« Mitt Romney avait les crocs, Barack Obama était sur la défensive », mercredi soir, lors du premier débat présidentiel qui les opposait, estime Soufian Alsabbagh, spécialiste de la politique américaine. Résultat, le premier marque davantage de points dans les esprits. Durablement?
Mitt Romney vous a-t-il semblé plus convaincant que Barack Obama, comme le pense une majorité d’Américains d’après les premiers sondages après le débat de mercredi soir?
Oui, sans conteste. Mitt Romney avait les crocs, Barack Obamaétait sur la défensive. C’est normal, cela correspond à la stratégie de départ des deux candidats à la Maison-Blanche pour ce premier débat présidentiel, mercredi soir: Romney devait se montrer offensif pour inverser la dynamique actuelle qui lui est défavorable, Obama devait quant à lui tenir sur ses positions et éviter les remous alors qu’il dispose d’une avance certaine dans les sondages. Tous deux ont très bien joué leur partition et le résultat donne l’avantage à Romney.
Vous semblez déçu par la prestation d’Obama plus que conquis par celle de Romney…
Je parlerais effectivement davantage de défaite d’Obama plus que d’une victoire de Romney, alors que 70% des Américains pensaient que le président sortant remporterait facilement ce duel. C’est une vraie surprise.
La défaite d’Obama est d’abord physique, à mon sens. Sa façon d’esquiver les attaques de son rival républicain m’a semblé bien trop flagrante à l’écran. Si vous vous êtes amusé à couper le son, cinq minutes, comme je l’ai fait, l’impression physique qu’il dégageait était catastrophique. Son regard se portait sur le modérateur ou sur ses notes, alors que Romney, lui, l’attaquait en le fixant des yeux. Toujours à l’aise et connu pour sa prestance, Obama m’a semblé totalement dominé. Les débats des primaires républicaines ont visiblement porté leurs fruits pour Romney.
Au-delà de l’impression visuelle, ses arguments étaient moins forts que ceux de son outsider?
Il a raté de nombreuses occasions de renvoyer Romney dans les cordes. Où étaient les « 47% d’assistés », les fiches d’impôts, les Bain Capital? Autant de grands absents du débat qui auraient, à mon sens, pu servir de piques à Obama pour rappeler le profil de Romney, multimillionnaire déconnecté des réalités des Américains moyens. D’accord ces éléments ont déjà été beaucoup utilisés au fil de la campagne, mais c’est une erreur de les avoir négligés à mon sens.
Résultat, Romney a eu beau jeu de se présenter comme le candidat le plus proche des classes moyennes. Il a beaucoup parlé d’elles, en prenant de nombreux exemples précis: « J’ai rencontré cette famille qui m’a dit… », « Une femme m’interpellait l’autre jour sur… ». Sa stratégie très bien rodée a fait bonne impression à l’écran. Et Obama, ratant toutes ces occasions de rebondir, a laissé filé Romney, lui permettant de se présenter lui-même comme le grand défenseur des classes moyennes.
Et maintenant? Comment Romney peut-il capitaliser sur ce débat?
Une chose capitale est attendue ce vendredi: les chiffres du chômage de septembre. En août, il est passé de 8,3% à 8,1% mais sans que cela soit une bonne nouvelle pour les démocrates: cette « baisse » correspond surtout à la sortie de certains chômeurs du marché de la demande, pas à la création d’emplois. Il en faudrait 150 000 pour parler de bon mois: cela n’est pas arrivé depuis avril dernier.
Après que Romney a parlé de chiffres décevants, de reprise lente et de nécessité de relancer la création d’emplois, si l’annonce de vendredi confirme cela, les gens penseront qu’il avait raison. Il pourrait ainsi faire une excellente semaine. Et véritablement relancer sa campagne. Il lui reste encore deux débats pour faire la différence.
Un conseil pour Obama pour les prochains débats?
Qu’il affute, lui aussi, ses « zingers », ces piques qui ont bien réussi à Romney. Là où il n’a pas vraiment ressorti le fantôme de George W. Bush, il pourrait par exemple lancer: « Si vous votez Romney, vous accorderez un troisième mandat à Bush! » ‘il campe sur une stratégie défensive uniquement, je ne parierais pas sur lui… mais ne l’enterrons pas trop vite.
Soufian Alsabbagh est l’auteur de L’Amérique de Mitt Romneyet de La Nouvelle Droite Américaine, deux ouvrages parus en 2012 aux Editions Demopolis. Son site: quatriemevoie.fr.
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