Les dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont décrété jeudi des « sanctions progressives » contre les autorités militaires guinéennes. Une annonce qui intervient dans un contexte de tensions grandissantes entre les putschistes au pouvoir et l’organisation sous-régionale.
Réunis à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, les dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont annoncé, jeudi 23 septembre, un régime de « sanctions progressives » à l’encontre de la junte guinéenne et de ses soutiens.
Ces mesures incluent « le gel des avoirs financiers » des dirigeants, assujetti d’une « interdiction de voyager » ainsi que la suspension « de toute assistance et transaction financière en faveur de la Guinée par les institutions financières de la Cédéao », selon le communiqué publié au lendemain de la réunion.
Arrivé au pouvoir il y a un an, à la faveur d’un coup d’État qui avait mis fin au règne autoritaire du président Alpha Condé, le nouvel homme fort de Conakry, Mamadi Doumbouya, s’était engagé à mener un processus de transition inclusif « en coopération étroite avec la Cédéao ». Depuis, les tensions s’accumulent et les relations ont viré au conflit ouvert. France 24 revient sur les raisons de la brouille.
La durée de transition
Il s’agit incontestablement du point de contentieux majeur entre les autorités de transition guinéennes et l’organisation sous-régionale. Après la prise de pouvoir des militaires le 5 septembre 2021, la Cédéao, dont le rôle est de promouvoir la coopération économique mais également de garantir la stabilité régionale, avait insisté sur la nécessité d’une transition rapide vers des élections permettant le retour d’un gouvernement civil au pouvoir. L’organisation avait initialement donné six mois à la Guinée pour dévoiler « un chronogramme acceptable pour le retour à l’ordre constitutionnel ».
Début mai, le colonel Mamadi Doumbouya lève finalement le voile : la transition durera 39 mois, soit trois ans et 3 mois. Alors que les critiques fusent au sein de l’opposition, le Conseil national de Transition (CNT), qui fait office de parlement, entérine finalement une échéance de 36 mois. Une durée toujours jugée bien trop longue par la Cédéao.
La souveraineté avant tout
Ce bras de fer autour de la durée de transition illustre la manière dont le nouvel homme fort de Conakry compte gérer les affaires du pays. Car s’il affirme souhaiter maintenir le dialogue avec la Cédéao, Mamadi Doumbouya considère que la transition est avant tout une question interne.
« Nous tenons beaucoup à la Cédéao dont nous sommes membre fondateur. (…) Nous comprenons qu’elle fasse preuve de fermeté face aux prises de pouvoirs par l’armée mais nous ne sommes pas des politiques, nous venons tout simplement rendre le pouvoir au peuple de Guinée » déclarait-il en avril 2021.
Quelques mois plus tôt, le colonel avait rejeté la tentative de médiation initiée par la Cédéao dans le pays par le biais du diplomate guinéen Mohamed Ibn Chambas. « La nomination d’un envoyé spécial ne nous paraît ni opportune, ni urgente, dans la mesure où aucune crise interne, de nature à compromettre le cours normal de la Transition, n’est observée », avait-t-il alors déclaré dans un courrier adressé au dirigeant de l’organisation, le président du Ghana Nana Akufo-Addo.
Soutien indéfectible à Bamako
Autre sujet de frictions, le soutien appuyé du dirigeant guinéen à l’égard du colonel Assimi Goïta au Mali. Alors que la Cédéao impose, en janvier 2022, un embargo économique contre le pays, la Guinée est le seul pays membre à lui maintenir ses frontières ouvertes. Exclue comme son voisin des instances de la Cédéao depuis le putsch militaire, la Guinée explique alors refuser d’appliquer les sanctions au motif qu’elle n’a pas eu son mot à dire.
Alors que les dirigeants de la Cédéao se réunissaient mercredi à New York pour discuter des dossiers maliens et guinéens, Mamadi Doumbouya était reçu en grande pompe à Bamako par le colonel Assimi Goïta, pour marquer le 62e anniversaire de l‘indépendance.
« Ce voyage en pleine brouille entre le Mali et la Côte d’Ivoire à propos des 46 soldats toujours détenus par Bamako passe forcément mal vis-à-à-vis de la Cédéao », analyse Alioune Tine, fondateur du think tank Afrikajom et expert indépendant de l’ONU au Mali. « Il est perçu comme un camouflet de plus dans un contexte déjà très tendu ».
Pavé dans la mare à New York
L’accumulation des tensions entre les deux parties a éclaté au grand jour mercredi suite à l’interview du président de la Cédéao, Umaro Sissoco Embalo à France 24 et RFI. Le président de la Guinée-Bissau, qui défend le projet d’une « force anti-putsch » sur le continent, a suscité la colère des autorités guinéennes en affirmant qu’elles s’étaient engagées à réduire la transition à une durée maximum de deux ans.
« Avant même cette passe d’armes, les sanctions étaient devenues de toute façon inévitable », juge Alioune Tine. « Les militaires guinéens savaient dès le départ qu’en prenant une telle trajectoire, ils s’exposaient aux sanctions de la Cédéao. Mais ils pensent pouvoir encaisser le choc car, contrairement au Mali, ils ont un accès maritime direct et ne sont pas membres de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) qui avait imposé l’embargo économique contre Bamako. Sur le plan politique par contre, ce bras de fer est un jeu risqué car l’intransigeance de Mamadi Doumbouya suscite de plus en plus de critiques au sein de la population ».
Ces derniers mois, dans la capitale Conakry, plusieurs manifestations ont été organisées par un mouvement citoyen réclamant plus de transparence dans la gestion de la transition. En juillet puis en août, ces rassemblements ont tourné à l’émeute, faisant plusieurs morts et des dizaines de blessés.
De leur côté, les dirigeants guinéens continuent de se poser en rempart contre l’ingérence. Nous voulons travailler avec la Cédéao, mais nos relations « ne doivent pas faire l’objet d’un dictat » visant à « contraindre le peuple guinéen », réaffirmait jeudi Ousmane Gaoual Diallo, porte-parole du gouvernement.
Dans son communiqué, la Cédéao a appelé la Guinée à accepter « une durée de transition raisonnable » dans un délai d’un mois, sous peine de sanctions plus sévères.