Les limites de la gestion du volet économique et social de la covid-19 par le Gouvernement (Par Cheikh Faye)

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Les résultats de l’enquête sur les impacts de la Covid-19, réalisée par l’Agence de Développement et d’Encadrement des Petites et Moyennes Entreprises (ADEPME) au mois de mai et portant sur un échantillon de 830 PME réparties à l’échelle du territoire national, donnent des résultats préoccupants pour ne pas dire inquiétants. Ils révèlent, entre autres, que 64,05% des chefs de PME interrogés déclarent avoir perdu 60 à 100% de leur chiffre d’affaires du fait de la Covid-19. Pire, près de 50% des PME interrogées ont décidé l’arrêt ou la suspension de leurs activités. Un mois après, ce diagnostic est confirmé par les résultats d’une autre enquête menée auprès de 50 PME des technologies de l’information et de la communication réalisée par l’Organisation des professionnels des technologies de l’information et de la communication (OPTIC). Selon les résultats de cette enquête, 42% des responsables des PME TIC craignaient de faire faillite dans les trois prochains mois, 62% ont enregistré une baisse de leur chiffre d’affaire et 25% sont confrontés à des difficultés de recouvrement de leurs créances. Pour mesurer l’ampleur de ce désastre, il est important de rappeler que 99,8% des unités économiques dénombrées au Sénégal sont des PME selon les résultats du recensement général des entreprises réalisé, en 2016, par l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD). 

Pour contrer les effets de la Covid-19, le Gouvernement a mis en place un Programme de résilience économique et social (PRES) d’un coût de 1 000 milliards de francs CFA. Cette initiative n’est pas unique en Afrique comme certains essaient de le faire croire. Tout proche du Sénégal, la Côte d’ivoire a adopté, par exemple, un plan de riposte contre la Covid-19 d’un coût de 1 796,87 milliards de FCFA. Le financement du PRES est assuré par un fonds spécial dénommé FORCE Covid-19. Le PRES s’articule principalement autour de quatre (4) piliers : i) le soutien au secteur de la santé (78,7 milliards de FCFA) ; ii) le renforcement de la résilience et de la cohésion sociale des populations, y compris la diaspora sénégalaise (103 milliards de FCFA) ; iii) la sauvegarde de la stabilité macroéconomique et financière pour soutenir le secteur privé et maintenir les emplois à hauteur (755 milliards de FCFA) ; iv) la sécurisation de l’approvisionnement régulier du pays en eau, électricité, carburant, médicaments et denrées alimentaires de première nécessité (77,6 milliards de FCFA). 

Entre souci de sauvegarder des privilèges et absence de volonté politique

Le financement du PRES est assuré par trois (3) sources : la solidarité des sénégalais et des entreprises établies au Sénégal (plus de 20 milliards de FCFA mobilisés) ; les économies réalisées sur les dépenses de fonctionnement et celles d’investissement initialement inscrites au budget de 2020 (119 milliards de FCFA) ; le soutien des partenaires techniques et financiers (863 milliards de FCFA). Cette dernière source de financement se répartit en dons budgétaires (240 milliards de FCFA) et en prêts programmes (623 milliards de FCFA).

Les 119 milliards de FCFA économisés proviennent, pour l’essentiel, des dépenses de fonctionnement en procédant notamment à la suspension des acquisitions de véhicules administratifs et à des coupes dans les dépenses de téléphones, de rencontres officielles, de missions à l’intérieur et à l’extérieur du pays. En réalité, le Gouvernement n’a pas fait de véritables efforts de rationalisation de ses dépenses, par exemple, en traquant et en coupant toutes les dépenses non essentielles, voire superflues. Il ne s’est pas, non plus, donné la peine de restreindre, voire éliminer certaines niches susceptibles de lui rapporter des sommes considérables. Il s’est contenté, tout simplement, de reporter au fonds FORCE Covid-19 les montants des lignes budgétaires qui n’avaient pas de chance d’être dépensées. Par exemple, les restrictions liées aux voyages et aux déplacements ne permettent pas de réaliser des missions à l’intérieur et à l’extérieur du pays ni l’organisation de rencontres officielles. Le Gouvernement démontre, à travers sa démarche, qu’il est plutôt préoccupé par la conservation des privilèges au profit de ses membres et celui de ses partisans. Par exemple, il aurait pu diminuer, à sa plus simple expression, les fonds politiques pour lesquels il est démontré aujourd’hui, qu’ils constituent des sources d’enrichissement individuel. Il aurait pu, également, envisager la dissolution des institutions et agences budgétivores qui ne servent qu’à recaser une clientèle politique (CESE, HCCT, etc.). En 2012, C’est au nom de la lutte contre les inondations que le Président Macky Sall avait supprimé le Sénat pour réaliser des économies annuelles de 7 milliards de FCFA.

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Cet adage est bien connu. Tous les gouvernements soucieux de lutter contre les effets de la Covid-19 en privilégiant les ressources internes ont commencé par traquer, puis, réduire les niches, particulièrement celles douanières et fiscales. L’évaluation des voies et moyens annexée à la Loi des finances initiale de 2020 prévoit des exonérations de 1 180,81 milliards de FCFA (253,57 milliards de FCFA d’exonérations douanières + 927,24 milliards de FCFA d’exonérations fiscales). Les exonérations douanières concernent généralement les entreprises minières, les compagnies d’hydrocarbures et les grands chantiers (constructions et infrastructures). Les exonérations fiscales profitent à plusieurs catégories d’agents économiques notamment les institutions internationales ayant signé un accord de siège avec Sénégal, les fonctionnaires internationaux en poste au Sénégal, les entreprises, les ménages et les collectivités publiques. Par exemple, sur les 927,24 milliards de FCFA d’exonérations fiscales initialement prévues en 2020, les 572,33 milliards de FCFA sont au profit des ménages (plusieurs ménages échappent ainsi au paiement de l’impôt). Par contre, 189,83 milliards de FCFA d’exonérations fiscales sont prévues pour les entreprises. Par conséquent, les exonérations constituent une niche que le Gouvernement aurait pu explorer pour dégager des ressources internes assez substantielles pour financer le PRES. C’est ce que dit, aussi, l’Agence de notation Moody’s, lorsqu’elle suggère au Gouvernement d’éviter de recourir au marché financier pour financer ses programmes, en particulier le PRES, en privilégiant la mobilisation des ressources intérieures notamment fiscales.

Un niveau d’endettement préoccupant

Le soutien des partenaires techniques et financiers au financement du PRES s’élève à 863 milliards de FCFA, dont 623 milliards de FCFA en prêts programmes. Ces 623 milliards de CFA sont donc à rembourser. Ils viennent alourdir le niveau d’endettement du Sénégal, qui était déjà insupportable avant l’arrivée de la pandémie de la Covid-19 : en décembre 2019, le montant total de la dette publique nominale du Sénégal s’élevait à 9 114 milliards de FCFA correspondant à un taux d’endettement de 63,3% du PIB. 

De plus, depuis l’apparition de la pandémie, le Sénégal a levé sur le marché financier régional, par deux fois (le 28 avril 2020 et le 30 juillet 2020), la somme de 206,26 milliards de FCFA (soit 103,13 milliards de FCFA / opération) en émettant des Bons assimilables du trésor (BAT) à 91 jours dénommés « Bons Covid-19 ». Ces bons visent à permettre aux États membres de l’UEMOA de mobiliser des ressources financières, à faible coût (taux d’intérêt inférieur ou égal à 3,25%) pour faire face aux dépenses immédiates liées à la lutte contre les effets de la pandémie du Covid-19. Ces bons sont d’une maturité de trois mois, c’est-à-dire les fonds empruntés sont remboursés au bout de 90 jours. Les intérêts sont précomptés sur la valeur nominale des bons. C’est-à-dire qu’ils sont payables d’avance. Le fait de recourir à ce mode de financement à très court terme, même si le taux d’intérêt est faible, ressemble à du « soul-bouki, souli bouki » : on s’installe dans un cycle infernal où il faudra toujours emprunter pour payer ses dettes en plus de devoir honorer certaines situations urgentes, voire vitales. Le recours au « soul-bouki, souli bouki » renseigne sur l’ampleur des tensions de trésorerie auxquelles l’État du Sénégal fait face en dépit des sorties apparemment rassurantes des autorités. L’une des rares lueurs, dans ce sombre tableau, est l’adhésion du pays à l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) dû aux créanciers bilatéraux officiels mise en place par les États membres du G20, la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI). Cette adhésion lui permet de suspendre le paiement de ses dettes (principal et intérêts) à l’égard de ses créanciers bilatéraux jusqu’au 31 décembre 2020, soit un montant de plus de 90 milliards FCFA (13,51 % du service de la dette extérieure dû en 2020).

Enfin, l’Agence de notation financière Moody’s vient d’envoyer au Sénégal des signaux codés et diplomatiques qu’il va falloir décrypter au lieu de nier l’évidence et de continuer à faire du ponce-pilatisme. Ainsi, l’adhésion du Sénégal à l’ISSD, la chute drastique de la croissance (qui va passer de 6,8% à 1,1% du PIB), l’aggravation du niveau d’endettement (plus de 65% du PIB) et l’augmentation faramineuse du déficit budgétaire (il passe d’une prévision initiale de 450,5 milliards de FCFA à 872,8 milliards de FCFA, soit d’une augmentation de 3 à 6,1%) ont valu récemment au Sénégal le maintien de sa « note Ba3 avec une perspective négative ». Concrètement, cela veut dire qu’il existe des raisons justifiées de s’inquiéter des capacités du pays à soutenir son niveau d’endettement actuel.

Une mise en œuvre laborieuse 

Le volet du PRES relatif à la sauvegarde de la stabilité macroéconomique et financière en soutien au secteur privé et au maintien des emplois bénéficie d’un financement de 755 milliards de FCFA. C’est ainsi que, par exemple, 100 milliards de FCFA sont affectés aux appuis directs aux secteurs les plus durement touchés, 200 milliards de FCFA sont destinés à l’apurement des créances des fournisseurs de l’État, 200 milliards de FCFA sont prévus pour soutenir les entreprises affectées et des remises fiscales pour une enveloppe globale de 200 milliards de FCFA sont décidées.

Dans la pratique, plusieurs lourdeurs administratives, des retards enregistrés dans la mise en place des fonds par l’État ainsi que des insuffisances dans la communication ont retardé l’opérationnalité des mesures arrêtées. Aujourd’hui, si les choses se sont améliorées, notamment avec la mise en place d’un site internet où les chefs d’entreprises peuvent trouver certaines informations, il se trouve que nombre d’entre eux éprouvent de réelles difficultés à bénéficier des fonds nécessaires à la continuation de leurs activités.

En effet, la complainte qui revient le plus de la part des chefs d’entreprises est qu’il leur est difficile de satisfaire les critères d’éligibilité pour bénéficier des fonds, surtout lorsqu’elles sont des PME. Par exemple, les critères d’éligibilité relatifs à l’obligation d’avoir au moins cinq (5) salariés et celle de disposer des comptes comptables certifiés sont de nature à exclure la majorité des PME du dispositif d’appui mis en place. Selon l’ANSD, 81,8% des entreprises du tissu économique sénégalais sont des PME relevant de la catégorie des entreprenants et 16,4% des entreprises sont des PME de très petite taille. Seules 0,2% des entreprises établies au Sénégal sont considérées comme des grandes entreprises, c’est-à-dire, des unités économiques réalisant annuellement un chiffre d’affaires annuel hors taxes de plus de 2 milliards de francs CFA. Ces entreprises ont plus de facilité à répondre aux critères d’éligibilité pour bénéficier des mesures d’appui mises en place.

Quant au secteur informel, en dépit de son poids dans le fonctionnement de l’économie réelle, seuls quelques entrepreneurs individuels peuvent prétendre à un appui via les mutuelles de crédit (à des taux usuraires !). En effet, une récente étude du Bureau international du travail (BIT) estime que seuls 3% des unités économiques informelles déclarent tenir une comptabilité formelle. Ce qui veut dire qu’une très grande partie des travailleurs du secteur informel sont injustement des laissés pour compte. Pourtant, ils ont la particularité de gagner des revenus insuffisants, d’avoir des activités imprévisibles et irrégulières et de ne bénéficier d’aucune couverture sociale. Ce qui fait d’eux des personnes vulnérables. En plus de cette inégalité entre travailleurs (ceux du secteur formel bénéficient d’une indemnisation représentant 70% de leurs salaires en cas de mise en chômage technique), les mesures économiques mises en place par le Gouvernement revêtent une iniquité au niveau du genre. En effet, les femmes, qui constituent l’un des plus gros bataillons du secteur informel et qui sont, pour la plupart aussi des cheffes de familles, sont complètement laissées en rade alors qu’elles sont les plus impactées par les effets de la Covid-19 : domestiques, restauratrices, vendeuses au coin des rues, blanchisseuses, teinturières, tailleurs, etc. Ce qui prouve, qu’au-delà des discours, l’urgence de mettre sur pied un système de protection sociale universel se pose avec acuité. Le Roi du Maroc vient de nous montrer la voie à suivre en tirant courageusement les leçons de la gestion de la Covid-19. 

Cheikh Faye, Ph.D

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