Téhéran s’est bien amusé avec Sarkozy
Le président français avait toutes les raisons de ne pas pavoiser lors de la libération de Clotilde Reiss. Il s’est en effet laissé dicter le jeu par Téhéran… et même par Dakar. Par Charles Bremner?|?The Times
Arracher des otages des griffes de leurs kidnappeurs ou de régimes sans scrupules est bien souvent un commerce peu reluisant. Le gouvernement français ne sort pas grandi de l’affaire Clotilde Reiss, cette étudiante de 24 ans que l’Iran a libérée le 16 mai. Paris a dû verser une “amende” de 285 000 dollars [230 000 euros] et relâcher deux Iraniens en échange de la jeune femme.
L’équipe de Nicolas Sarkozy a été habilement manipulée par le président Ahmadinejad, qui avait toutes les cartes en mains. Sarkozy a dépêché un avion du gouvernement pour ramener Clotilde Reiss en France. La jeune femme, condamnée pour espionnage et subversion, a passé dix mois en prison et en résidence surveillée. Curieusement, le président français n’est pas venu l’accueillir à l’aéroport, pas plus qu’il ne s’est montré en sa compagnie quand elle a été reçue à l’Elysée. Cette réserve inhabituelle, lui qui a d’ordinaire coutume de parader avec les anciens otages, est attribuée à sa nouvelle politique de discrétion. Discrétion que l’on retrouve dans les négociations biaisées qui ont abouti à la libération de l’universitaire spécialiste de la culture iranienne, arrêtée pour avoir assisté à des manifestations contre le régime alors qu’elle enseignait à Ispahan. Personne n’a cru le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner quand, d’un ton indigné, il a martelé qu’aucun accord ou marchandage n’avait été conclu avec Téhéran.
Clotilde Reiss a été libérée après la décision de Paris de rejeter une demande d’extradition américaine portant sur la personne de Majid Kakavand, homme d’affaires recherché aux Etats-Unis pour avoir exporté en Iran des composants électriques frappés par l’embargo et susceptibles d’être utilisés dans l’armement. Interpellé à Paris, il y a plus d’un an, il a été autorisé à rentrer chez lui. L’autre contrepartie* a été la libération conditionnelle, confirmée le 17 mai, de Ali Vakili Rad. Il était l’un des trois membres de l’équipe de tueurs des services secrets iraniens qui a assassiné Chapour Bakhtiar, le dernier Premier ministre du défunt chah d’Iran, à son domicile parisien en 1991. En 1994, il avait été condamné à la perpétuité. Le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux a signé, le 18 mai, son ordre d’expulsion. Le gouvernement affirme que c’est par pure coïncidence que sa demande de remise en liberté conditionnelle a été acceptée ce printemps.
Mais ce n’est pas tout. Le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, s’est publiquement plaint d’une intervention française qui a entravé ses efforts de médiation. Son fils s’était rendu, en novembre 2009, à Téhéran pour discuter du cas de Clotilde Reiss, dont la libération avait alors paru imminente. Mais Paris aurait mis un terme à l’opération. Bernard Kouchner n’était apparemment pas informé du rôle que le Sénégal jouait en coulisses à la demande de l’Elysée. Reste que la mésaventure de Clotilde Reiss est juste un détail de la répression accrue menée par Téhéran et de son conflit avec l’Occident sur son programme nucléaire et Israël. Mais Ahmadinejad s’est bien moqué de Sarkozy, qui avait prétendu l’hiver dernier que “la France ne cédera[it] pas au chantage” pour obtenir la libération de la ressortissante française.
Note : * En français dans le texte.
courrierinternational.com