Á la conclusion de ma contribution du 24 avril 2024, je faisais remarquer que l’heure était au travail, et au travail sans relâche. Et celui que nos compatriotes attendent avec le plus d’impatience, estincontestablement la reddition des comptes, qui serait le sujet de ma prochaine contribution, donc celle-ci.Le candidat d’Ousmane Sonko, Bassirou DiomayeFaye, en remportant avec brio l’élection présidentielle du 24 mars, a hérité d’un Sénégal mal en point, gouverné pendant vingt-quatre ans par le vieux président-politicien et son successeur et sosie. Leurs deux longues, très longues gouvernances ont été marquées par le pillage systématique de nos différentes ressources (financières, foncières, minières, énergétiques, agricoles, etc.). Pendant toute cette période, leurs familles, les membres de leurs partis et de leurs coalitions se sont enrichis à milliards, et de façon impunie. Ce n’est plus un secret pour personne car, même pour ceux et celles qui ne savaient pas, les langues commencent à se délier et les rapports des différents corps de contrôle à livrer leurs secrets. Les nouveaux gouvernants n’ont donc d’autres choix que de s’employer et sans tarder à satisfaire cette forte demande sociale : la reddition des comptes. Qu’ils s’y emploient, sans se soucier des gens malhonnêtes qui mettent en garde contre ce qu’ils appellent « la chasse aux sorcières ». S’il y a des sorcières parmi nous – et Dieu sait qu’il y en a –, il faut les identifier et les brûler vives, car elles n’ont pas leurs places dans une société démocratique. D’autres évoquent l’appel à la réconciliation nationale lancé par le président Bassirou DiomayeFaye. Cet appel n’a rien à voir, vraiment rien à voir avec la reddition des comptes qui est la tâche, ou du moins l’une des tâches les plus urgentes pour le nouveau gouvernement.
Heureusement que l’ancien président-politicien et ses acolytes leur ont facilité cette tâche en laissant sur place de nombreux rapports qui les mettent gravement en cause. Parmi ces rapports, on peut citer notamment ceux dormant depuis de longues années sur son bureau, et dont il a osé déclarer lui-même avoir mis le coude dessus, sinon beaucoup de gens iraient en prison. Ces rapports, il faut les mettre rapidement entre les mains de la justice et lui demander de faire son travail en toute indépendance. Il faut en faire autant avec les dizaines de dossiers de l’Office national de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) qui, eux aussi, dorment sur la table du procureur de la République depuis au moins l’année 2015. Depuis lors, en tout cas jusqu’au 2 avril 2024, aucun de ces dossiers n’a été traité. Pourtant, la loi organisant l’OFNAC lui faisait obligation de le faire sans tarder et de les mettre entre les mains des juges. Ce procureur de la République était ce Serigne Bassirou Guèye, que l’ancien président-politicien a nommé sans état d’âme président de l’Office, pour le tuer carrément même si, à quelques mois de son départ du pouvoir, il a fait voter une loi pour «renforcer les pouvoirs » de l’Office. Il nous prenait vraiment pour des moins que rien.
Ces jours derniers, on l’a vu s’adresser aux populations pour leur faire état de la volonté exprimée par le président Diomaye Faye que désormais, tous les rapports des corps de contrôle soient rendus publics. J’étais vraiment gêné de l’écouter jusqu’à la fin. Da maa sax xawoona rus. Oui, j’avais plus ou moins honte de l’entendre informer les populations d’une décision du nouveau président, qui n’est autre que Bassirou DiomageFaye, le candidat d’Ousmane Sonko, président de Pastef. Á sa place, j’aurais démissionné dès la proclamation définitive de sa victoire. Je suis aussi tenté de faire une précision concernant les rapports de l’OFNAC publiés. Un ami m’a appelé pour me dire qu’il n’avait pas vu grand-chose dans ces rapports. Il faut quand même faire la différence entre rapports et dossiers de l’OFNAC. En tout cas, quand j’y étais employé comme conseiller spécial auprès de la présidente Nafy Ngom Kéïta chargé de la lutte contre la corruption dans le système éducatif sénégalais (d’août 2014 au 11 mars 2016 date de ma démission) le rapport, qui faisait le point des activités annuellesde l’Office, était présenté au président de la République puis rendu public.
Parmi les activités, il y avait des dossiers mettant en cause la gestion d’un ministre, d’un directeur général, d’un directeur, etc. Il était établi sur la base d’une plainte ou d’une dénonciation envoyée à l’OFNAC par un ou plusieurs particuliers. Si l’une ou l’autre en valait vraiment la peine par son contenu, le président ou la présidente de l’OFNAC envoie une mission enquêter auprès du service ou de la direction en cause. Si la mission constate que les faits dénoncés sont exacts – parfois ils sont même plus graves –,elle établit un dossier qui passe par plusieurs étapes avant de terminer à l’assemblée générale composée du président ou de la présidente et de douze membres nommés par le président-politicien d’alors, chacun ayant eu une copie du dossier pendant quelques jours. Si la majorité (les 2/3) estime que le dossier est suffisamment lourd pour être transmis au procureur de la République, un procès-verbal est signé avec ordre donné au président ou à la présidente de s’occuper du reste du travail. Quand Mme Nafy Ngom Kéita quittait l’OFNAC en juillet 2016, elle avait déjà transmis au procureur de la République huit dossiers et trois autres déjà prêts et qui le seront par sa remplaçante Mme Seynabou Ndiaye Diakhaté.On estime aujourd’hui le nombre de dossiers entre soixante (60) et soixante-dix (70) ou plus quidorment d’un profond sommeil sur la table du procureur. Le rapport d’activités dont il est beaucoup question ces temps derniers, ne donne qu’un bref résumé de ces dossiers. Il ne permet donc de se faire qu’une idée limitée des graves forfaits contenus dans les dossiers. En tout cas, si mes souvenirs sont exacts, c’est ainsi que se passaient les choses quand j’étais à l’OFNAC. Le processus pourrait changer entre-temps.
Ce sont ces dossiers-là qui devaient être rendus publics, comme le sont – ou devraient l’être – ceux de la Cour des Comptes et de l’Inspection générale d’État (dont, pour le moment, seuls des extraits comme les « rapports publics sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes » sont publiés). Comme les nombreux rapports qui gisaient sous le lourd coude de l’ancien président-politicien, tous ces dossiers, y compris surtout ceux du honteux pillage des mille (1000) milliards de la Covid 19,devraient être remis entre les mains des juges. Sans oublier ceux qui épinglaient lourdement les vingt-deux (22) restants de la liste dressée par les enquêteurs de l’ancienne Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CREI). Ce serait déjà beaucoup dans la nécessaire reddition des comptes. Qui pourrait parler alors de chasse aux sorcières ?Elles étaient bien connues, bien identifiées mais vaquaient librement à leurs occupations, se sachant protégées par le président-politicien recéleur, qui disait lui-même – il faut le rappeler sans cesse –, que s’il n’avait pas mis le coude sur les nombreux dossiers qui étaient sur son bureau, beaucoup de gens iraient en prison. Que les nouveaux gouvernants continuent donc tranquillement l’important travail de reddition des comptes, sans se soucier de ceux et celles qui la craignent comme la peste et s’accrochent à l’argument facile de « chasse aux sorcières ».
La reddition des comptes ne se limite pas à ces nombreux rapports et dossiers qui se trouvent à des niveaux différents. Pendant dix à douze longues années, des hommes et des femmes proches de l’ancien président-politicien, ont eu à gérer d’importants budgets sans jamais avoir été audités. Et nous savons tous comment ces budgets étaient gérés, avec l’impunité qui leur était assurée. Peut-être que, si ces différents audits avaient été faits, nous nous rendrions compte que, ce que nous savons aujourd’hui en matière de pillage de nos maigres derniers, ne représente que la partie visible de l’iceberg. Je pense à certains ministères, notamment àceux à la tête desquels a été Mansour Faye (pour ne donner que cet exemple), comme à de nombreuses structures comme : le Port autonome de Dakar, l’Ageroute, l’Agetip, l’Apix, la Caisse de dépôts et consignations et le service des domaines de Dakar (avec leur gestion des terres de l’ancien Aéroport international Léopold-Sédar-Senghor), l’AéroportAIBD, le Fongis et le Fongip, l’Ipres et la Caisse de Sécurité sociale, la Direction générale des Impôts et domaines (DGID) de 2006 à 2013, l’Artp, les dizaines d’agences où ce qui se passe comme gestion dépasse l’entendement, etc. Ce ne sont là que quelques exemples. Je pouvais en citer des dizaines d’autres. Ah ! J’allais oublier les institutions budgétivores comme le Conseil économique, social et environnemental, le Haut Conseil des Collectivités territoriales, l’assemblée nationale, la présidence de la République et la primature avec leurs budgets énormes depuis le 1er avril 2000 et qu’aucun organe de contrôle n’a osé auditer jusqu’ici.
C’est à ce travail important, la reddition des comptes,que les Sénégalais et les Sénégalaises attendent en priorité nos gouvernants plutôt qu’à l’ « appel à candidatures pour certains emplois de la Fonction publique et du secteur parapublic » qui ne s’applique pas du jour au lendemain. Ce texte étant déjà long, je ne peux pas m’étendre sur cette question sur laquelle j’ai pourtant mon idée. J’y reviendrai plus tard mais, en attendant, que les directions soient nettoyées et que les femmes et les hommes qui y sont nommé-esaient incontestablement le profil de l’emploi.
Dakar, le 29 avril 2024
Mody Niang