L’ire contenue*

« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir » (Aimé Césaire)

1. Aussitôt, les aveux de Lamine Diack, révélés au public, sans nul doute, de façon tronquée par certains médias, les métastases de cette affaire, commencent à se faire ressentir durement dans le climat politique du pays, avec les poursuites dirigées contre Oumar Sarr, entre autres, pour diffusion de fausses nouvelles. Ainsi, une fois l’onde de choc, de cette affaire (Lamine Diack), très violemment encaissée par la plupart de nos concitoyens, avec candeur, surprise, et incompréhension, nous sommes en droit de nous interroger sur la procédure suivie.

2. Nous ne nous étendrons pas, sur cette affaire (Lamine Diack), étant entendu que, le principal concerné a reconnu certains des faits de corruption qui lui étaient reprochés, peu important que l’argent reçu, ait été ou non utilisé pour soutenir l’opposition politique sénégalaise, dans ses campagnes électorales, comme il le soutient. Cependant, l’immixtion de la DIC dans le champ politique, avec ce basculement de l’affaire Lamine Diack, à l’affaire Oumar Sarr, nous interpelle très singulièrement.

3. L’alinéa premier de l’article 58 de notre constitution dispose « la constitution garantit aux partis politiques qui s’opposent à la politique du gouvernement le droit de s’opposer ». Selon le dictionnaire Larousse « s’opposer », c’est « contrarier sans cesse l’action de quelqu’un, refuser de lui obéir, de le suivre ». Et, selon nous, dans son principe, s’opposer en politique, ce n’est point glorifier l’action du pouvoir gouvernant, mais dénoncer, ou brocarder, des faits et gestes, que l’on estime, contraires à l’intérêt général. Dans ces acceptions du verbe s’opposer, nul ne devrait reprocher à Oumar Sarr de faire son travail d’opposant politique, comme le permet, la charte fondamentale du pays.

4. Oumar Sarr est un homme politique, Secrétaire général national adjoint du premier parti d’opposition dans le pays, le Parti démocratique sénégalais (PDS) et, de surcroît député de la République. N’en déplaisent, à ses pourfendeurs, Oumar Sarr est dans son rôle d’opposant politique, pour exploiter, la moindre faille du président Macky Sall, en cherchant à l’affaiblir. Si, les reproches faites au chef de l’exécutif dans l’affaire Lamine Diack seraient non avérées, les utiliser à des fins politiques, n’ont rien d’amorales, même si pareilles déclarations publiques peuvent faire l’objet de poursuites pénales.

5. L’attitude et le comportement souvent excessifs d’Oumar Sarr, voire quelque fois, à la limite de l’arrogance ne doivent nous détourner, dans la défense de causes justes. Lorsque la démocratie et l’Etat de droit devraient pâtir, de violations de nos lois et règlements et surtout de la constitution. Il n’est nullement question pour nous, de créer une catégorie de personnes, à l’abri de toute poursuite judiciaire, ou au-dessus des lois. Seulement, ce n’est pas parce que, Oumar Sarr est concerné, que nous devrions accepter, remiser ou mettre en berne, nos valeurs d’égalité, d’équité, d’éthique et, de justice sociale, fondements de toute démocratie, et d’Etat de droit. De ces assertions, nous nous inscrivons en faux, contre la déclaration de Moustapha Diakhaté selon laquelle « depuis 2013, l’immunité parlementaire du député Oumar Sarr a été levée, sur demande des autorités judiciaires du Sénégal ». Certes, mais faudrait-il lui rappeler, pour le parlementaire en exercice, visé par cette mesure, la levée de son immunité parlementaire n’est jamais, perpétuellement inscrite dans le temps, cette affirmation est, par ailleurs implicitement, énoncée à l’article 61 de la constitution.

6. Si les déclarations d’Oumar Sarr peuvent être considérées comme insensées, ou importunes, voire une bêtise de plus, elles ne nécessitent pas, pour autant, qu’il soit urgemment convoqué, entendu, et inculpé, pour des paroles tenues dans le cadre d’action politique. D’autant qu’il convient de rappeler que « la démocratie, c’est aussi le droit institutionnel de dire des bêtises » (François Mitterrand).

7. L’instrumentalisation ou, l’utilisation détournée de la DIC, comme moyen de pression, au service d’une cause purement politique, pour réduire au silence des opposants politiques, ne saurait être acceptée. Et, doit être dénoncée et condamnée, par toute personne éprise de liberté, et de démocratie. Vu que, l’urgence ou, la précipitation dans une affaire, qui n’a rien, de criminelle, ne nous parait pas concevable, au regard du droit. Si les attributions et, le fonctionnement de la DIC relèvent de lois scélérates, il faut les revoir, pour les mettre en adéquation avec les principes qui gouvernent un Etat de droi,t moderne. De plus, redéfinir très spécifiquement ses missions en les mettant en adéquation, avec des faits pouvant relever, par essence, d’incriminations purement criminelles.

8. Ainsi, le président Macky Sall serait mieux inspiré de se recentrer sur les attentes de la majorité de la population, pour réduire conséquemment leurs souffrances. Etant donné que, selon nous, il y a non seulement inefficacité dans les actions de son gouvernement mais encore, une absence totale de vision, dans les orientations définies par lui-même, pour sortir le pays de l’engourdissement. Pour preuves, « l’émergence » économique, ce néologisme dans le vocabulaire de l’exécutif, abusivement employée par les acteurs politiques, de la majorité, n’est aucunement un slogan, ni un concept creux, et de surcroît ne se décrète pas, de manière péremptoire.

9. Pareillement, l’émergence économique, au-delà d’être consubstantielle, entre autres, à une gestion raisonnée des deniers publics, d’investissements productifs ou rentables, de soutien notoire au secteur productif, ou de réduction de la dette publique, elle doit, en plus, s’inscrire, et s’appuyer sur une réorganisation générale de l’ensemble des secteurs de l’Etat. Pour un positionnement efficace, ce qui est présentement, non seulement pas le cas, mais encore, parvenir à cet objectif, nous semble, difficilement atteignable au regard des sacrifices consentis, et des actes posés dans des pays émergents comme, le Brésil, la Chine, ou l’Inde.

10. Ne doutant nullement, de la qualité de démocrate, du président de la République, nous lui en conjurons de ne pas trop prêter attention, aux conseils de néfastes zélateurs, au risque d’entamer dangereusement son capital estime et confiance, et in fine ternir son image. Aussi, la grandeur d’un homme d’Etat se mesure, à sa capacité à savoir faire fi de déclarations provocantes, ou quelques fois fallacieuses d’opposants politiques, pour être bien loin du cénacle des vengeurs, afin d’éviter de tomber dans des pièges tendus, ce qui n’honorerait pas la fonction. D’autant que, être démocrate c’est aussi quelque fois, savoir s’approprier cette phrase de Voltaire « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire ».

11. Mais enfin, il convient de souligner, seules des retombées positives, réellement ressenties par les futurs électeurs, bonifient le fait ou l’action politique du pouvoir en place, et que l’inaction est l’ennemie des femmes et des hommes politiques. De plus, le Chef de l’Etat (Macky Sall) devrait garder à l’esprit, que certaines dérives profitent rarement à l’exécutif, l’ancien président de la République Abdoulaye Wade sera de notre avis.

Daouda NDIAYE
Juriste/analyste politique (France)
* Article dédié à Astou SIDIBÉ