Les problèmes de l’Université Assane Seck de Ziguinchor: l’occasion manquée du gouvernement! Par Cheikh Tidiane DIEYE

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La décision des étudiants de l’Université Assane Seck de se lancer dans une marche  improbable et dangereuse sur plus de 450 kilomètres avec le rêve de pouvoir raconter la médiocrité de leur quotidien au Chef de l’Etat doit nous interpeller tous.  Leur choix peut sembler suicidaire. Mais il n’en révèle pas moins l’insondable détresse que vivent les acteurs de cette jeune et frêle institution d’enseignement et de formation.

Si nous nous arrêtons au caractère événementiel de cette marche, on en perd le contenu latent. Les étudiants ne marchent pas seulement pour aller à Dakar. Ils marchent aussi pour refouler des frustrations, déceptions et angoisses longuement et profondément contenues, mais apparemment jamais entendues par leurs autorités. Le visiteur qui rentre dans cette université pour la première fois est invariablement envahi par un sentiment de déception. Rien n’y donne l’impression d’être dans une université, à part bien entendu, la présence d’enseignants et d’enseignantes dévoués et valeureux  dont le courage et l’abnégation forcent le respect, tant l’environnement dans lequel ils ont accepté de servir est austère et différent de là où ils vivaient avant.

Une université digne de ce nom n’est pas seulement le fruit d’un assemblage, plus ou moins savant, de filières de formations, de facultés et d’UFR. C’est aussi un ensemble de symboles, de rites et de mythes qui élèvent son prestige, sa respectabilité et sa grandeur. La construction d’une université est toujours le reflet d’une ambition qu’un gouvernement a pour une ville, une région ou un pays. La taille, la forme et la grandeur des bâtiments de l’université de Dakar sont incontestablement le symbole de l’ambition que le colonisateur français avait sur sa colonie du Sénégal. La majestuosité de la tour de la bibliothèque de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, la plus haute de tout le pays en dehors des bâtiments de Dakar, est aussi le signe d’une ambition et d’un rêve que portait Senghor.

L’université Assane Seck de Ziguinchor n’a rien de tout cela. Elle ressemble à un grand lycée, sans le prestige que l’âge et la renommée confèrent à certains lycées.  Mon propos peut paraitre fort, mais je ne fais qu’exprimer ce que j’ai ressenti au plus profond de moi-même lorsque je suis rentré dans ce temple du savoir du Sud du pays. Sentiment qui ressurgit à la vue des dizaines d’étudiants se lançant à l’assaut des routes, portant en bandoulière leurs rêves d’avenir, comme d’autres se lancent à l’assaut des mers vers l’Europe.

J’ai été encore plus choqué une autre fois, quand à  l’occasion d’une conférence dans l’une des amphithéâtres de l’Université Assane Seck, j’ai constaté que le matériel de projection et de sonorisation portait le logo de l’USAID, l’agence américaine de coopération au développement. Ce matériel est certainement offert au Sénégal par ce pays. Un symbole fort pour qui sait lire les signes. Loin de moi l’idée de rejeter toute aide venant d’un autre pays. Mais avouons que le message que nous renvoyons à notre jeunesse, c’est que leur pays est obligé de recourir à l’aide internationale pour leur offrir un vidéo projecteur. Et bien sûr lorsque les américains, comme les autres, vous offrent leur matériel, ils plantent aussi leur drapeau au cœur de votre amphithéâtre, en terrain conquis. Belle façon d’enseigner les vertus du patriotisme et de la fierté à sa jeunesse.

Ce que vit l’Université Assane seck a une solution radicale et totale. Mais le gouvernement vient de rater l’occasion de changer la vie de cette université, mais aussi de toute la ville de Ziguinchor, de la Casamance et même des pays limitrophes. Il n’y a pas longtemps, le Président de la République a posé la première pierre de l’Université Amadou Moctar Mbow, UNIDAK 2, à Diam Niadio. A termes cette université pourra accueillir jusqu’à 30. 000 nouveaux étudiants dans des pôles de formation en Sciences et Technologies,  Santé,  Economie et Gestion entre autres,  presque les mêmes que les UFR qui sont à l’Université de Ziguinchor.

Dans le discours prononcé au lancement des travaux, le Chef de l’Etat a dit que « L’UNIDAK va permettre au pole urbain de Diam Niadio de se parer de ses habits de lumières ». Pendant ce temps, les jeunes du Sud, eux, défient les ténèbres et la nuit noire sur les routes vers Dakar.

On ne peut manquer de souligner l’inefficience de ce choix stratégique consistant à construire une université à 65 milliards à l’entrée de Dakar pendant que d’autres universités ayant un potentiel de transformation économique et social plus grand manquent de tout. Pour développer, on consolide et renforce ce qu’on a déjà et on investit là où on a le potentiel multiplicateur le plus élevé. Or dans le cas d’espèce, investir ces 65 milliards dans l’université de la région Sud aurait eu plus d’impact et de retombées. C’est incontestable.

Imaginons seulement ce qui se passerait si le Chef de l’Etat avait décidé d’implanter cette belle université à 65 milliards, avec la même maquette à l’emplacement exacte de l’Université de Ziguinchor. Pour le gouvernement, le résultat aurait été le même: créer 30.000 nouvelles places.  Mais en injectant la même somme dans  l’économie de Ziguinchor, non seulement on aurait eu les 30.000 places, mais on aurait transformé durablement le visage de toute cette région. Toute l’économie locale s’en trouverait structurellement transformée grâce à la demande en logement, à la consommation et aux emplois que créent une infrastructure de cet acabit. De surcroit, on ferait de cette région, à la socioculture sensible, le principal lieu de brassage pour la jeunesse nationale et ouest africaine et le centre incontournable des sciences et savoir dans cette sous-région.

Je partage cette idée  tout en sachant qu’elle n’a aucune chance d’être entendue. Car le  gouvernement a décidé de mettre son université là où elle sera « visible », comme Wade avait construit ses universités régionales dans le but de les « compter ».

L’un des principaux problèmes de la gouvernance publique dans nos pays, c’est que nos choix d’investissement relèvent très peu de la rationalité technique objective. Je ne le dit pas pour défendre une approche techniciste du développement. Car même l’ingénierie sociale et politique aurait montré qu’une université à 65 milliards à Ziguinchor aurait été plus efficiente qu’une université à Diamniadio. Je le dit parce que si les bons choix avaient été faits, nous n’aurions pas eu aujourd’hui des dizaines d’étudiants sur les routes. Ils seraient entrain de prendre leur mal en patience, persuadés qu’ils seront bientôt les pensionnaires d’une université digne de ce nom, où l’on ne cuisine pas les repas des étudiants dans les mêmes marmites que celles qui font les baptêmes et les gamous.

Aux étudiants, je voudrais dire, même si je comprends parfaitement leur amertume, que marcher jusqu’à Dakar n’est pas le solution, en plus une telle action qui n’offre aucune garantie de résultat. Je les appelle donc à retourner à Ziguinchor et à engager des discussions avec les autorités. De toute façon leur détermination force le respect et leur message est bien entendu. Du moins par ceux qui savent écouter et décrypter les messages.

Cheikh Tidiane DIEYE

Sociologue et Docteur en Etudes du Développement

10 Commentaires

  1. Merci pour cet article ! Espérons (contrairement à vous si j’ai bien compris) que le gouvernement va se mobiliser pour faire de Assane Seck une véritable UNIVERSITE. Effectivement, pour le moment c’est simplement « un grand lycée » Mais rien n’interdit une évolution positive. Votre article est tout simplement magnifique et véridique. A bon entendeur salut !

  2. Je me demande comment quelqu’un de sensé peut oser dire que Dakar n’a pas besoin d’une seconde université. Même si on n’avait pas tous les problémes qu’il y a à l’université de Dakar (surpopulation, restaurants bondés, amphis ou il faut venir deux heures à l’avance pour avoir une place, violence,…) le statut de Dakar et son rayonnement international militent pour plusieurs universités même. Désolé MR Diéye Ziguinchor a besoin d’avoir une université digne de ce nom mais ne remettez pas en question la pertinence de l’UNIDAK

  3. Merci Monsieur Dieye pour ce brillant article. En lisant la réalité de ces étudiants, je me questionne sur la pertinence de créer des universités si on a pas les moyens de les équiper. C’est tout simplement pathétique surtout dans une région très sensible comme Ziguinchor. Je vis à l’extérieur du pays,mais la première fois que j’ai visité cette université, j’ai eu les larmes aux yeux. Je voyais des étudiants désemparés, la mine triste au milieu des champs comme un camp de réfugiés du Sud Soudan. Je vous le jure. Je n’oublierai jamais ces grosses marmites de baptême et grandes cérémonies implantées dans l l’enceinte de l’université. Une véritable honte doublée d’un mépris. En tant que citoyens sénégalais originaire de Ziguinchor, je suis content de constater que des intellectuels sénégalais originaires de Ziguinchor se mobilisent de différentes façons pour dénoncer le mépris des autorités envers ces jeunes. Ziguinchor mérite mieux et ne faites jamais croire à ces jeunes qu’ils sont des laisser pour compte. Allez visiter l l’université de thies, saint-louis… Vous comprendrez mieux leur frustration. Peut être que tous les étudiants sénégalais souffrent, c’est vrai. Mais à Ziguinchor, ces étudiants agonisent. Que Dieu leur viennent en aide puisqu’ils sont oubliés par leurs autorités à l’image de leur belle région malgré l’arrivée de deux bateaux, de la poudre aux yeux.

  4. C’est dommage que ce Docteur dans les Etudes du développement semble confondre université et bâtiments, université et majestuosité des bâtiments. Les références française ou senghorienne n’offre aucun caractère scientifique à sa démonstration. Comme si cela ne lui suffisait, il remet en question la justification de l’UCAD 2. Franchement, c’est désolant. Voilà où l’on tombe quand on se permet d’avoir son opinion sur tout.
    D’ailleurs, je pense qu’il faut un jour s’interroger sur ces prétendus spécialistes du développement. Qu’apportent-ils, ne serait-ce que dans la réflexion, au développement du pays ?

  5. A Professeur;

    Peut etre ne savez vous pas bien lire mais je ne vois pas où Monsieur Dieye remet en cause l’université de Dakar 2. Il dit bien que si l’objectif est de créer 30.000 nouvelles places pour des étudiants, peu importe où on mettra l’université, l’essentiel étant de les créer et d’orienter de nouveaux étudiants. Ils peuvent être des Dakarois, saint louisiens ou autres et allez étudier à Ziguinchor.

    A propos de l’infrastructure des universités, sauf si vous n’avez jamais voyagé, je confirme que toute les grandes université du monde ont une infrastructure  » majestueuses » et imposante. C’est ce que j’ai vu ici en europe.

    Au lieu de remettre en question son savoir, essaye plutôt d’argumenter sérieusement sur les choix d’investissement en terme d’efficacité ou d’efficience.
    Lui au moins a osé débattre à visage découvert, ce qui n’est pas le cas du Professeur que vous etes.

    • Sans vraiment rentrer avec vous, Monsieur l’universitaire, dans une polémique sans fin et peut-être sans grand intérêt, vous semblez ignorer un des principes du forum qui est l’anonymat des débatteurs. Mais passons pour vous dire l’argument selon lequel l’ucad2 pourrait être localisée n’importe où dans le pays signifie exactement une remise en question du projet en son état actuel et en son emplacement actuel et par conséquent l’identité territoriale qu’on voudrait lui conférer. Je vous demande de réfléchir deux secondes pour vous vous rendre compte que la localisation est un critère déterminant dans ce dont on parle ici puisqu’elle participe de la réussite en tant qu’objet de de développement plus global. Pour faire court, je vous renvoie aux principes majeurs de de l’économie spatiale. Sur l’idée que c’est peut-être que je n’ai pas voyagé qui me fait tenir mon argument sur le couplage université et bâtiment, c’est plutôt le contraire monsieur. Effectivement, j’ai eu la possibilité d’aller ailleurs (au pluriel), je connais ce dont parle Monsieur Dieye, mais je ne pense pas qu’il ait raison sur ce point également, puisque bien sûr ailleurs, université ne rime pas toujours avec majestuosité des bâtiments. Encore une fois, ce n’est pas une attaque contre la personne Ndieye mais contre les idées, l’avez-compris ça ?
      Merci, good day.

  6. Universitaire je crois c’est à vous de bien relire le texte de Mr Dieye. Je vais vous y aider. Il dit: « On ne peut manquer de souligner l’inefficience de ce choix stratégique consistant à construire une université à 65 milliards à l’entrée de Dakar pendant que d’autres universités ayant un potentiel de transformation économique et social plus grand manquent de tout. » et il ajoute encore « L’un des principaux problèmes de la gouvernance publique dans nos pays, c’est que nos choix d’investissement relèvent très peu de la rationalité technique objective. Je ne le dit pas pour défendre une approche techniciste du développement. Car même l’ingénierie sociale et politique aurait montré qu’une université à 65 milliards à Ziguinchor aurait été plus efficiente qu’une université à Diamniadio. » Excusez moi d’insister mais la seconde université de Dakar placée à Kédougou, A Fatick à Tamba ou à Linguére ne serait plus la même université de Dakar. Et elle contribuerait moins à régler les problémes de l’actuelle Université de de Dakar et des millions de jeunes dakarois qui autant que les jeunes de Ziguinchor ont besoin d’une université quiressemble vraiement à une université. Pour me répéter Entiérement d’accord pour que des investissements conséquents soient mis en place à Ziguinchor mais seulement ne remet pas en question la pertinence d’installer une seconde université à Dakar et notamment à Diamniadio futur pole urbain et centre universitaire. La seconde chose est que peut être vous n’avez fait que les universités francophones mais promenez vous dans les universités des pays anglophones et américaines vous verrez que ce n’est en rien lié à la taille des tours et immeubles. L’université de Accra est l’une des plus prestigieuses d’Afrique et je vous dit que en terme de hauteur des batiments Dakar le dépasse.

  7. Salam les amis ! Le débat est intéressant. Ce que souligne l’auteur doit nous amener à bien réfléchir. Je suis d’accord pour l’essentiel avec lui. Par contre je trouve pertinent la seconde université à Dakar. Mais est juste (économiquement, socialement, politiquement, voire « universitairement » d’y mettre d’un coup 65 milliards alors que celles existantes agonisent ? Je crois que non. Je crois que nous avons un sérieux problème au Sénégal : on met toujours l’accent sur le « nouveau » et on oublie l’ « ancien » Étant moi même enseignant contractuel (vacataire) a l’Ucad, je constate qu’il y a certes de nouveaux bâtiments mais les anciens (camps Jérémy, Brgm, Ise, etc..) sont laissés dans un état de délabrement latent. La fac science est encore pire. Cette tradition à s’occuper du nouveau et à oublier l’ancien est très dangereuse. Il faut faire naître dans ce pays l’esprit de rénovation ! Avec sérieux beaucoup de salles et d’amphithéâtres pourraient être plus fonctionnels. Donc oui, si nos moyens sont limitées pourquoi ne pas mettre une partie de l’argent dans la consolidation des Universités existantes, comme Ziguinchor et dans la remise en état de fonctionnement certaines structures. L’Etat a la lourde responsabilité de crédibiliser nos Universités et de répondre à la question du grand nombre. C’est pourquoi il faut faire très attention à l’utilisation de nos maigres ressources.
    Wa salam

    • L’Etat est entrain de mettre en oeuvre sur financement de la Banque mondiale un projet de 300 milliards pour les universités actuelles. Ceux qui sont dans les universités voient les chantier et le matériel qu’on est entrain de livrer. Aujourd’hui l’essentiel des revendications des étudiants tournent autour des retards de bourses et d’érection de centres des oeuvres universitaires mais pas de classes ou de chambres. Ils voient les efforts qui sont entrain d’être déroulés. Maintenant les professeurs qui squattent les palteaux de télé ne le savent pas

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