Subvenir aux besoins de leurs épouses en période du Magal de Touba reste un véritable casse-tête chinois pour les hommes de la sainte ville. Plusieurs d’entre eux étouffent de devoir débourser encore et encore pour satisfaire les caprices de leurs dulcinées. Ils se retrouvent souvent au bord du gouffre et ne savent plus par où crier leur désarroi.
Que c’est dur d’avoir une épouse à Touba ! Pour les hommes qui tirent le diable par la queue en ces temps de crise, cette difficulté prend des allures de martyr. Obligés qu’ils sont de sacrifier au Magal de Bamba, le passage par un autre Magal, cette fois-ci, plus contraignant semble inéluctable. A moins qu’ils ne veuillent s’attirer les foudres de ces secondes moitiés aux yeux si convaincants et aux joues si potelées. Incontestablement, le Magal de Touba est un événement de taille. Et toutes les femmes de cette ville religieuse du Sénégal veulent lui donner toute sa splendeur. Souvent au prix de dépouiller leurs maris qui éprouvent bien du mal à satisfaire leurs besoins. Le témoignage de Ndiaya, cette dame, sourire aux lèvres, trouvée au quartier Darou Khoudoss en plein cœur de Touba, donne une idée de cette corvée subie par les hommes : ‘Le Malgal dure cinq jours pour nous, c’est-à-dire trois jours avant et deux jours après l’événement. Durant ces cinq jours, nous devons au moins porter autant d’habits différents. Il y a les habits que l’on porte pour préparer les repas et ceux que l’on porte pour servir ces mets aux différents hôtes. Si on ajoute à cela les habits que nous mettons pour sortir, vous comprendrez aisément que c’est normal d’avoir une garde-robes bien remplie.’ Plusieurs d’entre elles raisonnent de la sorte. L’époux de Ndiaya fait partie de ceux qu’on appelle ici les ‘Modou Modou’, ce patronyme générique donné à ceux partis à l’émigration. Des hommes dans cette situation, les femmes en raffolent ici à Touba, une ambition, un vœu pieux qu’elles caressent depuis leur tendre enfance. Pour ce Magal, Ndiaya confie avoir reçu cent mille francs de son mari uniquement pour ses besoins d’habillement.
Si le mari de Ndiaya a pu satisfaire sa dulcinée, tel n’a pas été le cas pour ce jeune vigile qui officie au quartier Darou Miname. Il regrette de ne pouvoir satisfaire aux désirs de son épouse pour la simple raison qu’il n’en a pas les moyens : ‘Il m’est difficile de satisfaire les désirs de ma femme. A Touba, les choses ne se passent pas comme ailleurs parce qu’ici, en dehors des fêtes de Tabaski et de Korité, nous devons également habiller nos femmes à l’occasion du grand Magal et une pléthore d’autres fêtes religieuses. Mon beau-père, par exemple, célèbre chaque année un Magal et là aussi je suis obligé d’habiller ma femme. C’est trop dur, je ne peux pas le faire avec le maigre salaire que je gagne’. Le constat de ce jeune vigile rend la situation plus compliquée. A Touba, les Magal et autres célébrations religieuses sont nombreux. Voilà pourquoi, vouloir satisfaire les désirs des épouses relève d’une poche bien remplie et d’un compte en banque bien fourni. Une pression subie également, mais dans une moindre mesure, par les célibataires. Modou Ndiaye est peintre, sa petite amie vit au quartier Khaira. Pour des ambitions qu’il qualifie de sérieuses envers elle, le jeune homme a pris en charge les besoins d’habillement de sa copine pour ce Magal. Mais, contrairement à d’autres hommes plus aisés, Modou n’a pu offrir qu’un complet à l’amour de sa vie.
Etre parées de très beaux habits lors de ces célébrations, les femmes de Touba le désirent toutes. Un rêve qui, les rares fois qu’il se brise, suscite bien des scènes de ménage. Heureusement qu’ici, la dévotion à son mari, cette facette hautement symbolique du mouridisme, finit toujours par l’emporter sur le désir brûlant de paraître.
En attendant, certains époux continuent de subir silencieusement le ‘supplice’ de leur dame. A moins qu’ils ne se résignent à faire la politique de leurs moyens.
A. NDIAYE
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