
Entre la deuxième République ayant connu un conflit qui s’est soldé par un coup d’Etat et la cinquième République évoquée en haut, la France a fait énormément de progrès en matière de réformes. Elle a positionné dans sa Constitution certains principes de la séparation souple des pouvoirs et allé plus loin dans le renforcement des responsabilités du Premier ministre.
Par exemple, à la lecture des dispositions de l’article 20 de ce texte constitutionnel, on se rend compte que les conditions d’une cohabitation sont au moins assurées. Et là, il est clair que c’est le Premier ministre qui détermine et conduit la politique nation, non le Président de la République comme c’est le cas dans notre pays (voir art. 66 de la Constitution dernière version).
Que devrait-il se passer si le peuple sénégalais souverain impose la cohabitation ?
Des gens frileux considèrent la cohabitation comme improbable et évoquent les limites des textes de loi en vigueur. Cette attitude rappelle d’ailleurs l’esprit qui habitait certains français avant la première cohabitation en 1986.
La loi désigne toute règle générale et impersonnelle, résultant d’une volonté collective et dotée de la force contraignante. Le philosophe grecque, Théophraste, disait : « les lois doivent être faites, en vue de ce qui arrive le plus souvent. Les législateurs ne tiennent aucun compte de ce qui n’arrive qu’une fois ou deux ».
Et si, le peuple souverain décide au terme du prochain scrutin législatif de changer le type du régime présidentialiste et d’installer un régime parlementaire à travers une cohabitation. Alors, c’est simplement la Constitution qui va être modifiée pour créer les conditions de partage de responsabilités. Et cela, devrait pouvoir se faire sous le régime de la séparation souple des pouvoirs.
A mon avis, dans un tel cas les pouvoirs entre le président de la République et le premier ministre en cohabitation devront être organisés comme suit :
– Pour le président de la République, il nomme le premier ministre issu de la majorité parlementaire, préside les réunions du conseil des ministres, signe les ordonnances et les décrets, peut dissoudre l’Assemblée nationale, dispose le pouvoir de nommer les fonctionnaires civils et militaires en collaboration avec le premier ministre, dispose le pouvoir en matière de saisine et de nomination des membres du Conseil constitutionnel, doit être informer de la convocation et de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale…etc.
– Pour le premier ministre, le gouvernement détermine et conduit la politique de nation, il dispose l’administration et l’armée, nomme les membres du gouvernement, donne son avis sur la désignation des fonctionnaires civils et militaires ainsi que celle des membres du Conseil constitutionnels, préside les réunions du conseil interministériel, soumet des projets de loi au conseil des ministres puis à l’Assemblée nationale, il est enfin responsable devant l’Assemblée nationale..etc.
Toutefois, il faudrait reconnaitre que la cohabitation n’est pas forcément synonyme d’une dyarchie, elle est juste une coexistence d’un président de la République et d’une majorité politique qui lui est opposée à l’Assemblée nationale.
IL y a des exemples de cohabitations réussies à travers le monde, c’est le cas en France entre le président Jacques Chirac de la droite et le premier ministre Lionel Jospin de la gauche. Cette cohabitation n’a pas connu de crise ayant abouti à la dissolution de l’Assemblée nationale, elle a résisté pendant la durée de toute une législature, soit cinq ans de 1997-2002.
Les prémices d’une première cohabitation dans notre pays sont actuellement apparentes, elles sont favorisées par le découplage de la présidentielle et de la législative. Et cela, a donné aux citoyens sénégalais le temps d’apprécier la mal gouvernance des affaires du pays et la possibilité de pouvoir sanctionner l’actuel régime pour choisir une nouvelle majorité aux prochaines élections législatives.
Alioune Souaré
Ancien député – Rufisque
Au Sénégal s’il peut y avoir cohabitation ce sera une cohabitation entre une assemblée dont la majorité (qui ne fera que bloquer la marche normale de cette institution ) sera pas celle du PR. Même si ce dernier nommait un PM issu de la majorité, le nouveau chef du gouvernement ne sera qu’un exécutant du PR d’après la constitution. Au Sénégal comme dans beaucoup de pays africains, on parle de majorité présidentielle et non de majorité parlementaire. Qu’on m’explique comment avec le mode d’élection actuel des députées issus l’opposition peuvent être majoritaire à l’AN? Ce n’est pas possible ! Si les élections législatives étaient des élections majoritaires à deux tours. L’opposition pourrait faire du wër ndombo comme en 2012, lorsque l’opposition d’alors s’est unie contre Wade. D’ailleurs Modou Fada Diagne l’a dit cette semaine, le mode d’élection actuel est toujours favorable au parti ou à la coalition au pouvoir, hier comme aujourd’hui. Comment avec la transhumance chronique de nos politiciens, une majorité issue de l’opposition peut elle tenir deux ans? Les opposants sénégalais ne sont d’accord que dans l’opposition et même pour une liste commune (qui est une hérésie) ils ne tirent pas dans la même direction.