S’il fallait ne s’en tenir qu’à l’intitulé, le Mouvement que dirige Cheikh Tidiane Gadio n’aurait rien de vraiment emballant. «Luy Jot Jotna» ressemble davantage à un constat de situation, alors que son initiateur veut appeler au changer de régime.
Le message évolue plus résolument lorsque le désormais candidat à la présidentielle de 2012 convoque la démarche qui a présidé à sa décision de briguer la magistrature suprême. «Luy Jot Jotna» est une «initiative citoyenne», explique Gadio. Et le Projet en devient plus explicite, dans le contexte du Sénégal en pré – campagne électorale.
L’ancien Ministre d’Etat, ministre des Affaires Etrangères part d’un a priori qu’il estime partager avec ses compatriotes. Cela donnerait que l’heure est arrivée de changer. Dans cette acception, «Luy Jot Jotna» devient un slogan, voire un appel à l’action, comme ce fut le cas en 1993 pour un certain «Sopi Jotna». En vérité, l’ancien patron de notre diplomatie ne devrait pas avoir besoin de gymnastique intellectuelle pour convaincre. Il a le double avantage de l’expertise (en Communication) et de l’incontestable éloquence.
Ces qualités aideront à faire oublier toutes les insuffisances conceptuelles, au plan strictement sémantique. Du wolof au français, des pertes sont parfois inévitables, et un concept politique ne vaut que par ce que valent ceux qui sont chargés de le «vendre» ou le mettre en œuvre. Dr Gadio a le profil, au moins intellectuel.
L’homme s’est vu offrir une rampe de lancement. D’abord en s’inscrivant sur le registre des «victimes» de Wade, ensuite en parvenant à sortir Karim de ses gonds. A dire vrai, le fils du Président de la République est tout à la fois une cible facile et un support pour communiquer – pas toujours à raison – sur ce qu’on reproche à la gouvernance du pays. Ce sera toutefois loin d’être suffisant, d’autant que le même punching ball devrait très largement servir pour tous les coups à porter au Pouvoir. Les opposants gagneraient toutefois à garder à l’esprit, que la cruche va tant à l’eau, qu’elle finit par ne plus ramener la moindre goûte, parce que partie en morceaux. L’ancien Pouvoir socialiste sait ce qu’il a récolté d’une diabolisation à outrance de Wade père.
Cheikh Tidiane Gadio est loin d’être un novice en politique. Certes on ne lui connaît pas un passé dans les mouvements de masse, encore moins dans le folklore politique qui a contribué, dans l’opinion, à hisser des gens à des niveaux pourtant largement au-dessus de ce qu’ils représentent réellement. Les nouveaux médias sont, à cet égard, de formidables vecteurs de promotion de médiocres.
L’ancien chef de la Diplomatie peut être handicapé par deux choses au moins : il était resté trop longtemps à l’étranger, aux Etats-Unis notamment. Rentré au Sénégal, il a été pendant neuf années, Ministre des Affaires Etrangères. Deux situations qui n’ont pas eu pour effet de le mettre plus souvent au contact des populations. Une chance, Gadio a été par ce fait, éloigné des querelles politiciennes et des luttes de positionnement autour du Président de la République. Il lui faudra toutefois souhaiter que quelque fâcheuse affaire ne le rattrape. C’est la condition pour effacer sa part de Wade, si telle est sa volonté.
Pour combler le retard au plan intérieur, Dr Gadio devra donc rapidement travailler à s’allier de vrais porteurs de voix. Si ces dernières sont d’abord alimentaires, l’argument de l’argent pourrait ruiner le candidat pour des résultats pas nécessairement à la hauteur de ce qu’il serait en droit d’attendre. Mais, même en cas de non victoire, Cheikh Tidiane Gadio pourrait toujours s’estimer heureux d’avoir pris date : «Luy Jot Jotna». Ce Qu’il Fallait Démontrer.
Ibrahima Bakhoum sudonline.sn