Veuves, orphelins et victimes qui ont subi dans leur chair la répression de la Police politique de l’ancien Président tchadien Hissène, Habré réfugié au Sénégal, se sont mobilisés hier pour faire entendre leur voix. Ils demandent au Président Wade, en séjour à Ndjamena, de tout mettre en œuvre pour que des milliers de crimes ne restent pas impunis.
Veuves, orphelins et victimes qui ont subi dans leur chair la répression de la Police politique de l’ancien Président tchadien Hissène, Habré réfugié au Sénégal, se sont mobilisés hier pour faire entendre leur voix. Ils demandent au Président Wade, en séjour à Ndjamena, de tout mettre en œuvre pour que des milliers de crimes ne restent pas impunis. Le torrent de larmes laissera-t-il le chef de l’Etat sénégalais indifférent ?
Par Madiambal DIAGNE à Ndjamena
ImageIls étaient nombreux et de tous âges à se mobiliser hier à Ndjamena, réunis sous l’égide de l’Association tchadienne de protection des droits de l’Homme. Ils étaient venus pour lancer un cri du cœur à l’endroit du Président sénégalais Abdoulaye Wade, qui devait fouler, dans la même soirée, le sol de leur pays. Ce matin (Ndlr?: hier), les victimes du régime de Hissène Habré attendent une audience sollicitée du chef de l’Etat sénégalais pour lui réitérer leur demande d’un procès de l’ancien dictateur réfugié à Dakar depuis sa chute en 1990.
Des centaines de citoyens tchadiens, victimes de la répression féroce menée dans leur pays par le régime de Hissène Habré, s’étaient donc rassemblés. Dans le lot, on dénombre une grande majorité de femmes. Toutes sont veuves ou orphelines d’un mari ou d’un père tué dans les geôles de la sinistre Police politique, la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds). Certaines d’entre elles, visiblement encore marquées par les brimades et tortures, ont tenu à prendre la parole, certaines en larmes pour raconter les atrocités vécues dans les lieux de détention.
UNE SALLE EN PLEURS
Des récits bien émouvants que ces victimes voudraient partager avec le Président Wade. Elles ne semblent pas pourtant se faire trop d’illusions. Est-ce que le Président Wade entendra leur supplique et acceptera-t-il de les recevoir. Rien n’est moins sûr. Une dame, qui porte les stigmates des tortures et qui n’a appris la mort de son mari disparu qu’en voyant un certificat de décès brandi par l’avocat américain de Human rights watch, Reed Brody, dans un documentaire réalisé par la chaîne Canal + sur les massacres imputés à Hissène Habré, ne croit plus à la volonté des autorités sénégalaises de juger l’ancien dictateur. «Wade a-t-il renié le Prix des droits de l’Homme que lui a décerné la Fondation Félix Houphouët Boigny??» lance-t-elle d’un ton excédé.
La commission d’enquête, qui avait été mise en place à la fuite de Hissène Habré, a recensé plus de 40 mille victimes. De tels massacres ne sauraient rester impunis plaide, dans une salle en pleurs, un vieil homme qui se traîne depuis les sévices subis.
Jusqu’où le Sénégal ira-t-il face à cette quête de justice ? En tout cas, les signaux sont mauvais. Me Jacqueline Moudeina, avocate tchadienne des victimes, continue de plaider dans le désert. «On nous tourne en bourriques. Le régime du Président Wade fait du dilatoire en faisant traîner la procédure avec des arguments financiers qui ne résistent pas à l’analyse.»
Clément Abaifouta, président de l’Association des victimes tchadiennes, est du même avis. Les fréquents changements de ministre de la Justice au Sénégal, ces dernières années, constitueraient un artifice subtil pour retarder les choses.
Me Lambi, un autre avocat tchadien, considère que l’impunité devrait être bannie, car si la Justice était passée dans cette affaire Hissène Habré, certainement qu’on ferait l’économie d’une autre tragédie avec le capitaine Dadis Camara en Guinée. Me Moudeina de renchérir?: «Il faut un exemple. Mais peut-être, c’est ce dont le Président Wade et ses pairs du Syndicat des chefs d’Etat africains auraient peur. Ils veulent sans doute éviter qu’une telle jurisprudence leur soit applicable.»
«SI LE SENEGAL FAIT LIBERER CLOTILDE REISS,…»
L’ambiance était intenable quand Abdourahmane Guèye, victime sénégalaise du régime de Hissène Habré prenait la parole pour ajouter une couche. Ce commerçant, arrêté en 1987 par des éléments de la Dds, contera ses déboires et prendra à témoin des codétenus présents dans la salle.
Il rend hommage a un compagnon d‘infortune, raflé comme tous les cadres de l’ethnie Azaghawa, et qui a disparu un soir, emmené vers une destination inconnue. La veuve et les enfants de cet ancien capitaine de l’Armée tchadienne ne pouvaient se retenir. Mais Abdourahmane Guèye d’insister?: «J’exige justice du Président Wade, car je suis en droit de réclamer cela de lui. Je suis en droit de demander justice à mon pays pour moi, mais aussi pour mon ami bijoutier lui aussi, Demba Gaye, en compagnie de qui j’ai été arrêté et qui n’a pas survécu aux conditions de sa détention. Si le Sénégal fait libérer une citoyenne française détenue en Iran, Clotilde Reiss, il doit faire autant pour ses propres citoyens.»
Abdourahmane Guèye de rappeler qu’il n’avait été élargi de prison que grâce à une demande expresse formulée par le Khalife général des mourides d’alors, Cheikh Abdoul Ahad Mbacké. En effet, Hissène Habré avait accédé à une demande de son homologue sénégalais, le Président Abdou Diouf, en séjour au Tchad dans le cadre d’un sommet de chefs d’Etat africains sur la lutte contre la sécheresse. Ironie du sort, le Président Wade est présentement à Ndjamena pour une rencontre du même type, au sujet du projet de la Grande muraille verte.
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