Le Groupement des armateurs et des industriels de la pêche au Sénégal (Gaipes), malgré sa marche pacifique dispersée hier, mercredi 30 mars par les forces de l’ordre, est plus que déterminé à croiser le fer avec le ministre de l’Economie maritime, Khouraïchi Thiam. Le président de cette organisation, rencontré au terme de la marche, a fait savoir que « la mobilisation et la lutte vont continuer tant que les bateaux russes continuent d’opérer dans les eaux sénégalaises ». Le Gaipes compte déposer, dans les 48 heures, une autre demande de marche pour montrer sa désapprobation face à l’option politique prise sur le secteur de la pêche
Avec cette marche dispersée, est ce que ce n’est pas une bataille perdue dans cette guerre que mène le Gaipes ?
Non, pas du tout. Le fait que la marche soit interdite montre juste que la bataille est quasiment gagnée parce que si ceux qui prennent les décisions qui ont fait effectivement que nous marchions savaient que la marche ne serait pas une réussite, ils ne l’auraient pas interdite. Vous-même vous avez vu le niveau de mobilisation qui y a eu. Donc, au contraire, pour nous c’est un grand succès mais il ne faut pas se leurrer. La mobilisation et la lutte vont continuer.
Jusqu’où comptez-vous aller ?
Jusqu’à ce que les navires russes sortent des eaux du Sénégal et laissent tranquille les ressources halieutiques du Sénégal au profit des populations sénégalaises d’aujourd’hui, de demain et d’après demain. On nous a signifié l’interdiction de la marche au prétexte qu’il n’y a pas suffisamment de forces de l’ordre pour l’encadrer compte tenue de la préparation de la fête de l’indépendance. Je souligne au passage qu’il y a eu suffisamment de forces de l’ordre pour la disperser. Mais, nous allons dès demain ou après-demain déposer une nouvelle demande de manière à continuer la mobilisation. Et après la fête de l’indépendance, quant il n’y aura plus d’événement qui empêche de mettre à disposition suffisamment de forces de l’ordre, on va faire une nouvelle demande et se mobiliser de manière à ce que, se joignent à nous, tous les Sénégalais, et manifester de manière claire au ministre de l’Economie maritime, notre désaccord sur les différentes décisions qu’il a prises.
Justement le Ministre de l’Economie maritime soupçonne des mains de politiciens derrière votre mouvement ?
Qu’il dise qui ? Vous savez, très honnêtement, je pense que vous nous connaissez un peu. Nous sommes des responsables, des chefs d’entreprises. Si nous voulions faire de la politique, nous créerions des partis et je crois qu’ils seraient plus populaires que certains partis. Si nous voulions investir dans la politique nous serions plus populaires que ceux-là qui nous accusent d’être instrumentalisés. Je pense que c’est avoir très peu de considération et de respect pour des gens qui investissent et qui font progresser le pays, qui emploient des milliers de Sénégalais, qui rapatrient des centaines de milliards de francs Cfa de recettes d’exploitation que des les considérer comme de viles individus qui peuvent être instrumentalisés par les premiers politiques venus. Mais ça, ça montre juste le manque de considération que certains ont pour les opérateurs économiques de notre pays. Et ça ne nous surprend pas.
Mais le ministre de l’Economie maritime dit que le stock en question est pêché dans d’autres pays qu’il traverse comme la Mauritanie, la Guinée Bissau, le Maroc par des bateaux étrangers qui ont une autorisation, donc pourquoi refuser la même démarche au Sénégal du moment que ça permet des rentrées de fonds au Trésor?
Moi je répond plusieurs choses à cela : vous savez, ce stock-là, il existe depuis combien de décennies ou siècle au Sénégal. S’il était pêché et exterminé dans les autres eaux, vous croyez qu’on le trouverait ici aujourd’hui au Sénégal ? Je ne pense pas. Mais le Sénégal est un pays de pêche dans lequel on a investi et aujourd’hui ce secteur de la pêche emploie plus de 600 mille personnes de Guett Ndar à Djogué, en passant par Lompoul, Kayar, Fass Boye, Yoff, Hann, Thiaroye, Rufisque, Mbour, Joal, Djifer…Partout, on a des populations dont la vie et la survie économique dépendent de ce poisson, de ce yaaboy et de ce diay (variétés de poisson). Ça n’existe pas en Mauritanie, naar dou lék dieun (en français, le maure ne mange pas de poisson). La Mauritanie n’a pas d’armement de pêche, la Guinée Bissau non plus. Pour avoir des ressources de la pêche, eux, peuvent se permettre effectivement de vendre des licences. Le Sénégal doit avoir une autre démarche et c’est de la responsabilité de nos autorités, au lieu de nous traiter d’être de vils individus instrumentalisés par des politiques, de voir ce que nous faisons et d’appeler les autres pays à faire de même de manière à ce que l’Afrique puisse se développer demain. Le Sénégal n’a pas le droit de copier sur la Mauritanie.
Cette affaire, c’est juste la reproduction des accords secrets de 92 qui avaient été arrêtés par Mamadou Lamine Loum en 1998. Ces bateaux pêchent au Sénégal depuis Janvier 2010. Maintenant, en fin Mars 2011, on nous dit que le Trésor Public va avoir cinq milliards de FCfa. Mais où est l’argent qu’on a ramassé de Janvier 2010 à maintenant. Il est bon que vous journalistes, vous interpelliez le ministre du budget et le ministre des Finances pour savoir combien le Trésor Public a reçu. Je pense que c’est extrêmement intéressant. Je crois qu’on n’empêche à personne de pêcher mais ce n’est pas parce que le poisson est là en quantité qu’il faut l’exterminer. La responsabilité et la vision d’un responsable ce n’est pas ça. La vision d’un responsable qui prétend pouvoir diriger les Sénégalais c’est de pouvoir, aujourd’hui, faire qu’on exploite dans de bonnes conditions la pêche. Et au lieu de jeter la pierre aux armateurs qui font des efforts, c’est à lui de s’arranger pour que le cadre macro-économique et les finances puissent être là pour qu’on puisse investir et exploiter ces ressources. Mais que nous puissions les exploiter sereinement et dignement. Et que nos enfants, demain, nos petits enfants, après-demain, trouvent de la ressource dans les mers du Sénégal. Nous, nous ne serons plus là. C’est ça la responsabilité ; c’est ça la vision et non pas il y a du poisson, il faut courir. Aller sur les marchés, aller à Soumbédioun interviewer les dames. Aller acheter un kilo de yaaboy, vous ne paierez pas moins de 500 à 100 FCfa et pour les Russes, 16 FCfa le kilo, c’est très bien. Mais, pour les Sénégalais, il faut 500 FCfa et plus. Si, pour les Russes, comme a dit le ministre à la télévision, 35 FCfa la tonne, c’est-à-dire, 16 FCfa, c’est très bien. C’est ce qui se fait en Mauritanie. Mais pourquoi nous on doit copier ce qui se fait en Mauritanie, et pourquoi, il ne s’arrange pas pour que les Sénégalais puisse acheter un kilo de yaaboy à 16 FCfa. C’est sa responsabilité en tant qu’autorité compétente. En tant que ministre des pêches, de faire en sorte que ce qui est bon pour les Russes, le soit aussi pour les Sénégalais. Mais les Russes, ils ont le yaaboy à 16 FCfa et nous les pauvres Sénégalais, pour manger un yaaboy, il nous faut dépenser plus de 500 FCfa. Ce n’est pas ça qui est être responsable. Etre responsable ce n’est pas dire aux opérateurs qui sont significatifs du secteur de la pêche qui est un des principaux secteurs de l’économie que ce sont des gens qui se font instrumentalisés. Et il faudra que demain, il vous dise par qui on est instrumentalisé. Si lui, il a des combats politiques, qu’il les mène. Nous, notre seul combat, c’est la pêche du Sénégal et notre pays.
Mais le ministre Khouraïchi Thiam dit que c’est parce que vous n’êtes pas en mesure de pêcher ce stock cause pour laquelle vous faites autant de bruit ?
Nous on est des armateurs et on a des navires. Le Sénégal dispose d’une centaine de navires. Ce n’est pas en jetant la pierre aux opérateurs économiques qui ont décidé d’investir dans leur pays que le ministre va se glorifier. Pourquoi n’a-t-il pas investi quand les autres Sénégalais qui sont des armateurs ont investi dans le secteur de la pêche. Ce n’est pas parce que les Sénégalais n’ont pas encore investi dans ce segment qu’on va permettre à des Russes de piller cette ressource. Parce que ça veut dire que jamais les Sénégalais n’investiront là dans. Les Sénégalais qui n’ont pas encore investi dans ce secteur ne vont pas le regretter parce que si vous investissez dans ce secteur pour qu’après on permette à des Russes, pour des questions financières de bas étages de pouvoir venir piller ces ressources, vous auriez investi effectivement pour rien. Son rôle en tant que ministre c’est de constater que nous n’avons pas encore investi dans ce secteur et de mettre en place un cadre qui soit suffisamment incitatif avec des ressources financières pour lesquelles il doit se battre pour les mobiliser auprès de nos partenaires au développement et inciter les Sénégalais à investir de manière à développer ce secteur. Mais non pas à vendre les ressources à 16 FCfa à des Russes qui disposent de sociétés basées au Panama avec des intermédiaires qui viennent de la Belgique, du Maroc ou de la Mauritanie et dans lesquelles il n’y a aucun Sénégalais.
Quelle est la durée exacte de présence des ces bateaux dans les eaux sénégalaises ?
Nous-mêmes, nous nous sommes réunis avec le ministre en début d’année 2010. C’est lui-même qui a reconnu sur les ondes de Rfi et dans les journaux que des autorisations avaient été accordées à ces bateaux étrangers. C’est lui-même qui, dans son bureau, nous a dit qu’à la fin du mois d’Avril 2010, cette affaire serait arrêtée et qu’on en parlerait plus. A l’époque, il s’agissait de six bateaux. Aujourd’hui, il y a 23 bateaux, je le confirme et vous pouvez l’interroger, sinon je vous donnerai les coupures de presse. C’est sur cette base d’ailleurs que nous l’avons interpellé et à ce moment-là, il vous confirmera que des bateaux sont là depuis le mois de Janvier 2010. Au lieu de dire que nous n’avons pas investi, il vaudrait mieux qu’on nous dise au niveau du ministère de l’économie maritime qu’est ce que l’Etat du Sénégal a gagné depuis Janvier 2010 jusqu’à maintenant sur l’activité de ces bateaux au niveau du Sénégal. Puisque les bateaux ont pêché sans discontinuer.
Est-ce que vous êtes prêts à aller à la table de négociation cette question avec les autorités compétentes ?
Il n’y a pas de négociation ni de concertation. Le ministre des pêches c’est une institution de la République du Sénégal. C’est le ministère de tutelle du secteur de la pêche. Il n’y a pas de table de négociation. Le ministre nous a dit à deux reprises, de manière publique et vous pouvez en avoir la confirmation, que cette affaire serait arrêtée et qu’elle serait derrière nous. D’abord en Avril et je crois après, en Juillet. Tous les armateurs étaient autour de la table avec lui. C’est ce que le ministre nous a dit. Aujourd’hui, on est obligé, malgré le fait que c’est une institution de la république, de nous rendre compte qu’entre ce qu’il nous a dit et la réalité, il y a un monde. On n’acceptera pas que le ministre continue de nous endormir et continuer de nous raconter des choses qui ne sont pas conformes à la réalité pour permettre simplement aux bateaux russes de venir pêcher au Sénégal et que des opérations financières soient réalisées sur les ressources du Sénégal et sur le dos des populations du Sénégal. C’est la raison pour laquelle, avec les Sénégalais qui sont sensibilisés sur cette question, nous en appelons au Chef de l’Etat de manière à ce que cette opération soit arrêtée définitivement et qu’on en parle plus.
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