Lettre aux membres de l’Union des magistrats du Sénégal
Au moment, où le Président de l’UMS, Souleymane TELIKO bénéficie d’un soutien sans équivoque des citoyens sénégalais de tous bords, des organisations de la société civile, des avocats et de tous les sénégalais épris de droit et de justice ; je tenais en tant que citoyen à déplorer la sortie inappropriée de l’ancien Président de l’UMS, Aliou Niane, dans les médias, qui prétend, avec audace, que le fait de commenter une décision de justice peut relever d’une faute (ce qui est faux) conforte nos propos (le magistrat Niane est malheureusement tombé dans le piège du régime).
https://senego.com/aliou-niane-ancien-pdt-de-lums-teliko-a-faute-mais_1165006.html
Dans la forme, la démarche de l’ancien Président de l’UMS est inélégante et sème le trouble, car au moment où la justice sénégalaise fait l’objet d’une attaque sans précèdent de la part du pouvoir exécutif, une telle sortie fait le jeu du régime qui joue la carte de la division entre les magistrats pour affaiblir la justice. Or, l’heure n’est point pour les magistrats d’étaler leurs divisions sur la place publique, mais de faire bloc autour du Juge Souleymane TELIKO qui représente les intérêts de votre association, et dont l’action, depuis son élection en 2017, est constamment guidée par le souci d’œuvrer pour l’indépendance de la justice, le principe d’inamovibilité, l’instauration de la transparence dans la gestion de la carrière des magistrats (appel à candidature pour promouvoir le mérite) et le renforcement des moyens alloués aux juridictions pour une bonne administration de la justice. D’ailleurs, toutes les interventions publiques du Juge TELIKO sont axées sur ces thématiques et sur la nécessité d’améliorer les conditions matérielles des magistrats pour une bonne distribution de la justice (il s’est investi pour ses pairs, soulignant que le parc automobile de nombreuses juridictions n’est pas renouvelé depuis 2006 et précisant également qu’au TGI (tribunal de grande instance) de Pikine, certains magistrats ne bénéficient pas de bureaux). Un tel magistrat doit bénéficier d’un soutien clair, net et franc de ses pairs.
Dans le fond, l’ancien Président de l’UMS, Aliou NIANE a tort. En effet, Il est parfaitement autorisé de commenter les décisions de justice. Aucun texte ne l’interdit au Sénégal. Cela est même nécessaire. La justice est rendue par les hommes et l’homme est faillible. Les revues juridiques à destination des professionnels du droit ne font d’ailleurs que çà à longueur de pages : analyser, commenter, et si besoin critiquer. Dans tous les pays démocratiques du monde, les décisions de justice sont commentées. En effet, les décisions rendues par les juridictions françaises et européennes sont commentées, et les plus éminentes juridictions en France, Cour de Cassation et Conseil d’Etat n’y échappent pas. La prétendue impossibilité de commenter les décisions de justice relève d’une terrible confusion. On peut parfaitement commenter une décision de justice ; en revanche, il ne faut pas tomber dans l’outrance. En France, l’infraction que sanctionne les dispositions de l’article 434-25 du Code pénal sont les commentaires dont le but est de jeter publiquement le discrédit sur la décision rendue de manière à porter atteinte à l’autorité ou à l’indépendance de la justice. Ce texte ne muselle en rien les citoyens, et n’interdit pas de commenter les décisions de justice. Au Sénégal, le serment « exige d’être loyal et d’exercer la fonction de magistrat en toute impartialité dans le respect de la Constitution et des lois de la République et de ne prendre aucune position publique ». Le Juge Souleymane TELIKO représente les intérêts moraux et matériels de l’UMS, et est habilité à ce titre à se prononcer sur toute question liée au fonctionnement et à l’indépendance de la justice.
Ce qui est interdit en France comme au Sénégal, c’est de chercher à discréditer la justice ou de porter atteinte, de manière délibérée à l’honneur des magistrats, et à leur indépendance. S’il était interdit de commenter une décision de justice, plus aucun avocat n’exercerait au Sénégal et Maitre El Hadji DIOUF cesserait d’exercer depuis très longtemps !
C’est parce qu’on peut parfaitement commenter une décision de justice que 45 Professeurs de Droit et éminents spécialistes du droit ont signé une tribune en février 2016, estimant que l’avis du Conseil Constitutionnel au sujet de la réduction du mandat présidentiel participait d’une dépréciation de l’enseignement de la science juridique dont l’institution universitaire est garante, précisant que le Conseil constitutionnel n’a pas rendu une décision, mais un avis consultatif qui ne lie pas le Président.
https://ordredesavocats.sn/45-professeurs-de-droit-demontent-lavis-du-conseil-constitutionnel/
A aucun moment, le juge Souleymane TELIKO n’a cherché à discréditer la justice sénégalaise dont il est membre à part entière (une aberration !). Du reste, l’affaire Khalifa SALL a été définitivement tranchée par la justice (autorité de la chose jugée). Il est du devoir des magistrats de réfléchir en permanence sur le fonctionnement de la justice et de proposer des pistes de solutions pour améliorer le service rendu. D’ailleurs si M. NIANE prend le temps de regarder attentivement l’émission en question, devant le Jury du dimanche, il constatera que le sujet consacré à Khalifa Sall dure à peine 3 minutes. En effet, l’émission a surtout porté sur le fonctionnement de la justice. Le Juge Souleymane TELIKO a évoqué de nombreux sujets, plaidé pour la modification de la composition du CSM (conseil supérieur de la magistrature) et formulé des propositions pertinentes et audacieuses pour renforcer l’indépendance de la justice (par exemple, une réforme consistant à modifier le Code de procédure pénale pour enlever toutes les dispositions permettant à un ministre de la Justice de donner des instructions sur telle ou telle affaire).
M. Aliou NIANE est un magistrat qui a eu à prendre des positions extrêmement courageuses pour défendre l’indépendance de la justice (une posture qui est à saluer). Néanmoins, nous aurions souhaité qu’il prenne aujourd’hui sa plume pour dénoncer publiquement, fermement et sans aucune ambiguïté l’ignoble attaque dont a été victime le Juge Souleymane TELIKO, portant sur ses origines. Le linge sale se lave en famille et l’heure n’est pas aux invectives entre magistrats, dont les seuls perdants seront les magistrats et les justiciables (les citoyens). Le sujet aujourd’hui ce sont les magistrats formellement identifiés, membres du parti au pouvoir qui font de la politique, en toute impunité, en violation totale des textes qui régissent le statut des magistrats, sans qu’aucune sanction ne soit prise à leur encontre.
Le Juge Souleymane TELIKO bénéficie d’un fort soutien de nos compatriotes toutes tendances confondues et des organisations de la société civile (quasi-unanimité), parce qu’il incarne l’espoir d’un renouveau, un vent d’espoir pour la justice sénégalaise (l’avènement de juges intègres et impartiaux qui défendent l’état de droit). Comme le disait M. Guy Canivet, ancien premier président de la Cour de cassation française ‘’seul l’engagement personnel et collectif des juges au service de leur profession fera progresser la justice’’. L’affaire TELIKO n’est pas un épiphénomène ! C’est une affaire extrêmement grave : c’est l’indépendance, la sécurité et la liberté de conscience des magistrats sénégalais qui est en jeu. Le juge Souleymane TELIKO doit être soutenu fermement, clairement, et sans aucune ambigüité par les magistrats qui l’ont élu démocratiquement à la tête de l’UMS, et dont il défend les intérêts avec conviction.
Le soutien timoré de N. NIANE manque cruellement de sincérité. Gageons que sa sortie inappropriée n’est qu’une erreur (involontaire) d’appréciation !
Face à la volonté claire du pouvoir exécutif de saborder la justice, Personne ne comprendrait une défection de certains magistrats (trahison) voire une abdication : l’heure est donc résolument à la mobilisation pour le juge TELIKO, victime d’une gigantesque entreprise de déstabilisation. Tous mobilisés !
Seybani SOUGOU – Citoyen sénégalais – Paris, le 03 octobre 2020